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crédit photo: Valerian Matazaud
Louis Dufort est compositeur, enseignant au Conservatoire de musique de Montréal et directeur artistique du festival Akousma, soit le plus pointu de tous les festivals canadiens se consacrant aux musiques électroniques et électroacoustiques. Qui plus est, il est un amant de la nature et un authentique jogger des bois. Deux enregistrements en témoignent.
PAN M 360 : Quel est ton intérêt pour la forêt boréale ?
LOUIS DUFORT : Je vais beaucoup en forêt, je loue régulièrement des chalets avec ma conjoint Je marche et je cours en forêt, je fais du trail running. La forêt est aussi mon partenaire de création.
PAN M 360 : Tu n’en es pas à ton premier enregistrement du genre, parle-nous de ce cycle de création :
LOUIS DUFORT : Avant que je crée Volume, un autre était déjà prêt mais il n’a pas encore été rendu public. Sous étiquette Empreintes digitales, il s’intitule Into the Forest. C’est une musique de concert, dont la sortie est prévue cette année. Les pièces sont plus longues, plus écrites et plus acousmatiques que Volume. Je suis resté dans la même démarche pour Into the Forest. Ça fait plusieurs années que j’ai amorcé ce cycle, en fait. Dans Matériaux composés, sorti en 2007, trois pièces utilisaient déjà les sons de la forêt. Ça m’est resté et j’avais envie de poursuivre la démarche mais pour une écoute de salon, sorte de bedroom acousmatique.
PAN M 360 : Haha! Bedroom acousmatique… moins académique ?
LOUIS DUFORT : On y trouve des éléments drone ou ambient que j’avais envie d’explorer, et c’est pourquoi cet enregistrement est plus propice à une écoute au salon. Il est conçu davantage comme un album pop, il y a des harmonies, des accords. C’est vraiment simple, en fait. Ça s’inscrit dans la tradition du paysage sonore (soundscape) de Murray Schafer.
PAN M 360 : Comment t’y prends-tu pour créer cette musique? Que fais-tu en forêt?
LOUIS DUFORT : J’y fais de la captation binaurale, soit avec deux microphone placés dans mes oreilles et dont la prise de son simule la cavité de l’oreille et l’obstacle qui est ma tête entre les deux microphones. Ça simule mieux les effets psychoacoustiques que l’on ressent naturellement lorsqu’on écoute de la musique avec un casque d’écoute. Il y a aussi des prises de sons stéréophoniques standard, mais faites avec d’excellents microphones et un excellent magnétophone. C’est donc du hi-fi audio échantillonné en nature, la forêt devient mon propre studio. Je peux y produire des sons en déracinant des arbres morts, en lançant des pierres dans des dunes de sable, enfin toutes sortes d’activités qui me semblent riches et intéressantes du point de vue sonore.
PAN M 360 : Et pour le traitement subséquent, à part les effets drone?
LOUIS DUFORT : Dans ma musique, j’utilise régulièrement un petit logiciel que j’ai construit et qui fait de la synthèse granulaire, qui joue dans une fenêtre de micro-temporalité avec le son, donc je prends de minuscules échantillons ensuite répétés rapidement. Cela produit une forme de nervosité organique de la matière sonore, remise en fonction des sons qui sont captés via la synthèse granulaire. Je récrée de la nature avec de la nature, en quelque sorte.
PAN M 360 : Mais la nature est ici transformée considérablement. Est-ce important de reconnaître la source des sons?
LOUIS DUFORT : Je pense que c’est assez transparent. Dans la pièce Polyphonie, par exemple, on sent très bien que c’est de la musique concrète, que c’est de la prise de son. Ce n’est pas si important que ça se sache absolument que les prises ont été faites en forêt, il n’y a pas de rhétorique derrière ça. Mais il m’importe de préciser que je suis redevable à la forêt, pour l’état dans lequel je suis émotionnellement lorsque je m’y évade, pour toute la beauté structurelle de la forêt. Ça m’influence énormément dans le processus créatif. La forêt devient un partenaire de création .
PAN M 360 : Tes deux nouveaux albums forestiers s’adressent-ils à des publics différents?
LOUIS DUFORT : Pour Into the Forest, l’enregistrement à venir, l’écriture est effectivement plus poussée. Je m’y inscris dans une tradition de musique contemporaine, c’est strictement acousmatique. Mais les publics intéressés à l’électro peuvent consommer les deux, je crois. La frontière entre le monde acousmatique et le monde électro plus proche de la club culture est beaucoup plus floue qu’elle ne l’était avant. Le label autrichien Mego, par exemple, est associé à l’électronique plus jeune (glitch, bruitisme, post-industriel, etc.) et relance actuellement des enregistrements classiques de l’électroacoustique – François Bayle, Bernard Parmegiani, etc. Et ça marche au maximum auprès d’une nouvelle génération qui découvre cette musique expérimentale des générations précédentes. Dans le même ordre d’idée, un artiste comme Roger Tellier-Craig (Fly Pan Am) compose des pièces acousmatiques, d’autres le font et ne sortent pas des facultés de musique. C’est d’ailleurs une part de mon travail en tant que directeur artistique de réunir toutes ces tendances. Ce qui se passe actuellement est super intéressant!