Anna Saradjian : un havre de paix et de beauté nommé Bach

Entrevue réalisée par Frédéric Cardin

La pianiste Anna Saradjian se fait plaisir, et aux mélomanes aussi, grâce au concert tout Bach donné à l’occasion du Festival Bach 2020 à Montréal.

Genres et styles : classique occidental

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PAN M 360 a rencontré la Montréalaise d’origine arménienne et parlé avec elle de musique, de voisins dérangés par le piano et de son pays natal.

PAN M 360 : Bonjour Anna. Commençons par vous et votre parcours musical, si vous le voulez bien.

ANNA SARADJIAN : Bien entendu. J’ai grandi en Arménie dans une famille très musicale. Mon grand-père a été mon premier professeur. Il a fondé une école de musique là-bas qui a été reprise par mon père. J’ai passé toute ma jeunesse en Arménie. À 18 ans, je suis allé étudier à la Juilliard School de New York, puis à la Royal Academy of Music de Londres. C’est là que j’ai suivi les cours de Hamish Milne. 

PAN M 360 : Vos études initiales en Arménie vous ont-elles ancrée dans ce qu’on appelle « l’école russe du piano » ? (NDLR : on appelle « école russe » la façon d’enseigner et de jouer le piano avec un accent mis sur des phrases amples, très expansives, un sens de l’improvisation et de la liberté minimisé par les écoles française et allemande, et surtout un soulignement puissant des émotions inhérentes aux partitions)

ANNA SARADJIAN : J’ai de la difficulté à différencier ces notions en ce qui concerne mon jeu. J’ai été formée dans diverses traditions et, en plus, mon grand-père venait de la tradition de Franz Liszt, certes formé de façon germanique, mais qui faisait preuve d’une exceptionnelle indépendance d’esprit pour son époque. De toute façon, en ce XXIe siècle naissant, je crois qu’il devient presque impossible d’être accolé à des catégories aussi rigides. C’était pertinent il y a 100 ans, mais tout est tellement interconnecté de nos jours que la seule façon de se démarquer est de comprendre et d’interpréter la musique d’une manière individuelle.

PAN M 360 : Y a-t-il un fil d’Ariane qui traverse le programme de votre concert du mardi 24 novembre 2020 au Festival Bach de Montréal ?

ANNA SARADJIAN : Il y en a un, grosso modo, et il s’est présenté presque par accident ! On a d’abord programmé Aria variata alla maniera italiana, BWV 989, le seul ensemble de thème et variations écrit par Bach en dehors des Variations Goldberg. C’est peu joué et à découvrir ! Puis, j’ai ajouté la Partita no 4 BWV 828, dont on associe le style à une certaine « italianité ». Et puis, comme j’avais envie depuis longtemps de jouer le Concerto italien BWV 971, la connexion s’est faite naturellement. J’ai ajouté quelques courtes pièces qui sortent de ce cadre, mais que je trouve superbes.

PAN M 360 : Comme par exemple un extrait de la Passion selon Saint Matthieu, que vous avez arrangé pour le clavier. Vous faites souvent des arrangements, pourquoi vous adonnez-vous à cet exercice ?

ANNA SARADJIAN : J’en fait plus souvent maintenant, la COVID-19 ayant eu l’effet de me donner plus de temps. J’aime faire des transcriptions parce que chaque fois que j’entends une pièce de Bach que j’aime, qu’elle soit pour orchestre, chœur ou d’autres instruments, j’ai envie de la jouer ! Parfois, j’entends sa version piano dans ma tête pendant qu’elle joue. Ce sont d’abord des coups de cœur que je choisis, des pièces qui m’émeuvent en les entendant.

PAN M 360 : Quand vous jouez Bach, ce sont principalement les émotions qui vous guident, ou la rigueur architecturale ?

ANNA SARADJIAN : Je ressens Bach à un niveau émotionnel assez profond, il est vrai. Depuis que je suis toute petite, sa musique est un havre de paix, un chez-moi intime que je retrouve avec bonheur, chaque fois. Mais, avant de rendre sa musique et de la partager avec le public, je la travaille rigoureusement sur tous ses plans intellectuels, en prenant note des détails précis. Après, j’aime jouer selon ce que je ressens à son écoute. J’espère que le public ressent la même chose.

PAN M 360 : Sur votre page Facebook, je vous ai vu jouer sur un clavier électronique, est-ce une hérésie pour une pianiste classique ?

ANNA SARADJIAN : (Rires) En vérité, j’ai deux pianos à la maison, mais comme certains voisins rechignent parfois quand je joue, je me suis procuré un clavier pour pouvoir répéter sans déranger. En plus, ça me permet à l’occasion de travailler Bach avec une sonorité de clavecin !

PAN M 360 : Vous le jouez parfois sur un véritable clavecin ?

ANNA SARADJIAN : Malheureusement, je dois dire que non. C’est quelque chose que je devrais perfectionner beaucoup plus intensivement avant de penser me commettre publiquement.

PAN M 360 : Avez-vous des projets prévus pour l’après-COVID (qu’on souhaite arriver le plus tôt possible !) ?

ANNA SARADJIAN : Pas de projets très précis, si ce n’est de m’occuper plus activement d’un festival de musique géré par mon oncle en Italie, et qui a été déménagé en Arménie.

PAN M 360 : Parlant de l’Arménie, la situation actuelle vous inquiète-t-elle (NDLR : conflit armé avec l’Azerbaïdjan au sujet d’un territoire réclamé par les deux pays, le Haut-Karabakh) ?

ANNA SARADJIAN : Oui, je suis inquiète, bien entendu. J’ai encore de la famille là-bas et ce genre de situation ne peut que faire du tort à la musique. En plus de la pandémie, ça ne peut plus mal tomber. Je ne souhaite pas me mêler de politique, mais je pense que nous devrions prendre conscience de l’importance de l’enseignement de la musique et des arts, parce que, même si les jeunes ne deviennent pas musiciens, je crois que la sensibilité liée à la musique peut construire des adultes qui n’auront tout simplement pas envie d’aller en guerre.

PAN M 360 : Sur cette belle réflexion, je vous remercie de votre accueil, Anna, et vous souhaite tout le meilleur pour l’avenir ! Et surtout, bon concert !

ANNA SARADJIAN : Merci beaucoup !

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