De Jérusalem à Montréal… à la lune ! Longue migration d’Ayalet Rose Gottlieb

Entrevue réalisée par Alain Brunet

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Née à Jérusalem où elle entreprit des études musicales pour ensuite les compléter aux États-Unis, la chanteuse et compositrice Ayelet Rose Gottlieb  a vécu plusieurs migrations avant de s’établir récemment à Montréal, avec mari et enfants. Ses pratiques d’intégration de cultures moyen-orientales et occidentales dans une approche contemporaine l’ont menée à investir des réseaux importants de l’avant-garde. 

Elle a chanté notamment au sein du groupe vocal Mycale, dont deux enregistrements figurent dans la collection Masada Book Two chez Tzadik, le label de John Zorn avec qui elle a collaboré. À Vancouver où elle a résidé pendant quelques années, elle a collaboré notamment avec le clarinettiste François Houle et la chanteuse DB Boyko. De Montréal, elle a rebâti son véhicule d’expression, formation pluraliste réunissant des artistes issus de tous horizons, en plus de mettre de l’avant les ateliers Vocal Intensive.  

Le plus récent de sa dizaine d’enregistrements s’intitule 13 Lunar Meditations, créé de concerts avec des musiciens montréalais et autres collaborateurs. Ainsi, les mélomanes du Festival international de musique actuelle de Victoriaville (FIMAV) pourront voir et entendr Ayelet Rose Gottlieb chanter et diriger cette formation composée de Jennifer Thiessen, à l’alto,  la viole d’amour et au chant, Bernard Falaise à la guitare électrique, Stéphane Diamantakiou à la contrebasse, Ivan Bamford à la batterie, Hamin Honari aux percussions.

 

PAN M 360 : De Jérusalem à Montréal, il s’est passé des choses de votre côté! Pourriez-vous SVP en décrire la trajectoire?

AYELET ROSE GOTTLIEB : J’ai grandi en Israël mais j’ai quitté le pays il y a longtemps. J’ai vécu à Boston, New York, en Nouvelle Zélande, je fus brièvement de retour en Israël, puis j’ai passé par Londres, Vancouver et Montréal où je suis établie depuis trois ans. Mon mari y travaille dans le cinéma d’animation, il a trouvé un emploi ici et nous nous y sommes établis avec nos trois enfants en bas âge. Nous avons beaucoup déménagé (rires) , mais j’ai aujourd’hui le sentiment d’avoir trouvé mon vrai domicile. Je peux m’imaginer y passer ma vie entière, la perspective d’y mourir ne me rend pas triste (rires). 

PAN M 360 :  Évidemment, l’atmosphère de Montréal est beaucoup moins tendue qu’en Israël ou dans plusieurs métropoles occidentales. Comment voyez-vous le contraste?

AYELET ROSE GOTTLIEB :  Ayant grandi à Jérusalem, j’ai été rapidement habituée à vivre sous tension. Ce qui s’y passe actuellement est vraiment crève-cœur pour ses communautés… mais ce qui n’est pas nouveau… Alors bien sûr, il y a des choses à Montréal que je n’apprécie pas, mon impression générale est néanmoins la suivante : il y a  ici une super  communauté artistique, il y a énormément de créativité, il y a le pluralisme, une grande diversité de communautés. Je vis à NDG, c’est plus facile pour moi qui ne parle pas encore français couramment vu notre arrivée récente. À la maison, nous parlons hébreu. Mon mari et moi sommes originaires d’Israël, nos familles respectives y vivent toujours. Ma famille me manque, la cuisine et le climat me manquent mais… les tensions constantes et les agendas politiques, non ça ne me manque pas du tout!

PAN M 360 :  Vous êtes quand même fière de perpétuer la culture juive à travers votre art et votre culture au quotidien. Comment cela se manifeste-t-il?

AYELET ROSE GOTTLIEB :  Je continue à lire l’hébreu et à le parler avec mon mari et mes à mes enfants qui sont en train de devenir trilingues. Je reste donc très connectée à ma culture juive et Montréal me donne aussi la chance d’y rester connectée. Je suis donc très heureuse d’être devenue citoyenne canadienne, aussi attachée à la communauté artistique de Vancouver où j’ai eu mes trois enfants. Or, cette ville est très chère et tous mes amis doivent résider en lointaine périphérie de la ville, Alors j’avais  du mal à les visiter et je me suis sentie isolée avec mes petits. J’ai toujours eu le sentiment que mon séjour à Vancouver serait temporaire, j’étais donc mûre pour un changement. À Montréal, j’ai un fort sentiment d’appartenir à une communauté, le plus fort sentiment jamais ressenti dans toutes les villes où j’ai vécu. Ma vibration fonctionne très bien avec celle de Montréal!

PAN M 360 :  Votre récent projet inclut musiques traditionnelles et expérimentales, poésie et chant, improvisation libre, jazz, musiques écrites, bruitisme. Comment en êtes-vous venue à cet éclectisme extrême?

AYELET ROSE GOTTLIEB : J’ai grandi dans un milieu où plusieurs cultures se sont croisées. Ma propre famille a des racines juives irakiennes, sépharades de culture latine, ashkénazes d’Europe. Quand j’étais petite, mon père jouait la guitare, mon grand-père paternel la clarinette, mon oncle était aussi musicien amateur et possédait une énorme collection de disques, pop, électronica. Ma famille aimait le jazz et la musique classique. Nous écoutions aussi des musiques arabes, de la chanson française, du flamenco, il régnait donc une grande diversité musicale dans mon environnement. Adolescente, je me suis intéressée au jazz contemporain, au free jazz et autres musiques improvisées. De manière générale, j’écoutais donc tout ce qui m’intéressait sans me soucier du genre. Tous ces sons jouaient dans ma tête lorsque j’ai commencé à composer.

PAN M 360 : Vous avez pu compter sur une excellente formation académique, qui s’est amorcée par une rencontre cruciale à Jérusalem.

AYELET ROSE GOTTLIEB : J’ai travaillé avec des musiciens de jazz atypiques,  je pense d’abord au regretté saxophoniste et pédagogue Arnie Lawrence, avec qui j’ai travaillé à l’adolescence et au début de l’âge adulte. À New York, ce grand professeur avait fondé la New School for Jazz and Contemporary Music pour ensuite s’installer  en Israël, soit à Jérusalem où il créa l’International Center for Creative Music.  Avec lui, l’apprentissage du jazz était très différent, il t’amenait rapidement sur scène et t’incitait à développer une grande écoute d’autrui. De plus, il était inclusif, très ouvert à la communauté arabe; avec lui, nous allions jouer à Ramallah aux côtés de musiciens palestiniens.  Alors il était pour moi naturel de joindre l’oud à un ensemble de jazz acoustique.

Lorsque, par ailleurs, j’ai étudié au New England Conservatory (Boston), je me suis familiarisée au style klezmer et à la culture musicale ashkénaze que je n’aimais pas vraiment lorsque j’étais plus jeune. Soudainement, j’ai apprécié cette musique, et j’ai fait la rencontre du clarinettiste Michael Winograd devenu le directeur artistique de KlezKanada, avec qui j’ai enregistré un album pour voix, électronique et trois clarinettes.

J’aime toutes ces combinaisons,  mon territoire musical se trouve dans ce mélange et je ne me vois pas évoluer dans un seul des genres constitutifs de mes goûts musicaux. Mon éducation musicale est jazz et classique, mes oreilles sont ouvertes aux musiques juives,  arabes et tant d’autres styles que j’accueille très naturellement dans mes compositions.

PAN M 360 : Au-delà des styles impliqués, les formes de votre œuvre sont aussi variées. Pourriez-vous nous les décrire sommairement?

AYELET ROSE GOTTLIEB :  Je ne veux me limiter d’aucune façon. Si quelque chose peut ressembler à une chanson, eh bien une chanson peut naître, comme  la pièce Venus and the Moon sur mon dernier album. Il m’arrive aussi d’opter pour d’autres formes comme celles inspirées des  mélopées d’Oum Kalthoum. J’adore ces formes longues au cours desquelles surgissent différents éléments sonores. J’aime aussi écrire des cycles de chansons autour d’un thème, jeu peux composer pour quatuor à cordes et percussion et exprimer le processus du deuil,  je peux m’inspirer des textes à saveur érotique du Cantique des cantiques., etc. J’aime créer à partir d’un thème et ensuite le déployer sur différentes formes musicales. Musicalement, le choix d’un sujet me permet d’éviter l’éparpillement et d’aller partout où je veux : poèmes épiques, musiques improvisées, chansons, ou formes longues vivent sous un même toit.  En fait, je ne me vois davantage comme une compositrice qu’une songwriter, car ce qui peut ressembler à des chansons dans mon art est généralement intégré à des formes plus vastes. Mon travail ressemble davantage à une arche de créations musicales impliquant plusieurs approches, ficelées par un thème commun. 

PAN M 360 : Vous pouvez compter sur un nouveau groupe, pluraliste et fort intéressant. Comment l’avez-vous constitué ?

AYELET ROSE GOTTLIEB : Stéphane (contrebasse) et Ivan (batterie) ont joué sur mon dernier album, ils collaborent avec moi depuis quelques années, ils sont de formidables musiciens. Bernard Falaise est un superbe guitariste que j’avais entendue  pour la première fois aux Suoni per il Popolo. Jennifer (alto)  est une merveilleuse altiste, avec qui j’ai étudié pendant trois mois la méthode d’écoute profonde de Pauline Oliveiros et qui m’avait aussi été chaudement recommandée. Amin (percussion) est Canadien d’origine persane. Comme moi il était à Vancouver et s’est installé à Montréal, il est notre musicien invité. Ensemble, nous jouerons du matériel inédit, composé pour le FIMAV, aussi quatre ou cinq titres de mon récent album. Je souhaite évidemment jouer cette musique à Montréal le plus rapidement possible mais je n’ai encore rien prévu à ce titre. C’est tout un soulagement que de pouvoir se présenter de nouveau au public, après 15 mois sans pouvoir le faire  en ce qui me concerne.

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