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Le très cool ensemble Collectif9 propose Rituaels, un voyage vidéo-musical aux échos presque mystiques et aux accents de… rituel bienfaisant en ces temps troublés. La musique naturellement amplifiée et réverbérante d’Arvo Pärt, Michael Tippett, Nicole Lizée, Bryce Dessner (oui, de The National), Jocelyn Morlock et même Hildegarde de Bingen résonne avec une rare portée émotive et même spirituelle.
L’ensemble montréalais Collectif9 est apparu sur la scène locale depuis quelques années à peine, mais il est déjà, à mon humble avis, l’un des plus intéressants à connaître. Si vous aimez la musique instrumentale signifiante, qui sait à la fois bouleverser vos habitudes d’écoute et vous titiller la chair de poule émotionnelle, vous devez absolument les entendre au moins une fois. Et ça tombe bien puisque du 11 au 13 décembre, vous aurez accès gratuitement à leur plus récente aventure, un film-concert intitulé Rituaels.
En prélude à la première de Rituaels qui sera diffusée sur le site du groupe et sur Facebook dès 20 h le 11 décembre, j’ai parlé avec le leader, le contrebassiste Thibault Bertin-Maghit, qui m’a expliqué que l’idée de Rituaels provient d’un concert « normal » qui devait être donné le 2 mai dernier. Pandémie et restrictions associées obligent, le concert est devenu un projet plus vaste, impliquant une danseuse et de la vidéo créative pour accompagner la musique. En fin de compte, Rituaels est devenu une sorte de grand vidéoclip d’une heure, top chrono.
« Une fois qu’on a su que Rituaels ne pouvait qu’être numérique, du moins dans un avenir rapproché, on s’est dit qu’on devrait assumer pleinement cette forme de diffusion et utiliser tous les avantages qu’elle nous offre. On s’est demandé comment conserver l’attention du public pendant 60 minutes. Un concert filmé, ça implique quelques plans de caméra, mais à un certain point, quand on a vu les mêmes plans 4 ou 5 fois, ça devient ennuyeux. Nous avons donc ajouté des prises de vues de la danseuse Stacey Désilier ainsi que des créations vidéo réalisées par Benoit Fry et Lucas Harrison Rupnik. »
– Thibault Bertin-Maghit
Le résultat, que j’ai eu la chance de regarder avant la première diffusion, est très beau. Alternent des prises de vue des musiciens, simplement mais très bellement mis en scène dans l’église Saint-Pierre-Apôtre à Montréal, avec les mouvements stylisés de Stacey Désilier, sobrement vêtue de blanc.
Mais, aussi soigné soit-il, le visuel sert principalement à appuyer une chose : la musique. Et quelle musique ! Majoritairement moderne et contemporaine dans la lignée du minimalisme mystique contemplatif ou, sinon, qui « fitte » parfaitement avec.
« Puisque au départ nous souhaitions jouer dans une église, un espace très réverbérant, nous avons décidé d’assumer pleinement ce choix. Souvent, les musiciens ’’font avec’’ la réverbération, en se battant pour ne pas la laisser tout dominer. Pour notre part, nous avons choisi des pièces qui non seulement fonctionnent parfaitement dans ce genre d’acoustique, mais qui en ressortent même grandies. »
– Thibault Bertin-Maghit
Grandies, oui, je le dirais. Arvo Pärt ne pouvait que bien sonner là-dedans, on s’en doutait, mais les couleurs néo-anciennes de l’hommage à Purcell de Tippett réussissent avec autant de bonheur. Je note également les délicates et poétiques extravagances de Nicole Lizée, ou encore l’énergie furieuse et enlevante de Aheym (une rare pièce non contemplative de la programmation), de Bryce Dessner. Il y a même la mystique médiévale Hildegarde de Bingen qui lance le spectacle de manière envoûtante avec O vis æternitatis.
Les harmonies riches et chaleureuses, longtemps soutenues, les longues notes tenues et les résonances de musique ancienne de la plupart des œuvres au programme dessinent un paysage sensoriel qui évoque l’intemporalité, la durée, le non éphémère, le signifiant et, finalement, le vrai, le réel, l’important. C’est une musique horizontale, qui nous oblige à sortir de la verticalité de l’instant et de l’immédiateté. C’est de l’anti-commercialisme à courte vue dans sa plus belle expression.
La mise en scène des musiciens, déjà prévue pour le concert, reçoit ici un très beau traitement de plans caméra. Les musiciens changent de position après chaque pièce, dans une chorégraphie calme et posée. Encerclés sont-ils et elles par quelques rideaux blancs suspendus et éclairés par quelques sources discrètes, le look tamisé qui en résulte évoque, oui, une sorte de rituel dans lequel tout un chacun pourra voir ce qu’il veut : inspiration religieuse, évocations païennes ancestrales, spiritualité laïque et profane, transcendance de l’Art et de la Beauté. Peu importe au bout du compte : quiconque y participe sera touché et peut-être même transformé.
Après la diffusion du 11, le concert sera disponible gratuitement pendant 48 heures supplémentaires. Cela dit, sera-t-il possible de vivre l’expérience de cette musique sublime en « présentiel », comme on le dit maintenant ?
« Nous aimerions beaucoup porter ce concept en tournée, le faire voyager, pour que le public puisse vivre avec nous, en même temps que nous et dans un même lieu l’expérience puissante qu’est cette musique. Mais pour l’instant, j’invite tout le monde qui regardera à bien s’installer et de prendre le temps de se mettre au rythme de la musique. J’espère que ça apportera du bien-être et du réconfort. »
– Thibault Bertin-Maghit
Collectif9 se donne pour mandat de réinventer la façon d’écouter, de voir et de participer à des concerts de musique classique. Jouer de la musique d’aujourd’hui (mais pas que) qui parle à un public jeune (mais pas que), investir des lieux inhabituels (bars, discothèques, entrepôts, etc.). Non seulement ils réussissent, mais ils ouvrent de nouvelles voies. Je ne serais pas tellement surpris de les voir, un jour, collaborer avec des groupes cultes indie montréalais. Imaginez une création impliquant, oh, je ne sais pas, Godspeed You! Black Emperor ? En tout cas, Thibault dit qu’il aimerait pas mal ça. Qui sait ? Le message est lancé !