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Au mois de juin dernier, Anoush Moazzeni a donné un concert inspirant et inspiré de la créativité musicale contemporaine et féminine d’Iran, de Turquie, du Liban, d’Israël, des États-Unis et du Canada au Festival Suoni per il popolo. Nous avons saisi l’occasion pour nous entretenir avec elle et découvrir son univers. Au moment de notre rencontre en visio-conférence, elle était en Iran depuis près d’un an et demi, à cause de la pandémie!
Pan M 360: Bonjour Anoush. Vous êtes actuellement en Iran depuis plus d’une année alors que votre maison est à Montréal. Pourquoi?
Anoush Moazzeni : J’étais venu en Iran pour des workshops et aussi pour voir de la famille, mais la pandémie a pris la tournure que l’on connaît et devant les annulations, reports et autres délais pour le retour, j’ai finalement décidé de laisser passer la tempête. Je suis chanceuse car j’habite un bel appartement appartenant à mes parents, j’ai un piano et j’ai pu travailler à distance (je suis professeure-assistante à Concordia) et même réaliser des commandes musicales. Je me suis débrouillée!
Pan M 360 : En parcourant votre page web, on se rend compte que vous faites énormément de choses. En quelques mots, comment vous décririez-vous?
Anoush Moazzeni : Je m’identifie comme pianiste de concert, artiste interdisciplinaire, chercheuse, créatrice, éducatrice. C’est en effet assez varié!
Pan M 360 : Quelles sont les racines de cet intérêt pour l’avant-garde et la création contemporaine? Sont-elles familiales?
Anoush Moazzeni : La musique était présente dans ma famille, c’est vrai. Ma mère est chanteuse et a toujours nourri un amour pour la littérature et la musique persane. J’ai appris le piano dès l’âge de 5 ans et mes parents ont toujours encouragé mes choix. À partir de l’âge de 18 ans, j’ai amorcé des études à l’Université de Téhéran, puis 3 ans plus tard je suis allé poursuivre mon perfectionnement du piano à Lyon. En parallèle, j’ai développé un amour pour l’informatique, la philosophie et les arts numériques. J’ai terminé une maîtrise en piano à Montréal, et c’est là que j’ai développé mon identité d’artiste multidisciplinaire. J’ai découvert un carrefour culturel qui m’a permis de révéler ma propre essence au croisement de plusieurs disciplines artistiques.
Pan M 360: À quelles autres sources avez-vous nourri cet attrait pour l’avant-garde?
Anoush Moazzeni : J’ai beaucoup voyagé! Je suis allé à Köln et à l’IRCAM (Institut de recherche et coordination acoustique/musique) à Paris. Une fois ici au Canada, on m’a donné la chance de participer à des festivals où j’ai pu essayer des choses. J’apprécie cette grande liberté et l’opportunité de fouiller des territoires non conventionnels qui me permettent d’explorer toutes les possibilités avant-gardistes et aussi celles d’un dialogue constructif entre les traditions occidentales et perses.
Pan M 360: En tant que femme d’origine iranienne, croyez-vous être un modèle, une inspiration pour d’autres femmes de cette région du monde?
Anoush Moazzeni : Je ne me vois pas comme modèle, mais je peux assumer le fait que je puisse être une inspiration pour celles qui souffrent des limitations habituelles dans cette région. Oui, c’est très bien si mon exemple peut contribuer à briser la barrière du ‘’moi je ne peux pas faire ça’’. Je vois que c’est encore un peu tabou d’être une femme et d’être indépendante, et cela un peu partout dans le monde. On me dit parfois ‘’c’est vraiment toi qui a fait ça toute seule? C’est pas ton mec?’’ Même au Canada! Je peux donc comprendre les difficultés de plusieurs femmes. C’est pourquoi j’apporte de l’aide et des conseils à des compositrices comme je l’ai fait avec mon projet Deterritorializing the realm of new music.
J’ai aussi fait des recherches sur la place des femmes dans la création d’avant-garde, en particulier les femmes racisées et celles issues de la communauté LGBTQ+. Si mon parcours peut servir d’inspiration, tant mieux. Mais il serait prétentieux de me définir comme un modèle!
Pan M 360: Parlons justement de Deterritorializing the realm of new music. De quoi s’agissait-il?
Anoush Moazzeni : J’ai passé commande d’œuvres à des compositeur.trices de l’Asie de l’ouest (Iran, Turquie, Liban, Israël) qui vivent et créent soit là-bas, soit en Occident. Les pièces devaient être écrites pour piano (je suis l’interprète) accompagné soit de voix, de bande, d’installation audiovisuelle ou d’enregistrements électroniques.
Pan M 360: Quel bilan en faites-vous?
Anoush Moazzeni : Je n’avais pas d’attentes particulières, mais je suis heureuse d’avoir participé à ma façon à ce vaste chantier, qui est de stimuler la création d’avant-garde dans des régions hors de l’Occident. J’espère qu’à terme, la créativité radicale savante sortira des territoires presque exclusivement occidentaux. D’où le titre du projet!
Pan M 360 : En plus d’être interprète, quels rôles jouez-vous dans la réalisation dans ce genre de projet?
Anoush Moazzeni : Tous! Je réserve les musiciens, je planifie les répétitions, je fais la promotion, je contacte les festivals, je gère l’enregistrement et la diffusion vidéo, etc.
Pan M 360: Vous êtes décidément encore plus ‘’multidisciplinaire’’ que l’étiquette artistique habituelle le laisse entendre! Y a-t-il d’autres de vos projets que nous pouvons voir et entendre?
Anoush Moazzeni : Si jamais les gens se déplacent à Toronto (une fois les restrictions aux frontières levées), ils pourront visiter le musée Aga Khan, qui présente une très belle exposition de l’artiste azerbaïdjanais Faig Ahmed, Dissolving Order. Son oeuvre est inspirée de l’art ancestral des tapis, une tradition millénaire partout dans la région du Proche-Orient. Il se sert de nouvelles technologies pour se réapproprier l’expression artistique liée à cette tradition. Ma contribution est une composition musicale accompagnée d’éléments audiovisuels. J’ai utilisé du piano, des sons numériques et inventés, des sons concrets, comme ceux d’une machine qui sert à la fabrication des tapis, etc., et j’ai tout mélangé. La notation graphique s’inspire des patterns de tapis de la région. J’ai aussi demandé à un artiste de tisser ces notations dans un tissu de style traditionnel.
Pan M 360: J’ai aussi cru comprendre que vous avez un nouveau projet en marche à Québec?
Anoush Moazzeni : Oui! C’est une résidence de production à la Chambre blanche à Québec, du 3 août au 18 septembre. Ça s’appelle Autopoïèse dans le devenir et il s’agit d’y créer des instruments numériques originaux. Cela mettra à profit mon intérêt pour l’interdisciplinarité car j’y inclurai l’intelligence artificielle.
La beauté de cela, c’est que le résultat de mes recherches là-bas sera intégré dans un autre projet en construction, celui d’un opéra à l’Université Concordia. Ce sera très expérimental, très loin de la forme traditionnelle. En plus d’y investir l’intelligence artificielle, je souhaite y intégrer la virtualité. La chanteuse devra se mouvoir et interpréter la partition dans un contexte totalement nouveau.
Pan M 360: Donnez-vous encore des concerts de piano classique traditionnels?
Anoush Moazzeni : Non, pas en ce moment. Je suis très occupée par ma carrière dans le milieu de l’avant-garde. Cela dit, je continue de pratiquer tous les jours.
Pan M 360: Quels compositeurs classiques aimez-vous?
Anoush Moazzeni : Bach, Scriabine, les modernes tel Webern. J’aime aussi Brahms, Chopin, Saint-Saëns.
Pan M 360: Qui vous inspire dans l’art contemporain?
Anoush Moazzeni : Des artistes en akousmatique, électroacoustique, et aussi des artistes féminines et plusieurs issues des premières nations.
Pan M 360 : Merci