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Guitariste, improvisateur et compositeur, le Britannique Fred Frith est une figure emblématique du FIMAV, puisqu’il s’y produit régulièrement depuis les tout débuts. parmi les leaders esthétiques du mouvement rock in opposition avant de changer de continent, il fut membre de formations mythiques des années 70, à commencer par Henry Cow. Son parcours d’improvisateur l’a mené ensuite à emprunter plusieurs pistes stylistiques, des dizaines d’albums en témoignent.
Revoilà Fred Frith en formule trio + 1, entouré de Jason Hoopes, basse électrique et Jordan Glenn, batterie, rencontrés en Californie une décennie plus tôt alors qu’il enseignait au Mills College d’Oakland, institution renommée depuis des lustres pour sa propension aux musiques contemporaines et expérimentales.
Sous étiquette Intakt, deux albums témoignent de cette complicité, cohésion et cohérence langagière. L’opus intitulé Road compte la saxophoniste Lotte Anker et la trompettiste Susane Santos Silva – cette dernière incarne le +1 de la formule au FIMAV, ce vendredi au Carré 150 de Victo. Artiste visuelle de renommée internationale, de surcroît la compagne de Fred Frith, Heike Liss confère à cette musique une dimension visuelle qui en fait une œuvre totale.
À l’évidence, Fred Frith n’a rien perdu de sa superbe, de son intransigeance et de son éloquente promptitude, en témoignent ses réponses aux questions de PAN M 360.
PAN M 360 : Comment décririez-vous la progression de ce noyau : vous-même, Jordan Glenn et Jason Hoopes. Depuis quelques années, vous avez enregistré avec eux sur Intakt Records.
FRED FRITH : Nous avons commencé à jouer ensemble il y a environ dix ans. À l’époque, Jason jouait encore de la contrebasse, et nous explorions un type d’improvisation plus calme en trio plus. À un moment donné, il est passé à la basse électrique, ce qui nous a immédiatement propulsés dans une direction différente. J’entends dans le jeu de Jason une relation similaire à celle que Scott LaFaro avait avec la contrebasse à l’époque, une intrépidité absolue et surtout une volonté d’utiliser toute la gamme de l’instrument, y compris le registre aigu. Cela nous sort du cadre traditionnel du trio rock, et lorsque vous ajoutez un batteur aux dons uniques de Jordan, je me sens très enthousiaste à chaque fois que nous jouons, même en répétition !
PAN M 360 : Depuis que vous avez pris votre retraite du Mills College, où êtes-vous basé ? Il est évident que vous êtes toujours actif et que vous continuez à créer de la musique.
FRED FRITH : Je vis à Santa Rosa, en Californie, à une heure au nord de San Francisco.
PAN M 360 : À propos de votre lien artistique avec l’excellente trompettiste portugaise Susanna Santos Silva ? Comment l’avez-vous rencontrée et qu’avez-vous accompli ensemble ?
FRED FRITH : Elle avait participé à un atelier que j’ai codirigé avec Mark Dresser à Lisbonne en 2011. Il était évident qu’elle avait un grand talent et nous sommes restés en contact. Depuis, elle s’est jointe à plusieurs de mes projets – en tant que soliste dans une pièce que j’ai écrite pour le Hessisches Rundfunk Big Band, dans différents trios avec Chris Cutler, Lotte Anker et Sten Sandell, et plus récemment en tant qu’invitée du trio – notre projet avec Susana et Heike a déjà tourné sur la côte est des États-Unis et au Brésil. Notre prestation en duo au festival Météo de Mulhouse est maintenant publiée sous forme de CD sur le label Rogu’Art à Paris.
PAN M 360 : Comment cette musique a-t-elle évolué depuis l’enregistrement de 2021 ? Lotte Anker devait-elle participer à cette tournée ou s’agit-il désormais d’un autre projet ?
FRED FRITH : Nous avons invité plusieurs personnes au fil des ans, non seulement Susana et Lotte, mais aussi Jessica Lurie, Evelyn Davis et Ikue Mori, par exemple. Il n’y a pas de « supposé » – il s’agit de se remettre en question en permanence. Après la pandémie, nous avons expérimenté la musique écrite, et nous y reviendrons peut-être, mais pour l’instant, nous aimons travailler avec des idées qui n’ont pas besoin d’être écrites !
PAN M 360 : Quel est le cœur de la quête de cet ensemble ?
FRED FRITH : S’amuser et ne pas perdre son temps…
PAN M 360 : L’âge n’a pas d’importance lorsqu’on écoute votre art. Comment gérez-vous votre propre jeu et votre style après toutes ces années ?
FRED FRITH : Heureux de l’entendre ! Je ne suis pas sûr de ce que vous voulez dire. Je ne » gère » pas mon jeu – je joue ! J’essaie de rester dans l’instant présent.
PAN M 360 : Votre partenaire Heike Liss participe également à cette tournée en tant qu’artiste visuelle. Pouvez-vous nous donner quelques indications sur son travail dans ce contexte ? Et comment voyez-vous le mélange avec la musique de cet ensemble ?
FRED FRITH : Nous collaborons sur Drawing Sound depuis de nombreuses années. Il y a deux versions. Dans l’une, Heike projette son matériel vidéo et dessine par-dessus sur l’ordinateur pendant que nous jouons. Pour l’autre, elle dessine physiquement, par exemple, sur une fenêtre où nous jouons. Nous jouerons cette dernière version, par exemple, à l’Exploratorium de San Francisco en septembre. Il ne s’agit pas de faire un « mélange », mais d’examiner la relation entre ce que nous voyons et ce que nous entendons. Comme le visuel prime pour l’homme, le son est généralement entendu comme un accompagnement de ce que nous percevons visuellement. Que se passe-t-il si l’inverse est vrai ? Est-il possible de subvertir cette relation, de la remettre en question spontanément ?
PAN M 360 : Après quatre décennies de musique, vous restez fidèle au FIMAV. Comment situez-vous ce festival sur la carte mondiale des musiques d’avant-garde et aventureuses ?
FRED FRITH : Le FIMAV a toujours occupé une place de choix dans mon cœur parce que j’étais là au tout début, avant le début en fait. Je trouve extraordinaire que Michel ait pu maintenir un festival d’une telle radicalité et d’une telle qualité dans un endroit aussi éloigné. Cela exige une combinaison très particulière de passion pour la musique, d’obstination face aux obstacles administratifs et de curiosité pour découvrir ce que l’on ne connaît pas. Et la capacité de réunir et de soutenir une équipe pour l’aider à réaliser sa vision. Il y a très peu de festivals comme celui-ci. Et la loyauté va dans les deux sens !
PAN M 360 : De toute évidence, cette approche attirait les jeunes amateurs de musique dans les années 80 et 90. Et aujourd’hui ? Quel est son public dans le monde ? Multigénérationnel ? Plus âgé ?
FRED FRITH : C’est pour moi une question étrange parce qu’elle implique qu’il n’y a qu’une seule approche, ou qu’un seul type de musique, alors que l’intérêt du FIMAV est qu’il a embrassé une telle diversité d’approches sonores, bien plus que pratiquement n’importe quel autre festival que je pourrais nommer. Ce qui le rend attrayant, c’est que vous entendrez des choses que vous ne connaissez pas et que vous découvrirez des champs d’action que vous voudrez explorer plus avant. C’est tout aussi vrai aujourd’hui qu’à l’époque, et le public pour tous ces types de musique est absolument multigénérationnel, même si un groupe démographique plutôt restreint se rend à Victoriaville. En fait, son influence s’étend bien au-delà de l’endroit lui-même…
PAN M 360 : Que dire de Michel Levasseur avant sa retraite ? Parmi d’autres directeurs artistiques dans le monde, comment voyez-vous sa propre contribution ?
FRED FRITH : Comme beaucoup d’autres, Michel voulait entendre de la nouvelle musique intéressante et ne voulait pas avoir à se déplacer pour le faire. Il a donc créé le festival pour que cela soit possible. Le fait qu’il existe toujours en témoigne, non ? Chapeau !
PAN M 360 : À Knoxville au Tennessee, le directeur artistique du festival Big Ears m’a dit un jour que le FIMAV avait été une de ses premières sources d’inspiration. Comment voyez-vous l’évolution de ces festivals et labels au cours de votre carrière ? Où en sommes-nous aujourd’hui ?
FRED FRITH : Le FIMAV, Music Unlimited à Wels, en Autriche, Banlieues Bleues et Sons d’Hiver à Paris, Musique Action à Nancy, Other Minds à San Francisco, Taktlos et Unerhört à Zürich. Ceux-ci et quelques autres sont des phares de lumière et d’espoir dans mon monde. Sans leur soutien, je ne serais pas là où je suis.