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Architecte de la techno de Détroit des années 1980-1990, voilà plus de trente ans que Jeff Mills est à l’avant-garde des musiques électroniques. Au cours de sa prolifique carrière, le « Wizard » a collaboré avec des orchestres symphoniques, exploré le jazz futuriste avec son groupe Spiral Deluxe, le jazz électronique aux côtés de feu Tony Allen et du français Jean-Phi Dary. Aujourd’hui, Jeff Mills s’associe au multi-instrumentiste détroitien Rafael Leafar. Avec The Override Switch, Mills et Leafar nous proposent une conversation musicale où instruments à vent et machines se répondent, embarquant le auditrices et auditeurs dans un futur musical qui dépasse les frontières stylistiques habituelles. Un voyage sur lequel Jeff Mills s’ouvre dans cette entrevue.
PAN M 360 : Après avoir lu sur Rafael Leafar et vous, en écoutant l’album, j’ai l’impression que vous partagez une vision commune de la musique. Sur le site Web de Rafael Leafar, la musique est décrite comme un véhicule et le processus de création est vu comme un voyage, ce qui semble résonner avec votre approche de la musique. Le titre du webzine publié par votre étiquette Axis, The Escaped Velocity, induit également l’idée de mouvement dans l’espace, dans le temps. Quelle place occupe ce concept de mouvement dans votre processus créatif personnel? Et comment s’exprime-t-il à travers The Override Switch?
Jeff Mills : Je conçois la musique comme un vaisseau et un véhicule, non seulement d’informations dans les sons que nous recevons, mais aussi de l’âme et de l’esprit. Je pense que c’est un consensus qui serait facile à repérer à Détroit, parmi les musiciens, car on nous apprend à respecter ce que l’on ressent, pas seulement ce que l’on apprend. La plupart des formes de musique modernes et populaires dérivent du blues, donc l’idée d’utiliser la musique pour emmener quelqu’un quelque part ou d’utiliser la musique comme excuse pour atteindre un niveau de conscience plus élevé vient de la canalisation des pensées vers ce qui nous libère. Se reconnecter à l’endroit d’où nous venons : les étoiles. Être capable de communiquer par des moyens qui nous ont été retirés et supprimés : les harmoniques. Et avoir un sens plus précis du temps et de l’espace qui nous ont été donnés. Rafael et moi comprenons tous les deux cela.
PAN M 360 : Je crois comprendre que The Override Switch est une œuvre d’expérimentation. Dans quelle mesure est-ce un album d’improvisation? Y a-t-il eu beaucoup d’essais et d’erreurs? Le mélange de vos pensées créatives était-il naturel?
Jeff Mills : En fait, il s’agit plus des subtilités de la communication que d’essayer de trouver de nouvelles façons de traduire. Je pense que nous savions quel était l’objectif et comment l’atteindre. Je pense que l’expérimentation est à envisager lorsqu’il n’y a pas d’objectif apparent. Nous avons réagi en conséquence et de manière naturelle, dans une conversation musicale sur ce qui peut être fait pour surmonter les obstacles de la vie. Nous avons improvisé comme vous le feriez avec un étranger à propos du temps. La création des mixages était la troisième et dernière étape de cette conversation. Ils n’ont été conçus que pour souligner les points de la discussion.
PAN M 360 : Si je ne m’abuse, l’album a été enregistré en studio, mais à cause de la pandémie, vous n’étiez pas ensemble. Comment parvenez-vous à créer un « environnement non perturbé » tout en étant séparés l’un de l’autre?
Jeff Mills : Nous avons tous deux des studios privés, le bon matériel et la bonne méthode qui nous ont permis d’enregistrer individuellement. Nous étions donc libres d’appliquer ce qui, selon nous, permettait aux compositions d’aborder les sujets. Il n’y a pas eu beaucoup de discussions verbales ou écrites. Toutes les compositions ont été créées en 3 étapes. 1) J’ai créé la base de la piste, 2) Rafael a enregistré toutes les parties d’instruments à vent et 3) J’ai mixé toutes les pistes jusqu’à la version master.
PAN M 360 : J’ai lu que Rafael et vous avez été présentés par Mike Banks. Pouvez-vous m’en dire plus sur des acteurs du milieu qui agissent ou ont agi comme un « pont » entre différentes sphères musicales et ont ouvert de nouveaux horizons dans la musique?
Jeff Mills : Oui, c’est par l’intermédiaire de Mike Banks que Rafael et moi nous sommes rencontrés. C’était juste un hasard et le moment opportun. Rafael a séjourné chez Mike pendant une courte période et je discutais régulièrement avec lui pour trouver des musiciens avec qui travailler. Détroit possède une communauté de musiciens plutôt soudée, qui comprend également des DJ et de nombreuses personnes liées à la musique. Si nous ne nous sommes jamais rencontrés, nous ne sommes qu’à une personne près de les connaître, il est donc facile d’entrer en contact.
Nous avons toujours partagé des informations et des idées sur la musique. Je pense que cela vient directement de l’héritage de la Motown de Berry Gordy. Comme Nashville, Chicago et La Nouvelle-Orléans, Détroit est l’une de ces villes américaines particulières où l’on trouve des générations de personnes qui sont bien connectées à l’industrie de la musique, qui la comprennent dans un sens plus profond. Pas seulement comme un produit commercial populaire. Il y a donc de nombreux ponts.
PAN M 360 : La relation, le lien que vous avez chacun avec la ville, et bien sûr avec Détroit en particulier, semble très important. Pouvez-vous penser à un endroit à Détroit qui a été structurant dans votre travail ou qui a le potentiel d’être structurant (ou inspirant) pour la prochaine génération de musiciens de Détroit?
Jeff Mills : Eh bien, pas exactement. Il n’y a pas de lieu précis. Il s’agirait plutôt d’un état d’esprit. Et tout le monde peut le posséder parce que la musique a toujours été accessible. En d’autres termes, tout ce qui a été publié dans la catégorie « Detroit Techno » est probablement disponible. Avec le recul et en regardant en arrière, je pense que l’une des qualités les plus importantes de la Detroit Techno est que toutes ces étiquettes indépendantes n’ont pas été mises sous contrats, compilées et mises sur les étagères par de grandes sociétés de médias. Nous restons toujours libres et flexibles pour tracer nos propres voies. Ainsi, les futurs artistes peuvent arriver à tout moment, de n’importe où et pour n’importe quelle raison.
PAN M 360 : Allez-vous présenter cet album en live? Dans quel type d’espace physique pensez-vous que The Override Switch serait le mieux adapté?
Jeff Mills : Nous aimerions présenter l’album dans une performance sur scène. Rafael est une force musicale tellement incroyable, que je pense que si vous avez un jour l’occasion de le voir jouer, vous ne devez pas hésiter. Je ne peux pas vraiment suggérer un type de cadre spécifique, car comment le saurions-nous vraiment, mais comme pour l’album, je pense que le sujet s’adresse à tout le monde.