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(Crédit photo : Anachnid)
Installée à Montréal, Anachnid est une chasseuse du Grand Nord aussi bien qu’une citadine de la grande ville. Sorti en février dernier, son album Dreamweaver concilie ces deux mondes, l’un est plus spirituel, en lien avec la nature et les traditions de ses ancêtres, l’autre est plus urbain, rythmé par la vie nocturne du centre-ville de Montréal. Chaque morceau nous fait découvrir une partie de la toile que l’artiste a tissé à partir de son esprit animal, l’araignée. Délicate, protectrice mais mordante et venimeuse à la fois, l’artiste nous dévoile un peu plus sa personnalité en vue de son concert au FME ce samedi.
PAN M 360 : Le lieu du concert pour ton passage au FME est tenu secret, à quoi peut-on s’attendre ?
Anachnid : Dans ma culture, les pow wow étaient des lieux secrets aussi, parce que nous n’avions pas le droit de danser ou d’avoir de rituels, donc pour moi, c’est un petit peu un rappel du passé, de mes ancêtres. Anachnid est quelqu’un de très minimaliste, mais je fais toujours une petite performance, comme je porte des vêtements noirs. D’autres fois, j’ai des petites cornes de chevreuils que mon parrain et mon père ont chassés ensemble. J’ai toujours un élément culturel que j’apporte avec moi. Parfois des tambours, une petite flûte, ça dépend comment je ressens l’énergie de chaque événement. J’ai un band maintenant aussi. Là, j’ai joué avec eux pour la première fois à Québec, l’un est à la guitare et au drum, l’autre au clavier pour les samples, c’est vraiment intéressant comme vibe.
PAN M 360 : Ton animal totem est l’araignée. Je serais curieuse d’en savoir plus, comment ça t’est venu ?
Anachnid : C’est tout le temps un aîné qui donne l’esprit animal à quelqu’un. J’étais quand même une adolescente difficile, compliquée. Ça aide le parent de savoir le totem de l’enfant. C’est une aînée qui m’a donné l’araignée. L’araignée protège les enfants des mauvais esprits. J’ai vécu avec beaucoup de cauchemars, alors j’ai appris à faire des capteurs de rêves pour me protéger. Pour que ça marche vraiment, il faut faire son propre capteur de rêves parce que c’est ta propre énergie. Un capteur de rêves est en fait une toile d’araignée qui protège les gens de leurs mauvais rêves. A l’aube, quand on voit l’eau sur la toile d’araignée, c’est là que le rêve est purifié. C’est pour ça qu’on met des petites billes dans les capteurs de rêves, pour représenter l’eau et les éléments de la terre.
PAN M 360 : Et pour ton album?
Anachnid : Quand une araignée se brise une patte, ça repousse. Je me suis fracturé le pied gauche, j’ai donc fait mon album en chaise roulante. J’avais comme quatre pattes, j’étais moitié machine moitié humaine, c’était bizarre. Je suis tombée un peu en psychose parce que je ne pouvais pas marcher. C’est comme ça que j’ai fait mon album, avec toute la douleur, la vulnérabilité de dépendre sur d’autres. Je me sentais vraiment comme une araignée. J’ai réalisé que quand tu es en psychose, 75 % de tes pensées ne sont pas vraies. Donc, tu retiens ton calme comme ça (rires). C’est une phase de ma vie que je suis contente de ne plus vivre. J’ai sorti toute la douleur, alors la quarantaine était presque un jeu pour moi, de rester à l’intérieur. J’ai appris à m’aimer moi-même durant la quarantaine aussi, à reconstruire mon nid. Il y a une pandémie à chaque centaine d’années, il faut juste regarder les consignes du passé, comment ils ont survécu. C’est les connaissances qui nous aident à travers les périodes instables.
PAN M 360 : Les références traditionnelles autochtones contrastent beaucoup avec les sons plus modernes d’électro et de trap que tu utilises.
Anachnid : C’est un petit clin d’œil, dans la culture autochtone, il y a des lignes de trappe, pour attraper les gibiers. Je fais des parallèles, l’album est vraiment une toile d’araignée. On y met des petites références autochtones. Ça englobe la toile, comme un capteur de rêve. Il faut quelque chose de concret pour tenir la toile. Ma toile est faite de quelque chose de spirituel, puis autour, c’est la machine, c’est du métal. Tu as de l’eau, un fil en métal, puis ça crée de l’électricité. Avec l’électricité, tu peux créer du son, avec le son, tu peux créer de la musique. C’est des parallèles avec la nature.
PAN M 360 : Ton album a été retenu sur la courte liste du prix Polaris. On y trouve aussi l’artiste Backxwash, qui joue également au FME.
Anachnid : Oui, je suis en contact avec elle. J’aime vraiment sa musique. Quand je l’écoute, j’ai l’impression qu’il y a un côté de moi-même qui fait un miroir avec cette énergie-là, genre tribal et un peu « bloody ».
PAN M 360 : On retrouve aussi ce côté-là dans ta chanson Windigo.
Anachnid : C’est la première chanson que j’ai faite, elle a été reconnue par le Prix autochtone national. J’étais quand même contente, parce que beaucoup de membres de ma famille n’approuvaient pas ma colère. Mais c’est l’expression d’une fréquence que je partageais. Ma consommation affectait beaucoup mes amis autour de moi, ça m’affectait aussi. J’avais toujours ce côté-là de mes ancêtres qui m’empêchait de « fully let go ». C’est un petit peu sur ça, la consommation, le capitalisme. Oui, je bois puis je fume, ça ne veut pas dire que le peuple autochtone doit être stéréotypé parce que moi, je bois et fume (elle chante le refrain de Windigo). C’est le système capitaliste qui m’a programmée pour que je reste là en tant que minorité, à consommer puis à ne pas m’épanouir.
On nous a mis dans un coin, dans une réserve, littéralement. Les réserves protègent notre identité, mais c’est aussi un cadeau empoisonné. Je pense qu’il y a 52 communautés autochtones qui manquent d’eau. Je trouve ça vraiment épouvantable. Avec les pipelines, c’est se tirer une balle dans le pied. Il y a beaucoup de trafic de sex work, c’est souvent des femmes autochtones qui disparaissent. Les gens disent qu’il s’agit de protéger la terre et l’eau, mais c’est aussi pour protéger les femmes. Il y a vraiment un problème dans le système. Le Canada est beaucoup plus dark, comme Windigo, que vous le pensez. Il y a une injustice.