Bekah Simms: expressivité troublante et magnifique

Entrevue réalisée par Alain Brunet

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Saluée pour l’expressivité à la fois troublante et magnifique de son langage sonore mais aussi pour la diversité de ses outils, procédés et références stylistiques au-delà de la musique contemporaine dont elle est issue, soit de l’électroacoustique au métal en passant par le bruitisme et la musique de jeux vidéos, la musique de la compositrice trentenaire Bekah Simms est ici mise en lumière.

Plus précisément, son univers sonore se déploie dans le contexte d’une carte blanche suggérée par l’ensemble Paramirabo et présentée de concert avec le Groupe le Vivier, soit ce samedi 22 avril, 19h30, à la Chapelle Scènes Contemporaines.

Native de Terre-Neuve-et-Labrador, Bekah Simms a vécu à Toronto et fréquenté les milieux de la composition contemporaine à Montréal avant de déménager ses pénates en Écosse. Elle enseigne aujourd’hui  à Glasgow, soit au Royal Conservatoire of Scotland. Elle séjourne cette semaine à Montréal afin d’y peaufiner le programme dont il est ici question… et dont PAN M 360 veut s’enquérir. 

PAN M 360 : Quand avez-vous quitté le Canada?

BEKAH SIMMS : Depuis l’été dernier, en fait. J’enseigne trois jours par semaine au Conservatoire, et je fais de la recherche et de la composition le reste du temps. Alors c’est un très bel équilibre, c’est vraiment merveilleux pour ma carrière. La plupart de mes cours sont des cours particuliers. Je parle donc de composition tout le temps avec mes étudiants, tout en découvrant leur travail. C’est très gratifiant.

PAN M 360 : Quand votre relation créative a-t-elle commencé avec Paramirabo et le flûtiste Jeffrey Stonehouse, son directeur musical?

BEKAH SIMMS : Cette relation a commencé en 2017. J’ai travaillé avec Jeff, il y a maintenant six ans, je faisais alors mon doctorat à l’Université de Toronto. Pendant une session d’été, Paramirabo était l’ensemble en résidence et m’a alors commandé une œuvre, car j’y étais compositrice en résidence durant cette même période culminant dans le contexte d’un festival de musique contemporaine.Nous sommes restés en contact depuis. Pour la première fois il y a trois ans, il m’a demandé si j’étais intéressée à une carte blanche, ce concert est  donc en chantier depuis longtemps. Il a été conceptualisé il y a trois ans, nous y travaillons depuis à travers d’autres projets bien sûr. Cinq de mes pièces figurent au programme de ce concert, dont deux ont été écrites pour Paramirabo. les autres ont été écrites pour différents ensembles.

PAN M 360 : Plus précisément, qu’en est-il des deux pièces écrites pour Paramirabo ?

BEKAH SIMMS : Les pièces sont très différentes les unes des autres. La première  s’appelle With Dawn in Our Lungs pour flûte, clarinette, violon, violoncelle, percussions et piano, elle date de 2017. Et la création, Stygian Pulse , date de janvier, c’est très récent. Et d’une certaine manière, ce concert retrace en quelque sorte mon propre développement en tant que compositrice et la façon dont j’ai changé. Vous pouvez donc entendre les indices de certaines des choses qui m’intéressent, et ce vers quoi j’évolue dans la pièce de 2017, et ensuite création est juste une sorte de voix plus mûre et plus réalisée. Et comme elles sont de longueur similaire, avec une instrumentation similaire, mais la musique a, je pense, beaucoup progressé. Et donc, d’une certaine manière,cela démontre qu’à travers d’une relation avec les musiciens d’un ensemble, vous apprenez à leur faire confiance, et vous pouvez donc progressivement faire avec eux des choses plus difficiles et expérimentales, ils peuvent leur donner vie.

 
PAN M 360 :  Si nous voyons votre progression dans ce programme comme vous le suggérez, comment pourriez-vous la décrire avec des mots avant son exécution ?

BEKAH SIMMS : Vous pouvez voir notamment qu’elle est de plus en plus inspirée par la technologie, de plus de sons électroniques entrent dans la mêlée. Et ça devient de plus en plus technologique aussi. Ainsi, une grande partie de ma musique comporte des repères audios qui doivent être déclenchés en direct. Ainsi, le premier morceau du programme est un morceau où l’on appuie sur play pour sa part électronique. Pour la deuxième pièce, des éléments électroniques sont déclenchés 7 fois, et 16 fois pour la plus récente des pièces au programme. 

Vous verrez donc que la musique électronique est de plus en plus présente et que ses éléments sont de plus en plus précis. C’est aussi parce que je suis maintenant à l’aise avec les sons électroniques, les synthétiseurs ou les sons désaccordés. Je dirais aussi que mes pièces les plus récentes sont les plus amusantes et les plus groovy. Lorsque vous passez par l’université en composition, vous en venez à penser que vous devez être très sérieux avec votre art. Et puis, après l’obtention du diplôme, vous vous sentez plus à l’aise pour faire les choses que vous aimeriez vraiment intégrer, qu’elles soient sérieuses ou non. Je pense donc qu’il y a plus d’amusement dans mes pièces plus récentes, alors que celle que j’ai écrite pour Paramirabo en 2017 était assez délicate.

PAN M 360 : Entre la musique instrumentale et la musique électronique, il est toujours difficile de trouver un bon équilibre, soit trouver la fluidité entre les instruments et les approches texturales de l’électronique. Encore peu de gens comme vous commencent à joindre ces deux voies.


BEKAH SIMMS : Oui, c’est un véritable défi. On est soit un producteur qui doit apprendre à composer, soit un compositeur qui doit apprendre à produire. On est donc toujours en train d’essayer de rattraper le temps perdu ! En ce qui me concerne, j’ai bénéficié d’un mentorat, à l’âge de 26 ans, avec Martin Bédard,  soit à Montréal, au Conservatoire de musique. Mon approche s’inspire en grande partie de la sienne, c’est-à-dire que l’électronique utilise en grande partie les sons des instruments impliqués dans l’œuvre. Ainsi, si j’ai un certain groupe d’instruments sur la scène et que la partie électronique est construite à partir d’enregistrements sonores de ces instruments, il y a une connexion automatique entre ce que l’on entend sur scène et ce que l’on entend dans les haut-parleurs. C’est donc un raccourci qui permet de les faire sonner comme s’ils allaient ensemble. Ce ne sont pas deux mondes différents.

PAN M 360 : Vous avez peut-être un avantage sur les générations antérieures à la vôtre,  c’est-à-dire que vous avez moins peur de mélanger les choses comme vous le faites.

BEKAH SIMMS : Oui, bien sûr, bien sûr, je pense qu’en général les milléniaux ont une approche beaucoup plus polyvalente. Et les gens sont influencés par beaucoup de genres différents, même s’ils écrivent de la musique de concert. Ainsi, la musique de concert peut être influencée par la musique folklorique, le drone ou l’EDM. Personnellement, par exemple,, je suis très influencée par la musique des jeux vidéo, en particulier celle des indie games qui s”accompagnent régulièrement de musique électronique low-fi. Dans mes œuvres, j’utilise donc des patchs de synthétiseurs qui évoquent ce genre de son 8 bits. Je me sens autorisée à le faire parce que l’environnement d’écoute est tellement éclectique de nos jours. Pour moi et pour la plupart des gens de ma génération.

PAN M 360 : Effectivement, plus de producteurs et de compositeurs associés à la musique contemporaine font référence à des formes de musique populaires et sérieuses.

BEKAH SIMMS : Oui, et il faut aussi rappeler qu’au 20e siècle, tant d’artistes de ladite musique populaire ont été influencés par des compositeurs comme Stockhausen. Or, il a fallu beaucoup de temps aux compositeurs “sérieux”  pour permettre à la musique populaire d’apparaître dans ce qu’ils font. Je ne sais pas pourquoi nous étions si réticents ou hésitants à le faire, mais je dirais que les gens de mon âge n’ont aucun problème avec cette intégration. Par exemple, une de mes pièces récentes se fonde sur le heavy métal, une autre sur la musique de Joanna Newsom. Donc, ma musique s’enracine dans cette idée de référence à d’autres genres musicaux.

PAN M 360 : C’est donc devenu beaucoup plus soudé.

BEKAH SIMMS :
En fait, au fur et à mesure de mon développement, je me suis sentie de plus en plus à l’aise parce que je n’avais plus peur de le faire. Par exemple, la création au programme de samedi comporte un son de synthétiseur qui ressemble presque à un son de jeu vidéo et à un son lo-fi. Il y a quelques années, je n’aurais pas osé. Je n’aurais pas été assez confiante ayant eu peur que le son électronique se détache trop du son instrumental.  Maintenant, je me dis que ça n’a plus d’importance car je peux rendre ça intéressant.

PAN M 360 : Vous avez d’abord été formée comme compositrice en musique instrumentale, puis vous avez découvert l’électronique. Pour que l’aspect électronique s’intègre parfaitement à votre travail, il vous a alors fallu du temps afin de comprendre toutes les possibilités texturales de l’électro que la musique instrumentale n’a pas.

BEKAH SIMMS :
Oui, exactement. Ça a pris beaucoup de temps ! J’ai en quelque sorte développé mes aptitudes de compositrice depuis la fin de mon adolescence, le début de la vingtaine. L’électronique est arrivée bien plus tard, et je devais acquérir de nouvelles compétences tout en composant un morceau. Le développement fut un peu plus lent, parce que je devais me concentrer sur plusieurs choses différentes. Et je dirais que c’est seulement au cours des deux dernières années que je me suis estimée assez contente de la façon dont les éléments électroniques sonnent dans ma musique.
PAN M 360 : Il s’agira donc d’un programme varié avec Paramirabo.

BEKAH SIMMS :
Il y a beaucoup de diversité d’une pièce à l’autre. Quatre des cinq pièces sont faites pour l’instrumentation de l’ensemble, l’autre est pour flûte solo. Deux d’entre elles sont acoustiques, trois sont électroacoustiques. L’une d’entre elles dure quatre minutes, une autre dure 11 minutes. Donc oui, il y a une tonne de variété dans une tonne de facteurs différents !

PROGRAMME

  • Bekah Simmssingle Red flower
  • Bekah SimmsSkinscape pour flûte et électronique
  • Bekah SimmsWith Dawn in Our Lungs pour flûte, clarinette, violon, violoncelle, percussions et piano
  • Bekah SimmsEverything is… Distorted pour flûte, clarinette, violon, violoncelle, percussions, piano et électroniques
  • Iannis XenakisPlekto , 1993 pour flûte, clarinette, violon, violoncelle, percussions et piano
  • Corie Rose SoumahIn The Cathedral of Our Rib , 2023  – création
  • Bekah SimmsStygian Pulse , 2023 – création

PARTICIPANTS

INFOS ET BILLETS ICI

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