renseignements supplémentaires
Qu’il s’agisse de son nom, de sa musique ou encore de son engagement à travers ses textes, le groupe Chaos E.T. Sexual est tout et son contraire. La rencontre de Thomas, Tarik et Yves n’a véritablement rien de conventionnel. Pourtant, la musique et l’amour pour le style drone/doom les a réunis pour le mieux. Le 20 novembre dernier est sorti leur troisième album intitulé Only Human Crust. Ils nous éclairent sur ce qui les attire toujours plus vers cette noirceur musicale.
PAN M 360 : Quelle a été la genèse du groupe ?
CHAOS E.T. SEXUAL : Nous nous sommes rencontrés à l’université, mais dans des contextes différents. En ce qui concerne Thomas et moi-même (Yves), c’était durant un cours de bossa nova. Assez paradoxal quand on sait que nous sommes deux grands fans de métal. À l’époque, nous avions pour habitude de jouer du Pantera ensemble chez nous. Pour ce qui concerne la rencontre avec Tarik, c’était aussi à l’université, dans la même classe. Or, la relation amicale a pris une autre dimension lorsqu’on s’est retrouvés tous ensemble au festival HellFest (festival de métal en France). C’est par la suite que Tarik a rejoint le groupe quand nous avions besoin d’ajouter une base rythmique à nos compositions. Il baignait dans le hip-hop et produisait déjà beaucoup de sons. Nous avions une affection particulière pour ces deux styles musicaux que sont le hip-hop et le drone, que nous voyions cohabiter en toute logique. Ça n’a pas mis longtemps à ce que l’on compose tous ensemble et que la magie opère.
PAN M 360 : Il s’est écoulé six longues années avant la sortie de ce nouvel album, pourquoi avez-vous mis autant de temps et dans quel état d’esprit étiez-vous lors de l’enregistrement d’Only Human Crust ?
CHAOS E.T. SEXUAL : Comme tout un chacun, nous avons nos vies bien distinctes et vivons tous des émotions et des évènements personnels à chacun. Durant ces six années, nous nous sommes remis en question et avons vécu beaucoup de choses. Nous en étions arrivés à vouloir prendre un tournant musical. Nous voulions créer quelque chose de plus vivant, plus dansant. Mais notre amour pour le style drone et doom nous a rattrapés. Surtout le fait de jouer tout le temps ensemble a fait prendre à cet album cette tournure plus sombre que le précédent. Nous sommes attirés par la mélancolie et la froideur. Nous vivons dans une société de plus en plus anxiogène et les compositions de ces deux dernières années sont un peu comme notre catharsis (purification des émotions) que nous avons eu besoin d’exprimer de manière inconsciente. L’année 2020 n’a donc rien à voir avec l’atmosphère de cet album comme on peut lire beaucoup sur Internet. L’album était même terminé en janvier de cette année.
PAN M 360 : Ce nouvel album est très pesant, noir, avec une atmosphère digne d’un film d’horreur, comment avez-vous réussi à créer une telle ambiance et qu’est-ce qui vous anime là-dedans ?
CHAOS E.T. SEXUAL : Il faut savoir déjà que nous sommes très inspirés par la science-fiction, les films d’horreur, les politiques autant bons que mauvais. Les paradoxes de ces mondes se retrouvent dans nos compositions et c’est ce qui fait notre style et aussi donne cette atmosphère. Quand on ouvre notre album sur un discours de Vladimir Poutine qui fait l’apologie de la démocratie et de la liberté d’expression, c’est drôle. Les côtés dramatiques et sinistres du personnage collent à notre style musical. Avec les guitares, on essaie de travailler le côté massif, et la batterie vient sublimer le rapport de force entre les fréquences. Les tempos sont très lents. On aime ça, jouer au ralenti et le plus fort possible. La batterie joue un rôle important dans l’interaction avec les guitares. La puissance de cet instrument est le point d’orgue de notre style. Nous avons des titres à 50 BPM, ce qui est très lent et nous permet aussi de faire passer beaucoup d’émotions.
PAN M 360 : À ce titre, beaucoup de chansons dépassent largement les six minutes. Est-ce le style musical qui veut ça ou est-ce une manière pour vous de passer des émotions ?
CHAOS E.T. SEXUAL : Pour prendre l’exemple du titre Asile, ç’a été pour nous un exercice de style. C’est-à-dire retranscrire en un minimum de temps l’émotion et la puissance d’un titre qui d’habitude dure six minutes. Mais en faisant cette expérimentation, on s’est rendu compte qu’on a réussi malgré tout à transmettre des émotions. Cependant, la longueur des chansons est liée au temps. Imposer une ambiance et raconter une histoire. Prendre du temps pour ça est nécessaire. Nous apportons une attention particulière à l’histoire racontée dans nos albums et la lenteur accentue les sentiments et les émotions. Quand on joue sur scène ou même en studio, nous aimons cette sensation de transe que nous procurent ces sonorités lentes. Il faut faire monter le désir et cela prend du temps. Quand on compose, c’est la même chose. Cet état de transe est commun à nous trois, voilà pourquoi aussi l’alchimie prend à chaque fois.
PAN M 360 : À chaque introduction de vos albums, un discours politique est présent, faut-il y voir un engagement quelconque, et que vous inspirent ces personnalités ?
CHAOS E.T. SEXUAL : Pas forcément un engagement, davantage un intérêt dans l’impact des paroles qui coïncide parfaitement avec notre style musical. Les personnages comme Vladimir Poutine attisent notre curiosité. C’est une personnalité politique sulfureuse dont les discours se lient très bien avec notre style. Sur le précédent album, nous avons utilisé un discours de Salvador Allende, président socialiste de la République du Chili dans les années 70. Il ne faut pas y voir un quelconque engagement politique mais plutôt ce que le personnage reflète comme image. C’est une manière pour nous de dénoncer artistiquement en tournant à l’ironie certains discours politiques, comme sur le titre Holy Liars du précédent album. Cela nous permet aussi d’instaurer des atmosphères sombres et pesantes.
Le titre Tomorrow Prudence, c’est le discours de Houari Boumédiène (président de l’Algérie dans les années 70) à l’ONU qui met en avant l’ingérence de la France et des pays occidentaux au sujet de l’Afrique, avec comme thème, la colonisation, le sort des migrants dans certains pays d’Europe. Et pour ça, il faut apprendre et lire ce qui s’est passé en amont. Chaque sample de ce type est réfléchi. C’est le résultat de recherches historiques qui collent malheureusement toujours à l’actualité.
PAN M 360 : À ce sujet, au-delà des discours politiques, quelles sont vos autres sources d’inspirations cinématographiques, artistiques, culturelles, voire sociétales ?
CHAOS E.T. SEXUAL : Nous sommes de grands amateurs de cinéma. Alors, quand ce ne sont pas des discours de dictateurs qui nous inspirent, ce sont des grands réalisateurs de science-fiction. Pour cet album, Emir Kusturica et le film Le Temps des Gitans dont nous avons utilisé un extrait de la bande sonore. C’est une idée d’après-guerre comme avec le film Underground du même réalisateur, dont le côté apocalyptique est très intéressant en termes de son. Comme la perte d’un paradis perdu où tout s’écroule. Le titre Solace Exhaust a été inventé autour de ça, lié à la destruction.
Sur 1674-Now : Many thousand gone, on peut entendre un gospel et un chant d’esclave également qui fait suite à un voyage aux États-Unis. On n’utilise pas uniquement le sample pour son aspect musical, mais aussi pour l’intérêt qu’il suscite. Il y a une recherche, une idée de transmettre un message. Le sample du titre La Française des jeunes est tiré de l’émission Strip-Tease, en France. Une émission grinçante qui met en lumière le quotidien des gens, mais de manière ironique et toujours avec un regard bienveillant, mais drôle à la fois. Une vision des choses qui nous ressemble et qui se retrouve aussi dans nos albums comme dans le nom de notre groupe.
PAN M 360 : Vous avez dit vouloir écrire une histoire sur chacun de vos albums, comment conceptualisez-vous vos albums ?
CHAOS E.T. SEXUAL : Il n’y aucun calcul dans la création de notre musique et le concept des albums, on y va à l’instinct. Une fois qu’on a un début de morceau, on va en tirer le maximum pour voir jusqu’où on peut aller et qu’est-ce qu’on peut faire avec. Il y a toujours un message derrière chacun de nos titres. On fonctionne toujours par étapes successives sans forcément se dire que l’on va faire tel ou tel concept pour telle ou telle chanson. On préfère avoir de la matière et laisser mûrir les choses. Cela explique aussi pourquoi nous avons travaillé six ans dessus. Le temps fait le travail aussi et participe à la création de nos morceaux. On trouve souvent une trame émotionnelle sur chacun d’entre eux, ce qui nous permet de composer plus facilement. Les idées s’éclaircissent avec le temps.
PAN M 360 : Nous parlions précédemment d’engagement, tant artistique que culturel et politique; il semble y avoir un sens certain donné à la pochette, pouvez-vous nous en parler ?
CHAOS E.T. SEXUAL : On savait déjà ce qu’on voulait et nous avons fait appel à l’un de nos amis dont on apprécie et partage vraiment la même vision artistique. L’idée était de décrire une société basée sur l’omniscience des puissants (politiques) qui sont représentés là par des tours de gouvernance, face à des parasites qui sont mis en image par des rats qui essaient de se révolter. La planète sauvage est un autre film d’animation et de science-fiction qui nous a inspirés. En ce qui concerne les couleurs pastel, elles donnent un sentiment d’opposition face au côté sombre de l’album.
PAN M 360 : Votre nom de groupe est assez unique et reconnaissable, pouvez-vous nous donner une explication rationnelle quant à sa signification ?
CHAOS E.T. SEXUAL : (rires) L’histoire derrière ce nom de scène est longue et propre à nous, mais en bref, ça vient d’une expression qu’un ami péruvien employait souvent lors des concerts auxquels nous assistions tous ensemble. Elle visait à démontrer qu’il y avait une corrélation entre l’embonpoint des hommes et l’appétit sexuel, et que celle-ci n’est pas liée à la consommation d’alcool. De là nous avons détourné cette expression et le mot chaos contraste parfaitement avec le sexe et la musique. E.T. n’est autre que le personnage du film du même nom de Steven Spielberg, ce qui aussi définit le groupe étant donné que nous sommes tous les trois des passionnés de cinéma, de science-fiction, d’horreur et de bien d’autres genres. En somme, ce nom nous représente parfaitement, ce côté ironique contrastant avec l’émotion sombre de notre musique.