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Crédit photo : Romain Garcin
Saviez-vous que le cactus donnait une fleur et que Sofiane Pamart l’avait cueillie dans le rap ? Il est le pianiste de référence de ce genre musical, travaillant jusqu’ici dans l’ombre de noms tels que L’Or du Commun, Scylla ou Vald. Et même si son flow n’a pas de mots, son nouvel album Planet Gold parle à plus d’un, ici ou là-bas. Il nous raconte.
PAN M 360 : Pourquoi cet album ?
SOFIANE PAMART : Tu vois, Planet est sorti l’année dernière et on a ajouté six nouveaux morceaux pour arriver à 18 avec Planet Gold. Je fais du piano depuis tout petit, c’était le moment pour moi de faire mon album de piano solo. J’ai décidé de le faire pour parler de mon rapport au voyage. Cet album est à la fois mon premier album de piano solo et en même temps, ça représente mon amour pour le voyage et pour cette terre.
PAN M 360 : Dans l’ombre des rappeurs, naissent des idées ?
SOFIANE PAMART : Ouais. Les rappeurs, je les trouve super inspirants par leur style de vie, leur manière de se représenter par rapport au monde, leur spontanéité. Mon style de vie de pianiste ressemble beaucoup plus à un style de rappeur. Moi, je fais du piano, mais ce sont ceux avec qui je me sens le plus à l’aise, même dans les clips, dans les choses qu’on a. Dans ma communication, on la compare à une communication de rappeur, du fait des similitudes de goûts. Plus que des idées, on fait la même chose. Je suis pianiste, mais moi, je suis traité comme un rappeur parmi les rappeurs.
PAN M 360 : Deux influences déterminantes pour toi ?
SOFIANE PAMART : La première chose : le voyage. Sinon, c’est aussi une histoire familiale. Je suis issu d’une famille non-musicienne et je fais du piano depuis tout petit. Pour moi, c’est un geste symbolique et fort, et une fierté d’accomplissement de tout le travail qu’on a fait depuis tout petit. Aujourd’hui, j’ai une vie d’artiste, autour du piano, et cette vie est permise parce que depuis tout petit, on a toute une organisation autour de la musique. C’est un premier geste fondateur fort que j’ai envers ma famille, pour leur rendre et faire hommage à tous les efforts que mes parents et grands-parents qui n’ont jamais fait de la musique ont dû faire pour moi.
PAN M 360 : Souvent, les personnes qui sortent du conservatoire me racontent naturellement que leurs parents sont musiciens…
SOFIANE PAMART : En fait, tu vois, quand tu viens du milieu, tu as déjà les bonnes références, les codes. Nous, on les avait pas et on s’y est pris autrement. Donc, pour moi, c’est encore plus une fierté. Venant d’une famille de non-musiciens, au conservatoire, ça joue beaucoup.
PAN M 360 : Quel est ton regard sur la sphère du conservatoire et ce côté élitiste ?
SOFIANE PAMART : C’est vrai qu’aller au conservatoire, c’est en comprendre les codes et la grosse compétition qui se joue à la fois sur ton niveau de musique, mais aussi sur tes références plus culturelles classiques. Quelque chose que t’as, un type de personne plus que d’autres au conservatoire. Vu que moi, j’ai réussi à aller jusqu’au bout du conservatoire, mais en ayant un environnement qui n’a rien à voir, je suis très à l’aise dans ma vie pour passer d’un monde à l’autre. Je prends ce qu’il y a de bon dans tous les mondes. Je crée une sorte de lien entre ces mondes. Mon public n’aurait pas entrepris la démarche d’écouter un album de piano solo. Autour de moi plein de gens s’intéressaient au piano parce que j’en faisais, mais ça l’est encore plus maintenant que j’ai de la visibilité. Ils aiment cette démarche parce qu’ils ont l’impression qu’ils auraient fait comme moi.
PAN M 360 : Comment répondre aux puristes classiques, qui restent dubitatifs ?
SOFIANE PAMART : Moi, le rapport à la musique dans la critique et l’analyse, qui se veulent très cérébrales, je trouve ça chiant, vraiment ennuyant. C’est mon approche personnelle. Je ne veux pas frustrer les gens qui veulent en avoir une approche intellectuelle mais ce n’est pas mon tempérament. Du coup, je suis bien content de ne pas être dans ce milieu-là. Je suis content d’évoluer entre plusieurs univers où on voit les choses de manière plus positive. On voit d’abord les choses sous l’angle cool. L’important, c’est de toucher, d’être ému. Ça, ça dépasse le répertoire technique. Ça, ça vient après. C’est intéressant de comprendre comment un artiste crée, mais ça vient après. Je suis très content de m’écarter de ça. Si ça te fait du bien de te dire qu’il y a des clins d’œil à Debussy, je suis grave content, et si t’as aucune référence classique et que ça te fait penser à une musique de film ou complètement autre chose, je suis très à l’aise avec ça.
PAN M 360 : A propos du morceau Madagascar, tu avais quoi en face de toi et à quoi tu as pensé ?
SOFIANE PAMART : J’adore Madagascar, c’était vraiment incroyable comme expérience. J’ai adoré aller là-bas. Même s’il y a des moments qui ont été un peu tristes. Le pays est magnifique mais il y a beaucoup de pauvreté, et tu vois des scènes vraiment marquantes. Mais en fait, ce que j’ai cherché à traduire dans cette chanson, c’est plus l’émerveillement que j’avais. Tu vois, c’est des pluies de notes, parce qu’en fait je trouve que c’est vraiment un endroit magnifique, imposant par sa beauté. C’est très magistral pour moi, le thème de Madagascar, tu vois. Parce que je voulais raconter ça et c’est l’impression que j’ai eue en arrivant. J’étais à Madagascar et aussi à Nosy Be, qui est un peu plus « paradisiaque », mais j’ai fait les deux.
PAN M 360 : Finalement le rap est un condensé riche d’une multitude d’horizons, qu’est-ce que tu entends apporter à travers le piano ?
SOFIANE PAMART : C’est plus large que seulement dans le rap. Je rallie dans ma manière de travailler les gens qui n’ont pas les codes du piano, mais je m’adresse à toute personne qui sera émue par la musique. J’aime bien quand tu m’expliques que tu as appris le piano jeune et que ça te donne envie de rejouer ou de commencer à jouer. Moi, j’aime bien ce rapport-là, à la fois où ce morceau, t’en fais une histoire personnelle. Soit, ça te donne envie d’aller plus loin, de jouer, créer un reproduire, soit, t’es juste en train de t’évader. C’est pour ça que j’ai un album sur le voyage. Je trouve que c’est quelque chose qu’on peut tous avoir, l’évasion par l’imaginaire, c’est un voyage intérieur. Vu qu’il y a pas de mot, ça laisse la place pour te faire ta propre histoire.
PAN M 360 : Médaille d’or du conservatoire de Lille, un répertoire de rap fourni, un style à la pointe, une entreprise, YouPiano, diplômé de droit à Lyon, un MBA en management, quelles sont tes failles ?
SOFIANE PAMART : [rires] Ben non, après, tu sais, c’est normal qu’en tant qu’artiste, tu montres ton meilleur visage, tes meilleurs atouts. Les failles, tu vas les garder secrètes. Être très émotif, c’est parfois une qualité, parfois un défaut. Moi, mes failles vont de pair avec mes qualités. Être très émotif peut se retourner contre toi, et t’es moins en maîtrise de ce que tu voudrais. Être très productif fait que t’as un rapport obsessionnel avec le fait de travailler, ça peut être une faille. Après, j’aime beaucoup la vie, voyager. Je tiens pas en place si je reste trop longtemps au même endroit. On a des failles de nos qualités, ça va de pair.
PAN M 360 : Est-ce que t’es un peu hyperactif ?
SOFIANE PAMART : Oui, à fond. Surtout petit, maintenant je gère mieux, mais petit, c’était abusé.
PAN M 360 : Le piano, ça canalise ?
SOFIANE PAMART : Le piano, ça me canalise grave parce qu’à ce moment-là, je suis focus, j’oublie tout.
PAN M 360 : Tu joues d’autres instruments ?
SOFIANE PAMART : Uniquement du piano. Par contre, ce qui est bien et que je fais beaucoup avec les beatmakers, c’est à partir du clavier, aller vers plein d’autres types d’instruments.
PAN M 360 : Quel est ton mood pour les projets musicaux à venir et envisages-tu avoir des invités ?
SOFIANE PAMART : J’ai pas encore pensé à inviter d’autres pianistes. Le plus naturel pour moi, ce sera avec ma sœur, Lina. Pour moi, ce sera elle, la première invitée. Ma sœur a choisi une autre voie, elle est diplomate, mais à côté de ça, elle a un très haut niveau en violon. Elle est plus jeune. Elle fait aussi plein de concerts avec moi. Récemment, on a composé ensemble la musique de la publicité pour [la série de jeux vidéo] Assassin’s Creed.
PAN M 360 : Que la famille pour l’instant ?
SOFIANE PAMART : Que la famille.
PAN M 360 : Tes pianistes du moment ?
SOFIANE PAMART : J’aime Chilly Gonzales. Lui, c’est un personnage ! En tant que pianiste, il casse les codes, avec son côté humoristique, farceur, c’est vraiment un truc propre à lui. Ça et Tigran Hamasyan, dont tu parlais avant [discussion hors micro], et Henri Barda, un maître que j’ai eu en classique. Il joue Chopin comme personne.
PAN M 360 : Et YouPiano, c’est quoi ?
SOFIANE PAMART : Avant, quand j’avais encore le temps d’enseigner le piano, j’avais développé une manière d’apprendre le piano sans passer par le solfège. Ma préoccupation, c’était d’avoir un piano que tout le monde peut s’approprier, et ça se ressent dans ma musique. Mon rapport à l’apprentissage est le même, apprendre sans passer par le solfège en ayant des résultats valorisants. Dans pas longtemps, je sortirai des cours liés à ma pédagogie. Je suis très proche de l’écosystème start-up, les idées fusent de partout.
PAN M 360 : Et d’ailleurs, tes partitions, tu les proposes ?
SOFIANE PAMART : Pas encore, mais c’est en cours, on me les demande tous les jours.
PAN M 360 : Quelque chose à ajouter ?
SOFIANE PAMART : J’ai hâte de venir jouer au Canada. J’ai déjà joué, il y a deux ans, à Montréal. Dès qu’on ouvrira les frontières. Là, tout est en suspens, l’Olympia est reporté sans cesse, on verra. On croise les doigts.