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La quête texturale, l’improvisation libre, le bruitisme, le drone et les aventures électroacoustiques ne sont plus l’apanage de l’Occident. Dans la région éprouvée du Levant, existe ce raffinement de l’avant-garde mondialiste,
Malgré une crise prolongée ayant mis à mal la population libanaise, malgré l’explosion de Beyrouth (été 2020) ayant fait déborder le vase des frustrations, il existe toujours des artistes valeureux et volontaires qui se relèvent et font avancer les choses.
Sharif Sehnaoui, guitariste, compositeur, improvisateur et promoteur du FESTIVAL IRJITAL, événement relativement comparable au FIMAV, persiste et signe. En tant qu’artiste, il se produisait samedi avec ses vieux compagnons de route, le contrebassiste Raed Yassin et le trompettiste Mazen Kerbaj.
Les sonorités exploitées sont fines et linéaires, épais sédiments texturaux via lesquels on trouve des usages inédits des instruments et de subtiles émanations sonores.
PAN M 360 : Qu’est devenu Irtijal depuis l’explosion de 2020?
SHARIF SEHNAOUI : Nous avons miraculeusement réussi à maintenir le festival annuellement malgré les multiples crises qui ont affecté le pays. L’édition 2020 fut la plus dure, une édition à 90% locale, deux jours de concerts, la moitié en format secret pour contourner certaines restrictions relatives à la pandémie. En 2022, nous sommes presque revenus à notre format habituel, ce qui fut un véritable bonheur.
PAN M 360 : Qu’es-tu devenu depuis ces sombres événements?
SHARIF SEHNAOUI : Je persiste avec le festival et l’association qui l’organise. Alors que je m’en étais éloigné quelque peu au profit de ma pratique musicale, j’ai dû m’investir plus que jamais dans le travail d’Irtijal, pour combattre la crise et la morosité, et ainsi essayer de dynamiser la scène musicale libanaise autant que possible.
PAN M 360: Comment t’es-tu adapté à cette pénible conjoncture?
SHARIF SEHNAOUI : Difficilement. Il y a eu des hauts et des (très) bas, mais continuer à porter l’association a contre-courant était un défi de taille. Aussi, j’ai souvent été plus motivé que jamais lorsqu’il s’agissait de jouer de la musique, de composer, de faire des concerts. J’en ai aussi profité pour renforcer certaines choses dans ma pratique que j’avais en tête depuis longtemps.
PAN M 360 : Quelles sont les perspectives pour la suite des choses, en tant que musicien, créateur et organisateur culturel libanais ?
SHARIF SEHNAOUI : On semble revenir vers ce qu’on connait déjà. Quelles traces resteront de ce passage dans l’inconnu? Time will tell.
PAN M 360 : Le trio crée-t-il ses nouvelles propositions à partir de Berlin?
SHARIF SEHNAOUI : Oui, nous nous y retrouvons souvent et essayons de renforcer nos idées, d’incorporer des choses que nous avons développées individuellement de notre côté. Il faut dire que c’est une chance de garder ce bonheur de jouer ensemble après 20 ans et les choses deviennent alors plus simples à mettre en place.
PAN M 360 : Quelle est selon toi la particularité artistique de chacun dans ce trio? Quels sont les rôles respectifs, compte tenu des instruments joués et de l’approche musicale de chacun?
SHARIF SEHNAOUI : Il n’y a pas de rôles justement, nous avons chacun la liberté d’adopter n’importe quel rôle. Le but pour nous est d’avoir un son unique et particulier à ce trio et de sonner à trois comme si nous ne formions qu’un.
PAN M 360 : Quels sont les équipements de chacun au-delà de vos instruments de prédilection?
SHARIF SEHNAOUI : Trompette, guitare acoustique et contrebasse avec une multitude d’objets qui nous permettent d’élargir notre palette sonore à l’extrême.
PAN M 360: Comment ce trio a-t-il évolué au fil du temps?
SHARIF SEHNAOUI : En passant par le free jazz et le minimalisme, nous nous sommes établis dans une approche qu’un écrivain suédois a un jour qualifié de “textural swing”. Nous aimons cette expression. Nous aimons aussi les collaborations avec des musiciens qui ont des approches différentes de la nôtre, ce qui nous pousse à explorer de nouvelles régions sonores et musicales.
PAN M 360 : Vers où et quoi cela se dirige-t-il?
SHARIF SEHNAOUI : Nos improvisations sont beaucoup plus structurées et, depuis récemment, nous explorons l’usage de partitions graphiques et d’éléments plus mélodiques, mais il nous arrive aussi de recourir à l’improvisation la plus totale pour casser nos habitudes. Toutes ces approches sont également intéressantes pour nous et aident le trio à rester créatif. L’essentiel pour nous est de maintenir le plaisir de jouer, tout passe par là. Le jour ou l’ennui prendra le dessus, ce sera peut-être la fin de ce trio mais heureusement nous en sommes très loin.