Dakka Dembélé : Petit bateau ne prend pas l’eau

Entrevue réalisée par Alain Brunet

Dans le sillon d’Alpha Blondy et Tiken Jah Fakoly, un reggaeman ivoirien nous invite à bord de son Petit bateau, accosté à Montréal : Dakka Dembélé lance son premier album et nous en joue la matière aux Nuits d’Afrique.

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En mars dernier, Dakka Dembélé devait lancer son album Petit bateau sous étiquette Nuits d’Afrique, la COVID 19 en a décidé autrement. Nous voilà neuf mois plus tard en zone rouge, le spectacle de lancement a finalement lieu sans public, une captation audiovisuelle nous permet d’y assister. Au programme de Petit bateau, le chanteur campe pleinement son rôle de reggaeman et dénonce notamment les périples très risqués des migrants sur ces rafiots surchargés qui peuvent les mener à la noyade plutôt qu’à la terre promise. En revanche, Dakka Dembélé nous propose une croisière roots reggae des plus conviviales, mâtinée de couleurs africaines de l’Ouest, sono mondiale imaginée à Montréal. 

PAN M 360 : Comment expliquer l’importance du reggae en Côte d’Ivoire, où vous êtes né ? Après Alpha Blondy et Tiken Jah Fakoly, d’autres reggaemen émergent d’Afrique de l’Ouest comme c’est aussi le cas au Mali, d’où viennent vos parents. On peut aussi citer le regretté Sud-Africain Lucky Dube parmi vos influences… Explications ?

DAKKA DEMBÉLÉ : Alpha est allé en Jamaïque où il a rencontré Bob Marley et s’est inspiré de la musique reggae. Il est ensuite rentré au pays, en Côte d’Ivoire, où il a fait un premier album très inspiré de son expérience jamaïcaine et il a été le précurseur de ce style en Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire est aussi un pays très ouvert sur le monde contrairement à d’autres pays africains plus conservateurs, c’était donc un terreau fertile pour devenir une plaque tournante du reggae africain. Moi, mes influences principales des reggaemen africains, ce sont définitivement Lucky Dube, Alpha Blondy, Ismael Isaac et Koko Dembélé. Ce sont ces reggaemen qui m’ont  bercé pendant toute mon enfance et adolescence. Tiken Jah est arrivé un peu plus tard et il est aussi une source d’inspiration.

PAN M 360 : Comment vous situez-vous par rapport aux légendes jamaïcaines ? Qui sont vos artistes reggae préférés de Jamaïque ou de la diaspora jamaïcaine ?

DAKKA DEMBÉLÉ : Mes artistes préférés de la Jamaïque sont Peter Tosh, Bob Marley, Culture, Burning Spear, Gregory Isaac, etc. Ce sont des musiques que j’ai tout autant écoutées pendant mon enfance et mon adolescence. Pour moi, ce sont vraiment les pères fondateurs du reggae et j’ai beaucoup de respect pour eux. 

PAN M 360 : Avant de migrer vers l’Amérique du Nord, comment avez-vous appris le métier de musicien, auteur, compositeur et chanteur ?

DAKKA DEMBÉLÉ : Bien que je sois né dans une famille qui s’opposait à ma carrière musicale, la musique a toujours été présente dans ma vie. À l’âge de 9 ans, ma famille a été frappée par la pauvreté; j’ai continué l’école, mais j’allais cirer des chaussures à la gare. Les chants de Bob Marley et d’Alpha Blondy m’ont accompagné durant cette période, et j’ai ressenti le besoin de dénoncer les injustices et les discriminations. Je me suis mis à composer et à écrire en cachette. Jeune adulte, j’ai fondé à Abidjan mon premier groupe avec succès, DakkaGounga. Mais en 2003, j’ai été forcé de m’exiler au Mali à cause de la guerre civile. Treize ans après mon arrivée au Québec en 2007, la sortie de l’album Petit Bateau marque une étape majeure dans mon cheminement d’artiste.

PAN M 360 : Comment décrire la touche africaine dans votre reggae ? Y a-t-il un lien avec vos origines culturelles plus spécifiques ? De quelles communautés ethniques vos parents sont-ils issus ?

DAKKA DEMBÉLÉ : Mes parents sont Dioulas, je chante donc en français et en Dioula. Les Dioulas sont des descendants du Mali. Ils sont généralement des commerçants et se sont toujours déplacés dans toute l’Afrique de l’Ouest. Mon reggae est définitivement campé dans mon histoire africaine. Je traite en grande partie de thèmes liés à l’Afrique, mais aussi à mon expérience d’immigrant ici au Québec. Je fais un reggae aux sonorités ouest-africaines, aux influences métissées. 

PAN M 360 : Comment vous distinguez-vous de vos prédécesseurs et de vos contemporains ? 

DAKKA DEMBÉLÉ : Je m’inscris dans la tradition du reggae francophone et mandingue. Je veux offrir une voix aux marginaux et aux plus démunis, où qu’ils vivent. Je traite d’enjeux liés aux inégalités, je chante la paix, l’espoir et les contrastes entre mon Afrique et mon Québec. Ma réalité canadienne a profondément transformé mon identité et elle teinte aussi mes compositions actuelles. Je me distingue des autres reggaemen africains par une touche toute personnelle à mes compositions qui vient de mon histoire à moi et de ma rythmique personnelle. 

PAN M 360 : Comment décrivez-vous votre processus de création ?

DAKKA DEMBÉLÉ : Mon processus de création est unique en soi. Je débute toujours en solo; je commence par travailler les textes et les mélodies. Comme mentionné, j’écris en français et en dioula, et comme le dioula est une langue tonale dans laquelle la prononciation des syllabes d’un mot est soumise à un ton précis (à une hauteur déterminée ou une mélodie caractéristique), lorsque je compose, je me base sur la mélodie et le mot de manière indissociable. Une fois le squelette de la chanson construit, je la fais écouter à mes collaborateurs qui interviennent sur la composition et les arrangements. 

PAN M 360 : À votre arrivée au Québec en 2007, vous pratiquiez le métier de cordonnier, où avez-vous été formé et pratiquez-vous encore ce métier pour arrondir les fins de mois ? 

DAKKA DEMBÉLÉ : J’ai commencé à cirer les chaussures dans les gares d’Abidjan et ensuite je suis devenu apprenti d’un maître cordonnier à Trechville, quartier chaud d’Abidjan. De fil en aiguille, j’ai maîtrisé le métier. J’ai toujours exercé les métiers de cordonnier et de chanteur en parallèle. J’ai ouvert ma propre cordonnerie à Montréal en 2011 (Cordonnerie Dakissa). J’ai pignon sur la Plaza St-Hubert. 

PAN M 360 : Depuis 2013, vous avez joué avec Abdoulaye Koné, les Rootsteppers, David Mobio, Namori, Ons Barnat et autres Solid Ground, comment la scène montréalaise a-t-elle modifié votre approche musicale ?

DAKKA DEMBÉLÉ : En arrivant à Montréal, j’ai découvert une scène musicale d’une richesse telle que je n’avais pu l’imaginer, où les cultures et les styles se côtoient et se mêlent. La scène montréalaise et sa diversité m’ont toujours inspiré. Cette scène m’a aidé à perfectionner davantage ma présence sur scène et mon travail de composition. J’ai collaboré avec tous ces artistes à différents niveaux et ils m’ont tous apporté de nouveaux apprentissages et un regard neuf sur mes compositions. 

PAN M 360 : La direction musicale de votre concert est-elle la même de votre album ? Que dire de l’apport du guitariste et réalisateur Guy Kaye, de l’apport du bassiste et réalisateur Apotcho Strong ? Pouvez-vous nous décrire les musiciens de votre équipe ?

DAKKA DEMBÉLÉ : La direction musicale du concert, c’est l’arrangeur et réalisateur ivoirien Apotcho Strong qui l’assure. C’est lui qui a guidé la ligne directrice des interprétations. Guy Kaye a travaillé uniquement sur l’album en collaboration avec Apotcho Strong; Apotcho a apporté toute son expertise des sonorités du reggae africain alors que Guy Kaye a apporté toute son expérience et son expertise en lien avec les musiques du monde et le funk. Guy a aussi été le maître d’œuvre du mixage. Pour le groupe, je suis allé chercher des musiciens qui ont une expérience approfondie du reggae : Ons Barnat (claviers), Botty Pottinger (guitare), Sylvain Plante (batterie) et David Sergeti (guitare), de même qu’Apotcho (basse). Les choristes, Mélissa Pacifico et Mélanie Charrier, ont également travaillé sur l’album. 

PAN M 360 : Votre équipe est multiculturelle et montréalaise, comment cela a-t-il changé votre musique ?

DAKKA DEMBÉLÉ : Oui, en effet, j’ai une équipe métissée (Québec, France, Côte d’Ivoire, Jamaïque, etc.). Chacun apporte vraiment une touche toute particulière dans l’interprétation, ce qui crée une sonorité d’ensemble tout à fait unique.

PAN M 360 : Quel est votre lien avec Montréal, le Québec, l’Amérique du Nord, l’Occident ? Vivre à Montréal vous a-t-il transformé ? Et si oui, de quelle façon ?

DAKKA DEMBÉLÉ : Oui, vivre à Montréal m’a complètement transformé. Ça m’a donné un autre regard sur le monde. Surtout le Montréal multiculturel : j’ai appris à connaître d’autres cultures et je m’y sens réellement bien. 

PAN M 360 : Que comptez-vous jouer aux Nuits d’Afrique, ce jeudi 5 novembre ?

DAKKA DEMBÉLÉ : Le spectacle de jeudi est aussi le spectacle de lancement de mon album. Je devais faire ce lancement au Ministère le 13 mars dernier, mais l’histoire en a voulu autrement. Ce spectacle donne donc toute la place aux compositions de Petit Bateau avec trois compositions de mon répertoire qui ne se trouvent pas sur l’album. Il y a aussi plusieurs artistes invités : King Shadrock, Emde, Slim Samba et John Kerkhoven. 

PAN M 360 : Quels sont vos projets pour la suite des choses ?

DAKKA DEMBÉLÉ : Je travaille sur un projet de vidéo acoustique qui sera lancé sur les réseaux sociaux au courant de l’automne. Je mijote déjà un second album. Je vais entrer en recherche et développement à l’hiver 2021 avec l’objectif de sortir le prochain album à l’automne 2021. C’est sûr que j’aimerais planifier des tournées, mais c’est plutôt difficile dans le contexte actuel. 

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