Complete UA Singles 1977-1980 : comment les Buzzcocks se sont fait coffret.

Entrevue réalisée par Patrick Baillargeon

Parus entre 1977 et 1980, douze fameux singles des Buzzcocks ont été superbement mis en coffret par l’étiquette Domino, l’occasion est belle de discuter avec le légendaire Steve Diggle de cet âge d’or de la formation punk Mancunienne.

Genres et styles : pop-punk / post-punk / punk

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The Buzzcocks figurent parmi les pionniers de la déferlante punk britannique des années 70. Formé à Bolton en 1976, les Buzzcocks démarrèrent autour du guitariste Pete Shelley, du batteur John Maher, du bassiste Steve Diggle et du chanteur et guitariste Howard Devoto, qui ne resta avec la bande que le temps d’un Spiral Scratch. Enregistré en décembre 1976 pour 500 livres sterling, ce premier EP du groupe fut alors vendu à 16 000 exemplaires dans les six premiers mois de sa sortie, soit sous le label maison du groupe, New Hormones. 

Après le départ de Devoto côté Magazine, la bande recruta le bassiste Steve Garvey, Diggle passant à la guitare et au chant, tout comme Shelley. C’est sous cette forme que le groupe de Manchester allait connaître un énorme succès auprès de la faune punk et new-wave de l’époque, avant de se saborder en 1981,  trois albums et 12 singles plus tard, sous étiquette United Artists. Les Buzzcocks se sont ensuite reconstitués en 1989 avec les membres originaux Pete Shelley et Steve Diggle, jusqu’à la mort prématurée de Pete en décembre 2018.

Ce sont ces douze fameux singles que nous retrouvons engrangés dans le très joli coffret Complete UA Singles 1977-1980, paru tout récemment chez Domino. Ces 24 chansons, de la pépite punk vitaminée -et controversée- Orgasm Addict à la plus pop/new-wave Are Everything en passant par l’hymne Ever Fallen In Love With Someone (You Shouldn’t Have Fallen In Love With?), couvrent toute l’évolution et le chemin parcouru par le groupe en à peine 4 ans. Rematricé à partir des bandes originales et assorti de pochettes conçues par Malcolm Garrett, le coffret contient également un livret de 36 pages. Ces singles, principalement écrits par Pete Shelley et Steve Diggle, démontrent la capacité du groupe à créer de véritables petits chef d’oeuvres de trois minutes, qui ont perduré longtemps après que l’étincelle initiale du punk fut éteinte. 

C’est donc un début d’année bien chargé pour les Buzzcocks qui, outre ce bel objet paru chez Domino, viennent d’en lancer un autre, Late For The Train – Live & In Session 1989-2016, un coffret de 6 CD qui retrace une partie de la carrière du groupe en concert et sa relation continue avec la BBC, pour laquelle il a enregistré plusieurs excellentes sessions et performances en direct. Jamais deux sans trois, la formation fera aussi paraître le 5 février prochain une édition limitée (1000 x copies) en double vinyle rouge de Buzzcocks : 30 (Live In London), le concert célébrant le 30e anniversaire du groupe à Londres en décembre 2006. 

Nous avons donc profité de ce foisonnement chez les Buzzcocks pour causer avec le légendaire chanteur et guitariste Steve Diggle, joint en décembre dernier chez lui à Londres, dans le petit studio de son sous-sol. 

The Buzzcocks en 1976 avec Howard Devoto / photo: Phil Mason

PAN M 360 : Le coffret Complete UA Singles 1977-1980, ce sont en fait tous les singles des compilations Singles Going Steady de 1979 et Parts One, Two, Three de 1980, à l’exception de Moving Away From The Pulsebeat.

Steve Diggle : “ Tu as raison. Mais en fait ce morceau est sorti en 12’’ et non en 7’’, et c’était seulement en promo et non en vente libre. Si ce n’était que de moi, j’aurais ajouté des morceaux plus rares mais le patron de Domino est un fan de longue date. Il était membre du fan club quand il était plus jeune. Donc il tenait à ce que ce soit un coffret qui couvre uniquement cette première période, l’âge d’or du groupe si je puis dire.”

PAN M 360 : Pourquoi avoir choisi de travailler avec United Artists à l’époque, alors que vous aviez déjà créé votre propre label New Hormones pour votre premier 7’’ Spiral Scratch paru en janvier 1977.

Steve Diggle : “ Quand nous avons démarré ce label, ç’a été vu comme un coup de génie alors que c’était bien plus un coup de nécessité car personne ne voulait nous recruter. Par contre, après que Spiral Scratch fut lancé, ils étaient six gros labels à nous courir après ! C’était plutôt ironique… Donc à cette époque, un gars de United Artists venait nous voir souvent en concert. À un moment donné il nous a approchés en nous promettant de nous donner une liberté artistique totale. On s’est dit alors que si on signait avec un autre label, on se retrouverait comme les Clash à se faire dire quoi faire ou pas. Alors on a signé avec UA et notre premier single fut Orgasm Addict. On a été obligés de repousser la date de parution parce que les patrons de l’usine de pressage de vinyles refusaient de sortir cette « cochonnerie ». Ça peut paraître ridicule aujourd’hui avec toutes les obscénités que tu peux entendre à la radio mais à l’époque c’était assez controversé. Reste que United Artists nous a laissé faire un truc comme ça. Ils voyaient ça comme de l’art. Voilà pourquoi nous sommes restés avec UA. On aurait pu avoir plus d’argent avec un autre label mais nous n’aurions pas eu toute cette liberté.”

PAN M 360 : Est-ce vrai que vous avez signé avec eux le jour de la mort d’Elvis ?

Steve Diggle : “ C’est exact! Le 16 août 1977. C’est étrange parce que, peu de temps après avoir sorti Spiral Scratch, Marc Bolan nous a invité à son show de télé (Marc) et…. peu après, il s’est tué dans un accident de voiture. On s’est dit « ok, on dirait bien qu’on ne fera pas ce show de télé… ». Je me souviens très bien du jour où on devait conclure  l’entente avec UA. On ne voulait pas signer ce contrat dans un hôtel fancy mais au bar du Electric Circus, un pub de Manchester où tous les groupes punk jouaient alors. On s’apprêtait à signer et on entendait à la télé du pub qu’Elvis était mort… Donc voilà, ça faisait deux morts ! (rires) C’était vraiment bizarre, comme si on changeait la garde, du genre « merci Elvis, nous prenons le relais maintenant ». (rires)

PAN M 360 : La majorité de vos singles ont été réalisés par Martin Rushent et le reste par Martin Hannett (sous le pseudo Martin Zero pour Spiral Scratch). Qu’est-ce qui vous plaisait chez ces réalisateurs ?

Steve Diggle : “ Lorsqu’on a signé chez UA, Martin Rushent en était le réalisateur maison. On travaillait bien ensemble, il comprenait ce qu’on faisait et surtout nous laissait faire ce qu’on voulait en enjolivant ici et là. Essentiellement, tout tournait autour des chansons et de la dynamique du groupe. Il y avait aussi cet excellent ingénieur de son, Doug Bennett, un héros méconnu qui bossait au studio Olympic. Avec ces gens-là, on a créé la magie de ce groupe. Tout simplement en enregistrant directement ce qu’on jouait, car on savait qu’il y avait une magie entre nous et ces gars-là arrivaient à la saisir. C’était toujours très simple, rien de compliqué comme « oh essayons ceci et essayons cela… » et ce genre de truc… C’était plus proche d’un concert finalement. Et je pense que c’est pour ça que nos chansons ont passé l’épreuve du temps. Tu écoutes ces disques aujourd’hui et c’est comme s’ils avaient été faits la semaine dernière.”

PAN M 360 : Pour vos trois derniers singles avec UA vous êtes pourtant retournés avec Martin Hannett…

Steve Diggle : “ Durant cette période, Martin Rushent était occupé à New-York et de notre côté, nous avions une pause dans notre tournée qui nous donnait le temps d’entrer en studio pour faire six chansons. Alors nous avons contacté Martin Hannett que nous connaissions déjà, c’est aussi simple que ça. C’était juste une question de disponibilité. Avec Martin Hannett, on bouclait la boucle en quelque sorte; il a fait notre premier single et il a fait les trois derniers.” 

PAN M 360 : Quand on pense aux singles et albums des Buzzcocks, impossible de ne pas mentionner les pochettes. Leur design unique et si original est, pour la plupart, l’œuvre du designer graphique Malcolm Garrett. Comment cette association a-t-elle débuté ?

Steve Diggle : “ Il était étudiant à l’Université de Manchester et un jour il est simplement venu nous voir en nous disant « je suis un étudiant en art et j’aimerais faire une pochette de disque pour vous ». Il est arrivé avec ces images, comme ce collage de cette femme avec un fer à repasser à la place de la tête (qui illustrera le single Orgasm Addict) et toutes ces combinaisons de couleurs ensuite. Ça nous a plu et la réaction a été bonne pour le premier single, alors on l’a gardé. C’est lui qui a créé toutes les pochettes que tu retrouves dans ce nouveau coffret et il en a fait quelques-unes encore pour nous par la suite.” 

PAN M 360 : De tous les singles que vous avez fait paraître chez UA, lequel serait ton préféré ?

Steve Diggle : “ Je les aime tous mais j’ai une petite préférence pour Harmony In My Head. Quand je l’ai composée, je me suis dit qu’on avait là une vraie bonne chanson pop. Et quand on l’a jouée à Top of the Pops -on y est allé huit fois, pratiquement pour tous nos singles-, là je me suis dit qu’on avait un pied dans la porte et qu’en arrivant avec Harmony In My Head, ce serait comme un coup direct entre les deux yeux, une chanson pop-punk qui a des couilles.” 

PAN M 360 : Cela fait deux ans que Pete Shelley est décédé, comment as-tu réagi à sa mort ?

Steve Diggle : “ Si on a eu plusieurs bassistes et batteurs au fil des ans, Pete et moi étions là depuis le tout début. On parle de 43 ans ! Donc c’est une perte énorme pour moi, car au-delà de tous les bons moments partagés ensemble, de tous les enregistrements qu’on a faits, c’était aussi un bon ami. J’ai passé plus de temps avec lui qu’avec toutes mes femmes et enfants ! (rires). Je me suis toujours dit que si nous nous étions connus à l’école,  nous aurions été amis, mais nous nous sommes rencontrés par hasard et ça a cliqué. Il y avait cette chimie comme celle de  plusieurs autres groupes connus. Alors oui, c’est une très grosse perte mais il faut poursuivre; nous avons sorti un 7’’ au début de 2020 et nous avons réussi à faire huit concerts avant le confinement. Pour moi c’est la phase 3 des Buzzcocks comme j’aime à le dire.”

PAN M 360 : Avez-vous tenté de ramener votre premier chanteur Howard Devoto à bord ?

Steve Diggle : “Non, il a quitté les Buzzcocks après six mois. Il n’avait aucun intérêt pour ce groupe, il ne se pointait pas aux shows… J’ai beaucoup de respect pour lui mais c’est un gars compliqué. Il ne reviendrait pas même si je lui proposais, de toute façon ça ne collerait pas. Il nous a dit à l’époque « j’ai fait un single, je m’en vais »… Et là Pete et moi on s’est regardé et on s’est dit « merde, on vient de perdre notre chanteur, qu’est-ce qu’on fait ? On continue ! ». Pete s’est mis au chant, et des fois moi aussi. Maintenant que Pete est parti, c’est moi qui fais le putain de chanteur… On a fait plusieurs concerts depuis la mort de Pete car je tiens à garder en vie ses chansons, et les miennes aussi. Et tous ceux qui avaient des doutes sur la continuité des Buzzcocks et qui sont venus à ces shows ont été époustouflés. C’est tout ce que je sais faire et je ne peux pas ramener mon frère à la vie… mais je donnerais tout pour qu’il revienne. Tu vois, ce coffret résume le 1er âge d’or des Buzzcocks jusqu’à notre séparation en 1981. Puis Pete et moi avons redémarré le groupe en 1989 et nous avons fait encore plus de trucs que lors de notre première période. Maintenant, c’est notre troisième phase.”

The Buzzcocks au Olympic Studio / photo: Jill Furmanosky

PAN M 360 : En concert, ne jouez-vous que tes chansons ou faites vous aussi des morceaux de Pete ?

Steve Diggle : “ Disons que les trois quarts du concert ce sont mes chansons, je ne pensais pas en avoir autant ! Pour le reste, ce sont des morceaux de Pete. Il y a plusieurs chansons que j’ai écrites mais que Pete chantait, Fast Cars, Promises… Celles-là, on les fait en concert. Je ne savais pas trop comment ça irait avec les chansons que Pete chantait mais ç’a fonctionné même si je ne chante pas aussi haut que lui. Reste que j’ai écrit une bonne cinquantaine de chansons avec les Buzzcocks et il me semble que c’est plus naturel pour moi de les faire que celles de Pete, tu comprends ? Il y a aussi que certains morceaux sont plus intimes, ils concernent plus Pete et je me vois mal les chanter.”

PAN M 360 : Beaucoup de groupes vous citent comme étant une influence majeure, on n’a qu’à penser aux Pixies, aux Smiths, à New Order, Radiohead et j’en passe. Selon toi, quelle est l’héritage artistique des Buzzcocks ?

Steve Diggle : “Je sais que beaucoup de groupes se réclament des Buzzcocks. Mais quand nous avons fait  ces chansons, nous ne pensions jamais à cette pérennité. Tous ces morceaux, ce sont des cartes postales d’une époque; ce qu’on voulait faire c’était de créer des chansons toutes simples, honnêtement. On l’a fait, et faut croire qu’on l’a bien fait ! Tellement de groupes sont venus me voir pour me dire à quel point on les avait inspirés, je pourrais t’en nommer des centaines, et de très gros groupes comme REM, Nirvana, Pearl Jam… Mai quand on a reçu l’ Inspiration Award de Mojo il y a quelques années, je me suis dit qu’on est peut-être en effet un groupe influent et qu’on a touché bien plus de gens qu’on ne l’imagine. Ce coffret, c’est un magnifique rappel de la grandeur des Buzzcocks à la fin des années 70. Tous ces singles, c’est la bande sonore de la vie de beaucoup de gens. Et la mienne aussi.”

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