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Je ne sais pas si vous avez en tête une image préfabriquée lorsque l’on dit ‘’organiste’’, mais si c’est le cas, elle ne correspond probablement pas au gabarit physique de la Montréalaise Maria Gajraj. La jeune dame originaire d’Ottawa et de racines trinidadiennes, début de vingtaine, menue et ultra souriante, détonne dans le corpus professionnel habituel des artistes qui maîtrisent le ‘’Roi des instruments’’. Maria se prépare à faire paraître un premier album, Exhale (titre pertinent dans le cas de l’orgue), sur lequel elle propose un voyage entre béatitude planante et minimalisme répétitif envoûtant, guidé par des compositions contemporaines issues de plumes féminines et non-binaires. Aussi bien dire un ovni musical qui vient gentiment (et utilement) bouleverser les a-prioris de la musique d’orgue.
Un répertoire signé de jeunes pousses telles George Rahi, Hania Rani et Esther-Ruth Teel, ainsi qu’une valeur sûre, Ann Southam dont l’extrait des Glass Houses ici transposé aux tuyaux est très convaincant.
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Dans l’entretien qu’elle m’a accordé, Maria Gajraj m’a révélé que cet album et son répertoire représentaient un moment charnière de sa vie musicale, une sorte de redécouverte du plaisir de l’instrument, après un passage à vide.
C’est avec Exhale que je suis retombée en amour avec l’orgue
Ça ne faisait pourtant pas longtemps qu’elle s’y était mis! Depuis l’âge de 19 ans seulement. 19 ans? Un peu tard, non? Oui et non. Attendez, je récapitule son histoire.
Maria grandit dans un famille d’origine trinidadienne dans la région d’Ottawa. Elle apprend le piano, plusieurs années. Le côté ultra compétitif de la discipline ne l’attire guère, alors elle se destine à une carrière en ingénierie. Puis, une offre fortuite lui donne l’occasion de tâter de l’orgue dans une église d’Ottawa. Elle ne maîtrise pas tous les détails des pédales, des clapets et autres manivelles du grand Gargantua, mais elle sait jouer de la musique, et un clavier! Alors elle se lance et un jour où, dit-elle, le soleil perce à travers les magnifiques vitraux de l’endroit, elle se sent si bien qu’elle décide que c’est cela qu’elle veut faire dans la vie! Rien de surprenant là-dedans, c’est souvent comme ça que ça se passe avec des instruments de musique.
Elle se retrouve à McGill, mais traverse un moment d’incertitude. J’aime la musique des grands compositeurs, mais il y a quelque chose qui manque, une connexion intime qui ne s’exerce pas. ‘’Je ne me retrouve pas dans l’histoire de vie de ces hommes blancs d’un autre temps’’. Encore une fois, pas une critique qualitative, mais bien une sentiment de proximité culturelle qui fait que l’expérience n’est pas 100% authentique pour la jeune femme.
Arrive Chabe Castillo, de McGill, qui l’invite à enregistrer quelque chose sur l’orgue de facture Wolff de la salle Redpath, un très bel instrument de style classique français. Il lui demande ce qu’elle a envie de jouer. Et voilà que ça se place, les noms s’additionnent, partant de ses amours musicales personnelles et de ses valeurs qui l’amènent à privilégier les compositrices, les artistes non-binaires et les compositeurs non européens. Elle est d’ailleurs en pleine finale de Doctorat sur le répertoire d’orgue des Caraïbes, un pan entier qui demeure largement méconnu.
Un compositeur qui la fascine particulièrement : Edward Margetson, de St Kitts, qui après avoir émigré aux États-Unis en 1919, fera partie du mouvement de la Renaissance de Harlem! Si ce répertoire est difficile à trouver et surtout à écouter, Maria aimerait bien en enregistrer quelques perles dans un avenir proche.
Je lui demande néanmoins quel compositeur ‘’traditionnel’’ (Blanc, Européen) la touche plus que d’autres.. Seulement un? Messiaen! Ces couleurs fantastiques, ces rythmes! D’ailleurs, Maria n’est certainement pas détachée du monde européen de la musique car elle a pris la direction en janvier dernier de l’ensemble de musique ancienne Comtessa, dans lequel elle manie l’organetto, une version portative médiévale du grand frère d’églises. Elle aime beaucoup, dit-elle, la musique du Moyen-Âge.
Si vous cherchez son nom dans un moteur de recherche, vous risquez également de le voir associé à la chapelle Notre-Dame-du-Bon-Secours dans le Vieux-Montréal, où elle est présentement attitrée comme organiste, et aussi peut-être à Sapphonix Collective, un projet qu’elle mène avec son amie Esther-Ruth Teel, et qui est une proposition inusitée d’événements présentant de la musique (deux orgues!) en combinaison avec d’autres arts (visuels, de performance, tatouage, etc.).
Pour toutes ces raisons, pour la bouffée d’air frais que Maria Gajraj propose d’apporter dans l’ordinaire de la pratique et de l’écoute de l’orgue comme instrument musical et pour des valeurs inclusives qui ne limitent jamais la qualité fondamentale des expériences esthétiques proposées, Maria Gajraj est un nom que vous devriez retenir car il risque de résonner de plus en plus sur la scène montréalaise (éventuellement canadienne, nord-américaine et plus), et surtout d’enrichir substantiellement le mode musical déjà riche la métropole culturelle.