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À Montréal, la deuxième moitié de novembre est depuis une quinzaine d’années la période de pointe de l’excellent Festival Bach, dont le concert du jeudi 17 s’annonce comme l’un des plus remarquables de sa programmation : venu d’Allemagne, l’Internationale Bachakademie Stuttgart soude un orchestre baroque et un chœur, soit le Gächinger Kantorei, ce qui constitue ensemble de musique ancienne parfaitement assorti. Sous la direction de Hans-Christoph Rademann, la formation s’est taillé une réputation internationale pour son style Bach de Stuttgart , dont les experts reconnaissent la charge émotionnelle et la précision virtuose.
Pour nous mettre au parfum de l’escale montréalaise de l’Internationale Bachakademie Stuttgart à la Maison symphonique ce jeudi, 19h30, PAN M 360 s’entretient avec le ténor Benedikt Kristjánsson qui incarne Saint-Jean l’Évangéliste dans La Passion selon saint Jean, BWV 245, de JS Bach, composée par cantor de l’Église Saint-Thomas de Leipzig peu après son entrée en fonctions et créée un Vendredi saint, le 7 avril 1724.
Nous voilà le 17 novembre 2022 et le chef-d’œuvre demeure une pièce maîtresse de la période baroque au domaine des musiques sacrées.
PAN M 360 : Bach est le compositeur central de cet ensemble, mais vous êtes également impliqués dans de nombreux types de baroque ?
BENEDIKT KRISTJANSSON : Oui, je dirais que Bach est définitivement central, et que la musique baroque est au cœur de l’ensemble. Mais M. Rademann peut aussi diriger du Haydn, du Mozart ou du Schumann.
PAN M 360 : Quel est votre lien avec La Passion selon saint Jean ?
BENEDIKT KRISTJANSSON : Eh bien, il n’y a probablement aucune œuvre que j’aie chantée autant que celle-ci. Je l’ai fait dans plusieurs ensembles, et aussi avec des danseurs, en formation réduite à deux instruments ou même avec des enfants. Donc ça a évolué avec moi pendant au moins les 10 dernières années de ma carrière.
PAN M 360: Comment situez-vous cette oeuvre par rapport aux autres oeuvres à grand déploiement de Bach ?
BENEDIKT KRISTJANSSON : C’est une œuvre très dramatique, qui conviendrait presque à un opéra. Alors que la Passion selon sait Matthieu de Bach, par exemple, est plus contemplative. Plus sacrée en quelque sorte. Plus spirituelle que théâtrale., bien que la Passion selon saint Jean soit aussi très spirituelle.
PAN M 360 : Le rôle de l’ Évangéliste serait donc beaucoup plus « théâtral »que d’autres incarnations dramatiques des passions de Bach.
BENEDIKT KRISTJANSSON : Oui. Dans cette Passion selon saint Jean, le chanteur doit disposer de plus d’armes dans son arsenal pour représenter saint Jean que c’est le cas dans la Passion selon saint Matthieu. Je pense que les arias de cette œuvre sont aussi différents dans le texte comme dans l’approche.
PAN M 360 : Si vous comparez cette œuvre à d’autres de JS Bach, comment en évaluez-vous le niveau de difficulté ?
BENEDIKT KRISTJANSSON : Je pense que chanter Bach est toujours très difficile. Je n’ai jamais chanté une Passion de Bach en me disant que c’était très simple. Je veux dire, en fait, c’est toujours plus long à maîtriser, ça demande beaucoup plus de concentration et d’énergie pour mettre toute l’histoire sur la table, alors qu’une cantate est beaucoup plus courte, le message est plus bref.
PAN M 360 : Et comment voyez-vous l’évolution de l’exécution de cette pièce par cet ensemble. Où étiez-vous auparavant ? Où en êtes-vous maintenant ?
BENEDIKT KRISTJANSSON : Après le départ de son fondateur Helmuth Rilling et l’arrivée de M. Rademann, l’ensemble a changé de manière significative. Aujourd’hui, par exemple, les œuvres sont jouées exclusivement avec des instruments d’époque. Le cerveau musical de Rademann est complètement différent de celui de Rilling. Je dois ajouter que l’ancienne direction était fantastique à sa façon. Mais je n’avais pas l’impression que ça allait dans le sens du renouveau baroque d’aujourd’hui, initié par Johann Nikolaus Harnoncourt. Et je pense que cette musique est plus justement interprétée aujourd’hui, elle est à mon sens plus belle avec des instruments d’époque. Et vous avez aujourd’hui des interprètes qui se concentrent sur la musique baroque et qui ont forcément développé une expertise en ce sens. Bien sûr, c’est une question de goût, bien sûr mais, personnellement je pense que c’est beaucoup mieux de manière générale. Et j’aime aussi la dimension théologique dans sa manière de diriger.
PAN M 360 : Que voulez-vous dire ?
BENEDIKT KRISTJANSSON : Que Rademann est vraiment fasciné par le texte sacré, par ce qui doit être dépeint, par ce à quoi Bach pensait quand il a composé l’œuvre dont il est ici question. Il ne réfléchit pas seulement à la façon dont doit sonner l’œuvre selon les consignes de sa partition, il pense aussi au texte sacré porté par la musique. Et donc il porte un soin particulier à toutes les phrases, tous les mots prononcés par les solistes de manière à traduire le texte sacré le plus fidèlement possible. On le voit dans les inflexions vocales, par exemple, lorsque Jésus comparaît devant Pilate et que ce dernier tente de se persuader lui-même qu’il est plus haut que lui et son dieu, qu’il est la personne détenant le pouvoir. Ce genre de détail suggéré par Rademann m’apparaît comme de la poudre d’or qui se dépose sur l’œuvre ainsi interprétée.
PAN M 360 : Lorsque l’on dirige ou l’on joue la musique d’une telle œuvre fondée sur un texte religieux, y croire vraiment peut-il en élever l’interprétation d’après vous ?
BENEDIKT KRISTJANSSON : C’est la même chose si vous faites de l’opéra et que vous devez interpréter un texte de fiction. Vous devez aller au cœur du ou des personnages que vous devez incarner. Vous devez comprendre le contexte du livret et trouver une sorte de vérité pour vous même en tant qu’interprète, une vérité parfois liée à votre propre vie. Donc c’est ce que vous devez faire ici avec un texte tiré de la Bible. Je suis personnellement très religieux, Rademann est aussi religieux comme le sont d’autres personnes dans l’orchestre. D’autres ne le sont pas. En fait, ce n’est absolument pas nécessaire d’être croyant ou religieux pour cette interprétation, il est plutôt nécessaire d’aller en profondeur dans le thème de l’œuvre.
PAN M 360 : Que les membres de votre ensemble croient ou non, ils sont majoritairement issus de la tradition luthérienne allemande, c’est-à-dire une grande connexion mystique entre la musique et le sacré. Vous êtes donc lié vous-même à cette tradition, n’est-ce pas ?
BENEDIKT KRISTJANSSON : Oui, absolument. Mon père étant évêque, j’ai été élevé dans cet environnement et j’en conserve les valeurs. Cela dit, la croyance n’est pas un prérequis à une grande interprétation d’un texte sacré mis en musique. C’est un choix individuel et vous choisissez ce que vous voulez lorsque vous absorbez cette connaissance en tant qu’artiste.