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Godspeed You! Black Emperor (GY!BE) et Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra , ces groupes cultes au sein desquels le multi-instrumentiste Efrim Menuck joue un rôle central, n’ont que peu à voir avec All Hands_Make Light, nouveau projet mis de l’avant ce week-end à Pop Montréal et qui coïncide avec la sortie officielle d’un premier enregistrement indépendant.
C’est idem pour la chanteuse, autrice et compositrice montréalaise Ariel Engle, mieux connue sous le pseudo La Force pour ses projets solos, sans compter sa participation régulière au collectif torontois Broken Social Scene.
Ce tout nouveau tandem provient de la mouvance musicale anglo-montréalaise des deux dernières décennies, mais les esthétiques de chacun ne laissaient aucunement présager une création commune. Or, la rencontre a bel et bien eu lieu pendant les mois de confinement et voilà une nouvelle créature, superbe créature, parfaitement distincte de ses géniteurs.
All Hands_Make Light offre un jeux de contrastes où dialoguent les airs célestes et les laves souterraines, où la dark ambient fait bon ménage avec l’ethereal wave, où les pratiques électroniques et la voix humaine engendrent la vie.
Vu la grande qualité de cette cuvée, PAN M 360 est allé à la rencontre de cet excellent duo, renforcé sur scène par Jace Lasek (The Besnard Lakes) et Erika Angel (Thus Owls) dans le contexte de Pop Montréal.
PAN M 360 : Ne pensez-vous pas que l’addition de vous deux crée un troisième personnage ?
EFRIM MENUCK : Oui ! Je ressens quelque chose comme ça. Nous nous sommes bien équilibrés. Nous sommes très différents, nos sens et notre esthétique sont différents. En même temps, nous nous connaissons, nous nous respectons. Je pense que nous apportons tous les deux des choses différentes à l’autre.
ARIEL ENGLE : Je trouve que nous avons réussi à nous représenter dans le duo mais oui, c’est très différent de ce que nous sommes artistiquement, chacun de notre côté. C’est comme faire un bébé, différent de ses parents!
PAN M 360 : Comment tout cela s’est-il produit ?
EFRIM MENUCK : Je venais de terminer une tournée difficile, je me souviens être rentré à la maison et m’être senti profondément insatisfait de ce que je faisais alors. Ainsi, j’ai commencé à penser que je devrais entreprendre une collaboration, soit un simple duo avec quelqu’un qui chante. Et j’étais trop timide pour téléphoner à Ariel parce que je n’avais pas d’idée précise… sauf une collaboration.
ARIEL ENGLE : J’avais croisé Efrim sur la rue, tout près du club Ursa de Martha Wainwright pour entendre Jennifer Castle.Efrim et moi ne sommes pas des amis proches, nous nous respectons mutuellement en tant qu’artistes. Néanmoins, je connais Efrim depuis longtemps, il m’a alors glissé l’idée de ce projet dans l’oreille et puis nous sommes allés au concert. Puis le confinement a commencé et j’avais cette idée qui me trottait dans la tête. J’ai écrit à Efrim pour en savoir davantage sur cette idée. La balle a commencé à rouler (expression anglaise), il m’a envoyé la musique de la chanson Lie Down in Roses Dear, qui est la première chanson au programme, et puis ils m’a envoyé les paroles et je lui ai renvoyé la mélodie vocale. Vraiment, ce n’était pas compliqué entre nous.
EFRIM MENUCK : Oui, très facile. Quand ça n’a pas marché, on était tous les deux d’accord pour le changer. Oui, c’était rapide et facile, tu sais. Nous nous sommes donc croisées et nous avons vaguement planifié un appel téléphonique. Puis le COVID est arrivé, nous avions tous les deux des tournées annulées, nous étions chacun pris à la maison… alors pourquoi ne pas commencer maintenant ! Et donc tout ce que je savais à l’époque sur Ariel, c’est qu’elle a une belle voix, qu’elle est une bonne improvisatrice et qu’elle peut surfer sur n’importe quoi. Elle a une profonde musicalité. Beaucoup de gens s’attachent à une tonalité parfaite, à des harmonies parfaites… Or, ce n’est pas son cas, je savais qu’elle ne serait pas effrayée par un accord distordu, qu’elle trouverait le moyen de s’exprimer. Alors je lui ai simplement envoyé des enregistrements avec lesquels elle pourrait chanter. Et ça sonnait très bien ! Alors tout s’est passé très vite. Et après, nous avons mis un certain temps pour terminer le travail.
PAN M 360 : Avez-vous discuté de vos différences pendant le travail de création?
ARIEL ENGLE : Nous n’avons pas parlé des mélanges esthétiques. Je trouvais néanmoins que la facture était assez forte, assez marquée, je n’avais qu’à me laisser aller là-dedans. J’ai toujours aimé les contextes dans lesquels je pouvais être assez libre. Ma musique est un peu plus pop que la sienne, mais j’aime beaucoup ses musiques et les musiques impliquant l’improvisation. Efrim et moi partageons plusieurs goûts musicaux, même si nos projets respectifs ne se ressemblent pas.
PAN M 360 : Les extrêmes sont très beaux dans cette musique, célestes et sombres à la fois. Le ressentez-vous ainsi ?
EFRIM MENUCK : Oui, oui, je suis d’accord. Il y a quelque chose dans la voix d’Ariel qui est très… je ne sais pas quel est l’adjectif à employer, c’est une belle voix mais aussi il y a de la terre dans ce n’est pas seulement le chant d’un ange, vous voyez ce que je veux dire ? Il y a un côté terreux qui est magnifique.
ARIEL ENGLE : Je me sentais parfois submergée par les sons et parfois il y avait cette grande délicatesse. J’adore ce contraste ! En fait, je ne sais pas exactement comment qualifier ce travail dont la rudesse n’est liée à aucune tradition. Il y a quelque chose d’ancien et de neuf là-dedans. J’aime les occasions où je peux faire de la musique qui peut me surprendre moi-même. Et lorsque j’écoute de la musique, il faut que j’en ressente la vérité, sans savoir exactement ce que définit cette vérité. C’est ce que ce projet me permet d’accomplir.
PAN M 360 : Efrim, qu’avez-vous demandé de faire à Ariel ?
EFRIM MENUCK : Parfois il faut une quantité folle de mesures pour qu’une mélodie se résolve. Dès le début, nous avons parlé de ce genre de choses. Comme je jouais des synthétiseurs dans ce projet, j’étais intéressé par des sons électroniques qui ressemblaient à des anches, des cordes, des sons qui faisaient ressortir ces sons de l’instrument lui-même, des souffles rauques. Nous avons donc cette idée conceptuelle grossière, sorte de machine électronique à respirer, et puis de vieilles mélodies, et de vieilles idées sur ce qu’est la musique populaire, une sorte de folklore d’aujourd’hui.
ARIEL ENGLE : Tout au long de la création, je chantais, je trouvais les mélodies vocales et Efrim faisait presque toute la musique. Un peu par hasard, nous avons enregistré les chansons dans l’ordre où nous les présentons dans l’enregistrement final. Quand Efrim m’envoyait la musique, j’étais vraiment remuée. Je ressentais autant tourner ces engrenages tourner et la douceur de l’expression. J’avais parfois l’image d’être dans un océan, dans un bateau où les vagues pouvaient devenir énormes sans vraiment être en danger… puisque c’était un rêve.
PAN M 360 : Quel était le matériel utilisé ?
EFRIM MENUCK : Il y avait un synthétiseur modulaire, qui est très difficile à jouer en live. J’ai utilisé un clavier Moog avec quelques filtres, les tempéraments changent, c’est toujours la même idée, c’est toujours haletant mais c’est différent évidemment parce que l’équipement est différent. Mais c’est cool. C’est bien que les chansons changent un peu, tu vois.
PAN M 360 : Étonnamment, il n’y a pas de guitare dans cette musique. Voulu ?
EFRIM MENUCK : Oui, c’est agréable de se trouver dans un espace différent. La guitare est un instrument stupide… Je l’adore mais c’est un instrument stupide. C’est difficile de rester accordé, ça fait mal au corps, c’est un engagement physique sous tension même si j’aime beaucoup jouer de la guitare. Mais c’est bien aussi de jouer d’autres instruments qui ne se bagarrent pas avec toi tout le temps. C’est cool de jouer sans avoir l’impression que ton corps va se briser!
PAN M 360 : Quant aux textes, qui les a écrits?
ARIEL ENGLE : Les paroles sont les miennes sauf celles de la première chanson , Lie Down in Roses Dear, et To Raise a Child où nous chantons nos textes respectifs.
PAN M 360 : Avez-vous travaillé dur après les premières prises ?
EFRIM MENUCK : Il y a eu très peu d’ajouts, très peu de montage. Tout ce que j’avais fourni à Ariel était déjà très chargé. Donc au lieu d’ajouter des choses, nous en enlevions. Nous avons mis du temps à comprendre certains trucs dans la production mais, la plupart du temps, ça s’est bien passé. Même lors des premières prises de son c’était étonnamment bon. Après quoi ce fut un processus de raffinement. Vous savez, je suis plus habitué à enregistrer des trucs et puis réaliser que ça ne marche pas, pour ensuite faire en sorte que cette partie fonctionne. Tu démontes tout, et tu reconstruis la sauvegarde à nouveau. Dans ce cas-ci, il n’y avait rien de tout ça, c’était très bien!
ARIEL ENGLE : Nous n’avions fait que compléter le travail à Hotel 2 Tango. Nous avons tout fait ensemble sans l’ajout de collaborateurs supplémentaires.
PAN M 360 : Pourquoi alors ajouter certains musiciens en concert ?
EFRIM MENUCK : Parce qu’il y a trop de pistes pour que les voix et les instruments puissent être joués à deux dans un contexte live. Donc Erika Angel et Jace Lasek nous rejoindront pour chanter et jouer des claviers.
PAN M 360 : Envisagez-vous poursuivre cette aventure ?
EFRIM MENUCK : Oui, nous allons continuer à le faire tant que cela aura un sens. Nous avons vraiment apprécié jouer ensemble, même si ce n’était pas dans les meilleures circonstances – travail à distance vu le confinement. Donc je suis excité de voir ce qui va se passer dans le futur, s’asseoir et travailler ensemble, cette fois dans une même pièce.
ARIEL ENGLE : Ça pourrait durer un bon moment, c’est à voir. J’ai mon projet La Force dont je termine le deuxième album, je suis membre de Broken Social Scene – je suis d’ailleurs mariée à un des musiciens du groupe, Andrew Whiteman, connu aussi au sein du groupe Apostle of Hustle. C’est à voir. Mais ça s’est très bien passé, nous avons mené ce projet sans attentes, sans pression, dans le plaisir. Ce serait très bien de poursuivre, nous avons encore des choses à explorer ensemble, autrement que par des échanges de fichiers. Ce serait cool de voir ce que nous pourrions faire ensemble.