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Crédit photo : Lucas Paris
À la fois compositeur et plasticien, l’artiste québécois conçoit et construit des objets interactifs où le jeu est modifié par le mouvement de leur utilisateur en temps réel. En l’occurrence lui-même. Hypercube est le plus récent de ces objets qui le mettent de nouveau en scène devant public ou sur votre écran.
On doit à Alexis Langevin-Tétrault la conception ou la co-conception de différents projets rayonnant à l’échelle internationale – Interférences, Falaises, DATANOISE, QUADr, ILEA, BetaFeed, Alexeï Kawolski, Recepteurz, et bien sûr Hypercube, présenté ce mercredi à MUTEK Montréal.
Les œuvres de ce créateur originaire de Baie-Comeau constituent des écosystèmes impliquant des dispositifs audiovisuels fondés sur des technologies numériques de pointe, mais aussi sur l’interprétation à la fois physique et théâtralisée.
Pourquoi un compositeur de musique électronique choisit-il de devenir multi-disciplinaire?
« J’ai étudié en composition audio-numérique à l’Université de Montréal, indique Alexis Langevin-Tétrault. Avant de suivre cette formation, j’étais guitariste et claviériste dans des groupes rock, j’avais un rapport à la scène. J’ai beaucoup apprécié l’apprentissage de la composition mais ce rapport à la scène me manquait. J’aime cet échange d’énergie qui se produit seulement lorsqu’un public est devant soi. Or, je trouvais difficile de recréer cette énergie en ne manipulant qu’un ordinateur sur scène. Ça me manquait de bouger, d’utiliser tout l’espace. Je voulais que le mouvement sur scène fasse partie de la représentation. »
Il travaille à ce chantier depuis les 6 dernières années.
« J’essaie de créer des dispositifs me permettant d’interpréter en temps réel. Les instruments électroacoustiques n’existent pas ou peu, ce sont généralement des contrôleurs avec des boutons. J’ai donc décidé d’interpréter par le geste, et donc par une relation physique avec des objets audiovisuels dont je contrôle le son et la lumière en temps réel.
« Avant quoi je diffusais ma musique sur internet, précise-t-il. Je faisais alors de la musique électronique où je m’inspirais à la fois de codes expérimentaux et de musique électronique plus populaire. En studio, je travaillais beaucoup avec des synthétiseurs modulaires, sorte de continuité de la tendance IDM – une expression que je n’aime pas trop… »
Alexis Langevin-Tétrault interagit avec des dispositifs qui, indique-t-il, ont une personnalité propre, enfin presque.
« Cette performance résulte de ma relation avec le dispositif qui manifeste une apparence de comportement. Ce n’est pas moi seul qui fait le show. Hypercube cherche l’équilibre entre une interprétation planifiée et des moments d’improvisation libre. C’est important pour moi d’avoir cette liberté d’improviser. En même temps, je ne veux pas que ça devienne trop confus. J’ai quand même une direction pendant la performance; différents signaux ou points prédéterminés me permettent de garder le cap. C’est important qu’il y ait un arc dramatique cohérent. Je suis libre de faire ce que je veux mais j’essaie de ne pas me perdre dans l’interprétation. »
Le créateur est conscient du risque de travailler avec un attirail audionumérique à la fine pointe, car il y a toujours ce piège de la prouesse technique… pas forcément au service d’une œuvre concluante.
« J’ai travaillé longtemps en studio pour m’assurer que ça sonne bien, qu’on puisse écouter sans voir et être satisfait du volet audio. L’idée n’est pas de faire une espèce de grand buffet et démontrer tout le potentiel de l’objet mais bien de rester dans une même esthétique et de présenter une œuvre cohérente du début à la fin. La technologie est un outil, pas une fin en soi. L’objectif est d’exprimer quelque chose. »
Notre interviewé fait observer que les progrès informatiques et les accès aux ordinateurs portables devenus très puissants favorisent cette avancée de l’expression artistique.
« Il n’y a pas si longtemps, les possibilités d’interprétation en temps réel étaient limitées, les ordinateurs n’avaient pas la même capacité. Maintenant, si on se débrouille le moindrement avec la programmation, on arrive à faire des choses assez complexes en temps réel. À la limite, ce n’est plus tant la technologie que l’imagination et la maîtrise des outils qui l’emportent. »
Dans le cas qui nous occupe ? Le concepteur d’Hypercube explique :
« Pour créer le dispositif, je me suis inspiré de cette idée de forme géométrique qui se déplace dans le temps, dans la quatrième dimension. Lorsque je manipule cette forme, j’obtiens beaucoup d’informations simultanées provenant de senseurs – cela me permet notamment de déduire l’orientation et la position du cube. Par ailleurs, les capteurs de tension liés aux câbles qui maintiennent le cube en suspension me permettent d’en contrôler la musique et la lumière. Je dois ici mentionner l’apport de Lucas Paris, qui m’a beaucoup aidé dans la construction et la programmation informatique du dispositif. Il est pour moi un précieux collaborateur, lui-même un artiste. Il a une grande passion pour l’électronique, il excelle dans la programmation, il sait trouver les bonnes composantes. »
Contrairement aux performances plus physiques qui ont caractérisé ses performances antérieures, Hypercube mène l’artiste ailleurs :
« C’est plus nuancé, plus subtil, en retenue, en nuances, en introspection. Ça me demande de bouger mais dans une autre dynamique, car le moindre petit mouvement a un impact sur le son. Je dois être vraiment concentré pour réussir cette performance, ça peut se rapprocher du tai chi ou de la méditation. J’explore ici une autre zone émotive : mouvements très lents, respirations profondes, plus de vulnérabilité sur scène, j’essaie que ça ait l’air le plus simple possible. Dans mes anciennes performances, ma posture ressemblait à celle d’un guitariste rock. Cette fois, j’essaie d’éviter mon côté un peu show-off. Afin de faire évoluer ma gestuelle, d’ailleurs, j’ai travaillé avec la danseuse et chorégraphe Anne Thériault qui m’a suivi tout au long du processus. »
De tels dispositifs interactifs sont certes attrayants lorsque leurs créateurs les utilisent à bon escient mais… lorsqu’ils passent au chapitre suivant, leur faut-il sans cesse réapprendre un nouveau langage sans avoir vraiment maîtrisé le précédent ?
« Il faut chaque fois réinventer, c’est beaucoup de travail. En même temps, plus on travaille avec les outils technologiques et mieux on comprend comment travailler avec ces outils, plus ça devient facile. Ainsi l’esthétique a pu se préciser au cours des dernières années, il y a moins d’errance, je sais beaucoup mieux où je vais. »
Pour Alexis Langevin-Tétrault, la réussite artistique de son Hypercube réside avant tout dans sa capacité à harnacher la créature technologique et la mettre au service de l’oeuvre.
« Depuis quelques années, fait-il observer, on voit de plus en plus d’artistes qui peuvent transcender l’outil. On peut apprécier l’œuvre sans savoir exactement comment elle a été conçue… ce n’est pas ce qui importe. Il y a donc une plus grande charge émotive qu’auparavant dans les œuvres audiovisuelles, c’est moins cérébral, moins hermétique. Le public arrive à en saisir le propos plutôt que la façon de faire. »