Andrew Wan et l’effet Nagano

Entrevue réalisée par Alain Brunet

Premier violon de l’Orchestre symphonique de Montréal, Andrew Wan est invité à causer de son rôle de soliste sous la direction de Kent Nagano. Les deux musiciens nous causent de leur dernière collaboration discographique en plus de se rendre mutuellement hommage.

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Originaire d’Edmonton, Andrew Wan est premier violon de l’Orchestre symphonique de Montréal, mais aussi chambriste au sein du Nouveau Quatuor Orford, sans compter différents projets dont cet excellent duo qu’il forme avec le pianiste Charles Richard-Hamelin. De plus, il s’avère un soliste de haut niveau, ayant maintes fois excellé dans l’exécution de concertos pour violon et orchestre. Sous étiquette Analekta, il a déjà enregistré les concertos pour violon de Saint-Saëns et, plus récemment, trois œuvres issues des Amériques : le Concerto pour violon op. 30 de l’Argentin Alberto Ginastera, la Sérénade pour violon, cordes, harpes et percussions de l’Américain Leonard Bernstein, et le Concerto « Adrano » pour violon du Canadien (natif de Montréal) Samy Moussa. Sous étiquette Analekta, les œuvres ont été enregistrées par l’OSM. De concert avec Maestro Kent Nagano, il nous en explique les tenants et aboutissants. En prime, les deux musiciens nous causent d’une relation heureuse à travers un cycle important de leur vie professionnelle qu’ils ont traversé ensemble à l’OSM.

PAN M 360 : Maestro Nagano, comment avez-vous travaillé avec le soliste Andrew Wan, également premier violon pour l’OSM ?

MAESTRO KENT NAGANO:

« Eh bien, c’est un grand plaisir de travailler avec Andrew Wan en tant que soliste, nous l’avons fait ensemble ces dernières années. Bien sûr, la raison principale est qu’il est un merveilleux violoniste, mais aussi parce qu’il a un esprit ouvert et une grande curiosité. Ce n’est pas chose courante! Sur les projets que nous avons réalisés dans le passé, à commencer par les trois concertos de Saint-Saëns. C’était alors ma suggestion et Andrew Wan a dû apprendre les trois concerti, sauf un qu’il avait déjà apprivoisé un peu. C’était donc un énorme défi.

« Je pense que très peu de premiers violons peuvent maintenir un niveau international de jeu en tant que solistes. L’emploi du temps d’un orchestre peut vraiment affecter le temps et l’énergie d’un violoniste désireux de relever des défis en tant que soliste. Les meilleurs violonistes doivent faire un choix : faire un travail remarquable au sein d’un orchestre ou poursuivre une carrière de soliste. Seuls quelques-uns peuvent faire les deux, et j’ai très vite senti qu’Andrew était l’un de ceux-là lorsqu’il a joué quelques concertos en solo pour l’OSM. J’ai senti alors qu’il importait pour Andrew de maintenir actifs et compétitifs les deux volets de sa carrière. Il nous fallait alors le mettre à l’aise et lui permettre d’équilibrer son emploi du temps. Car il faut traiter ce talent avec respect. Si vous abusez de ce talent d’une manière ou d’une autre, il disparaîtra ou se tarira. Si vous traitez le talent avec respect et que vous en prenez soin, il peut se développer pendant toute une vie. »

PAN M 360 : Andrew Wan, comment voyez-vous la cohabitation de votre carrière de premier violon à l’OSM et de votre carrière de soliste?

ANDREW WAN :

« Avant de me joindre à l’orchestre, j’avais peut-être des aspirations de soliste international, et j’aurais probablement fait carrière dans la musique de chambre si je n’avais pas obtenu ce poste. J’ai tellement de respect pour les gens qui montent sur scène et jouent un concerto! C’est super intense, vous mettez sans cesse votre réputation en jeu, vous devez faire preuve autant de modestie que de confiance. C’est très éprouvant sur les plans technique et psychologique, et vous menez une vie super solitaire.

« Ce que j’aime de ma vie actuelle, c’est être avec un groupe de collègues et d’amis, une famille en quelque sorte. Aussi, je fais partie du Nouveau Quatuor Orford, ces musiciens sont mes frères. Nous ne le faisons pas à temps complet et, quand nous nous produisons, nous devons être confiants. J’ai joint ce quatuor parce que j’aime beaucoup ces interprètes, j’accepte pleinement que nous voulions apprendre les uns des autres, en jouant avec ces gars, je respecte leur incroyable intelligence, juste ma collaboration avec le pianiste Charles Richard-Hamelin. Nous venons de terminer l’enregistrement de notre dernier CD consacré à Beethoven. C’est très intense mais… je regardais Charles jouer et je me disais que j’avais de la chance ! Mon bonheur se trouve donc dans une grande variété de sphères musicales. Le dernier est l’enseignement, j’apprends aussi beaucoup de mes étudiants. Je n’aurais pas ce genre de montre si je me concentrais sur une carrière solo. Je ressens beaucoup de loyauté envers cette ville, envers l’OSM Aussi longtemps qu’ils voudront de moi, je serai ici. »

PAN M 360 : Maestro Nagano, trois œuvres pour soliste ont été interprétées sur le plus récent enregistrement de l’OSM, paru chez Analekta cet automne. Commençons par le Concerto pour violon de l’Argentin Alberto Ginastera.

MAESTRO KENT NAGANO :

« Ce concerto est connu et admiré depuis de nombreuses année. À mon avis, c’est une œuvre très difficile du point de vue des exigences techniques que de la complexité de la composition. Or, je n’avais pas entendu d’interprétation convaincante de cette œuvre et j’ai cru qu’Andrew Wan pouvait nous offrir quelque chose de très particulière. Cela signifiait qu’il devait avoir l’ouverture d’esprit nécessaire pour aborder un travail si complexe, si difficile. Voilà pourquoi c’est un tel plaisir de travailler avec quelqu’un de si talentueux, courageux et ouvert d’esprit, prêt à relever un tel défi. »

PAN M 360 : Andrew Wan, comment avez-vous vécu l’apprentissage et l’exécution de cette œuvre de Ginastera?

ANDREW WAN :

« Je ne connaissais pas le Concerto pour violon de Ginastera, Nagano m’a encouragé à l’écouter attentivement, ajoutant que je pourrais y accomplir un travail sérieux. De retour chez moi, je l’ai écouté, j’ai lu la partition. Au début, j’ai cru que c’était trop difficile. Énorme ! Alberto Ginastera fut un compositeur très éclectique. Ses œuvres les plus populaires sont plus accessibles, mais parfois et parfois ça devient dodécaphonique, parfois il use des quarts de ton, parfois c’est de la musique sérielle, parfois atonale. De prime abord, je n’ai pas vraiment compris cette oeuvre mais je me suis dit que la qualité de cette pièce était impressionnante. Maestro Nagano m’a alors suggéré d’en poursuivre l’exploration. J’ai alors entrepris de vraiment comprendre ce langage, j’ai trouvé que ce défi était considérable, qu’il était incroyablement difficile de donner un sens à cette musique aux allures parfois épineuses et ou criardes. Le Concerto de Ginastera a été écrit dans les années 60 et semble la plus moderne des trois œuvres au programme! À l’écoute de l’exécution du violoniste et maître virtuose Salvatore Accardo, j’ai réalisé que c’était définitivement jouable (rire). Mais… techniquement parlant, c’est la pièce la plus difficile que je n’avais jamais apprise. Je suis vraiment content de l’avoir fait. »

PAN M 360 : Maestro Nagano, passons maintenant à la Sérénade pour violon, cordes, harpe et percussions de Leonard Bernstein.

MAESTRO KENT NAGANO :

« C’était aussi un défi, mais décliné d’une manière différente. Andrew et moi avions déjà joué la pièce auparavant, je me souvenais de la manière dont nous l’avions abordée. Bernstein était une personne compliquée et un artiste compliqué. La base de son esthétique était une combinaison inhabituelle de formation classique européenne (ses professeurs étaient européens) de l’âme américaine. Vous pouvez observer différentes expressions populaires américaines dans sa musique mais ces idiomes restent fidèles à Leonard Bernstein. Ce n’est pas du jazz, ce n’est pas du Broadway, c’est du Leonard Bernstein. Prenons Mozart ou Mahler, l’influence populaire est là mais ils restent ce qu’ils furent.

« Andrew et moi avons donc travaillé à conserver les effets européens de son œuvre, au-delà du folklore idiomatique américain. C’est très facile à dire et très difficile à faire ! Il y a une sorte de tension harmonique qui exige une grande maîtrise de la technique. Cela a été particulièrement gratifiant tout au long des répétitions, et même pendant les sessions d’enregistrement. Andrew Wan se montre très ouvert et très mature dans cette exécution. La Sérénade a été enregistrée maintes fois, il fallait apporter quelque chose d’unique. Et je pense qu’Andrew a été capable de le faire. »

PAN M 360 : Andrew Wan, comment avez vous vécu cette exécution de la Sérénade?

ANDREW WAN :

« Cette œuvre est hyper expressive, hyper romantique, incroyablement communicative, diversifiée. J’ai toujours aimé jouer cette pièce aussi très exigeante pour l’orchestre. J’étais excité de la jouer avec l’OSM, car notre orchestre pouvait évidemment y parvenir et Maestro Nagano avait quelque chose de très spécial à dire sur cette pièce. Je suis très heureux de l’avoir fait et impressionné par mes collègues qui l’ont si bien jouée et m’ont si bien soutenu. Fait à noter, c’est Leonard Bernstein qui avait commandé le concerto de Ginastera, nous avons ici un beau lien thématique. »

PAN M 360 : En dernier lieu, Maestro Nagano, parlons de la troisième pièce au programme, soit le Concerto pour violon « Adrano » composé par le Québécois Samy Moussa, qui réside désormais à Berlin.

MAESTRO KENT NAGANO :

« Samy Moussa exprime son style de la manière la plus stimulante qui soit. Cette œuvre est minimaliste, dans le sens de la pureté et non du simplisme. Cette pièce est courte et elle utilise une matière compositionnelle relativement limitée. Cette matière est développée et élargie de manière à surprendre les oreilles, on y observe un haut niveau de sophistication. Ce qui divere des effets spectaculaires, choquants, provocants ou théâtraux. Ce travail est très concentré et intense, d’un point de vue compositionnel. Selon moi, c’est un grand pas pour Samy Moussa, qui a une longue relation avec l’OSM. Bien sûr, Samy vient de Montréal, donc il y a un sentiment de communauté dans le choix de cette oeuvre. L’ironie est que la première fois que j’ai entendu sa musique, c’était à Munich, et c’est là que nous avions fait connaissance. Alors oui c’est une relation spéciale. »

PAN M 30 : Pour vous, Andrew Wan, que justifie ce choix d’une œuvre de Samy Moussa?

ANDREW WAN :

« Je ne me souviens pas si c’est mon idée ou celle de Nagano que de choisir des musiques des Amériques pour cet album. En tout cas, j’ai vraiment poussé la candidature Samy, je n’ai aucune friction avec Nagano à ce sujet. Je sais qu’il avait d’autres projets en tête, mais il m’a dit que si je tenais à mon choix, c’était OK. Je crois que Samy est un compositeur très important. Je lui ai alors demandé de m’écrire quelque chose qui s’élèverait au-dessus de l’orchestre, comme des lignes hautes contre des textures d’orchestre très profondes… et il l’a fait ! Il a gardé cela à l’esprit et bien sûr, il a aussi inséré dans l’oeuvre des passages virtuoses, mais je me suis beaucoup amusé à travailler là-dessus. »

PAN M 360 : Le mandat de Kent Nagano est désormais terminé. Que retenez-vous de votre collaboration?

ANDREW WAN :

« Nagano est l’un des musiciens les plus réfléchis que je connaisse. Il croit notamment que la personnalité d’un musicien se reflète dans son art, cela se reflète dans sa manière de jouer le répertoire, de Bach à Messiaen en passant par Bernstein. Cela m’a vraiment marqué. Alors Nagano étant cette personne réfléchie, il n’est pas du genre à faire quelque chose pour le spectacle. Il défend ses choix artistiques, c’est une de ses qualités les plus importantes et cela se reflète dans son engagement dans la communauté. Un autre de ses points forts est son approche collaborative, mais parfois un maestro doit être un maestro. Il était doué pour être un leader et pour accepter des responsabilités pour tout ce que vous savez.

« Il est un visionnaire en quelque sorte. Il y a quelques années, nous avons attaqué A Quiet Place de Bernstein, qui est une oeuvre très difficile à apprendre. Mais lors de l’exécution, des spectateurs avaient quitté la salle et… nous avons quand même enregistré cette œuvre et nous avons reçu de très bonnes critiques. La musique doit séduire, mais la musique doit aussi briser les barrières. Nagano a donc beaucoup d’intégrité en ce sens. Et de la patience! Avant un concert, nous avions répété ensemble quelques lignes difficiles d’une œuvre dont j’étais le soliste. Un peu plus tard, il a frappé à la porte de ma loge, et m’a demandé si j’étais vraiment à l’aise, il voulait s’assurer que l’exécution convenue me convenait. Si généreux! C’est pourquoi la tâche de trouver son successeur (Rafael Payere) était énorme. Nous ne voulions pas d’une version inférieure du leader qu’il est, car Nagano a placé la barre haut.  Avec l’OSM, d’ailleurs sa relation est loin d’être terminée. »

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