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Jointe chez elle à la campagne où elle semble couler des jours heureux avec son homme et ses enfants, Catherine Major est invitée à faire le récit de sa composition de l’ouverture et des airs d’Albertine en cinq temps, adaptation opératique d’un grand classique de Michel Tremblay.
Près de quatre décennies après la première de la pièce au théâtre du Rideau-Vert, la pièce fut adaptée en un opéra de chambre et présentée pour une première fois en septembre dernier. D’ici là, les férus d’opéra et de dramaturgie québécoise pourront en apprécier l’enregistrement audio qui vient de paraître sous étiquette Atma Classique.
Rappelons que la trame dramatique, adaptée dans ce nouveau contexte par le Collectif de la Lune Rouge, se fonde sur cinq incarnations d’Albertine, héroïne mise au monde par Michel Tremblay et qui revoit dans cette pièce cinq étapes de sa vie.
Ainsi, l’Albertine de 70 ans est campée par Chantal Lambert, celle de 60 ans par Monique Pagé, la quinquagénaire par Chantal Dionne, la quadragénaire par Florence Bourget, le trentenaire par Catherine St-Arnaud, et Madeleine par Marianne Lambert. Sauf la mezzo Florence Bourget, toutes ces chanteuses sont des sopranos.
Exclusivement féminin, le quintette des instrumentistes mis à contribution comprend la pianiste Marie-Claude Roy, la violoniste Mélanie Vaugeois, la hautboïste Élise Poulin(cor anglais dans le cas qui nous occupe), la violoncelliste Annie Gadbois et la contrebassiste Anaïs Vigeant.
Cette fois, donc, Catherine Major se trouve à l’arrière-plan et campe le rôle de la compositrice, forte d’une éducation de haut niveau en musique classique comme on le sait.
PAN M 360 : Revenons sur les fondements de l’œuvre, sur ses référents musicaux. Les écoutes nous permettent d’entendre de la musique classique de la période romantique, l’expressionnisme allemand, bref de la musique classique et quelques compléments modernes.
CATHERINE MAJOR : C’est vrai mais ce n’est pas conscient. Certains m’ont déjà parlé de Ravel dans mon approche, c’était vraiment un cadeau pour moi d’entendre ça!
PAN M 360 : Certains accords rappellent effectivement l’impressionnisme français de Ravel – ou Debussy, Fauré, Poulenc, etc On trouve d’ailleurs ces influences dans tes propres chansons.
CATHERINE MAJOR : Exact, mais je n’écrivais pas pour moi, j’avais un terrain de jeu différent. Par exemple, je ne suis pas capable de chanter 90% de ce que j’ai composé car je n’ai pas la tessiture d’une soprano! Je n’ai pas ce lyrisme non plus. Ce travail m’a donc permis d’aller à des endroits différents. C’est rare que je module autant et que je me permets autant de choses. Cette liberté m’a permis plus de choses musicalement que ce que je peux faire en chanson.
PAN M 360 : On imagine que la méthodologie est aussi différente.
CATHERINE MAJOR : Oui et ça c’est transformé en cours de route. Les six ou sept premiers airs, je les ai orchestrés après les avoir composés alors que j’ai orchestré simultanément les autres par la suite. Au départ, toutefois, je ne connaissais pas exactement l’instrumentation et le budget alloué, ce qui explique aussi la manière dont j’ai amorcé le travail. Mais si j’avais à recommencer, je referais tout en composant et en en orchestrant les airs du même coup car ça me permet d’avoir le portrait complet. Par exemple, le thème de Thérèse ma fille est joué au cor anglais, l’instrument a le rôle principal.
PAN M 360 : Vous avez déjà orchestré pour des quatuors à cordes, et cette fois c’est pour un quintette. Quelle fut la difficulté?
CATHERINE MAJOR : Écrire pour le piano a été pour moi la chose la plus difficile. Pour le piano, c’était le plus dur car d’ordinaire, je joue instinctivement. Alors que cette fois, il faut que je mette en partition les notes du piano. J’ai dû alors me mettre dans le bain car je ne suis plus la pianiste classique que je l’étais plus jeune. Mais, harmoniquement, il faut que ça bouge ! Pour les autres instruments, contrebasse, violoncelle, violon et cor anglais, ça se complète bien. C’est un tantinet comme un quatuor à cordes, et le cor anglais vient parfois accoter certaines voix où techniquement l’exécution est plus difficile – je pense notamment à La Rage; l’air implique des vocalises où l’interprète (Catherine St-Arnaud) m’a dit de ne pas me gêner de m’exclamer. À certains moments, donc, le cor anglais devient un bon allié pour mélanger sa texture à l’unisson avec la voix.
Outre l’écriture du piano, les allers-retours et les pauses de plusieurs semaines ont été difficiles. J’aurais aimé revoir the big picture avant la composition des derniers airs, et j’ai un relativement souffert du peu de rencontres tenues avec les interprètes à cause des circonstances que tout le monde connaît. Il y avait un peu de perplexité, donc ce qui fait que j’ai composé l’ouverture dix jours avant la première. Je l’ai refaite quinze fois ! J’ai aussi épuré l’orchestration qui était trop intense. Je continuerais encore à améliorer le truc, ça n’arrête jamais mais à un moment donné…
PAN M 360 : Et pourquoi un petit ensemble? Pourquoi un opéra de chambre?
CATHERINE MAJOR : On m’a dit que j’avais droit à 5 musiciennes. J’en aurais pris 7 ou 8 mais bon c’est tout de même moi qui en ai choisi l’instrumentation. Néanmoins ce pourrait être repris par un orchestre de chambre ou par un orchestre symphonique. À ce titre, j’ai demandé à Antoine Gratton s’il ferait les arrangements et il m’a répondu « Catherine t’es complètement ridicule, tu sais comment faire, le canevas est là. Après ça tu fais les contrechants, tu doubles des voix, etc. » Ça m’a rassurée d’entendre ça et je laisse aller les producteurs sur la progression du projet.
PAN M 360 : Parlez-nous des conditions d’enregistrement :
CATHERINE MAJOR : On a enregistré une semaine au Domaine Forget, peu après les premiers concerts de septembre. Ça s’est fait rapidement, et ça a été un moment de grâce. Il y avait tellement de COVID dans l’air, on craignait qu’une chanteuse n’y soit pas, car ça ne fonctionnerait pas alors. On s’est retrouvée au Domaine Forget, les cinq musiciennes, les six chanteuses, la preneuse de son Anne-Marie Sylvestre et moi. Ça a été un moment incroyable, une belle communion et ça a pris trois jours. Les chanteuses étaient face aux musiciennes sur la scène de l’amphithéâtre (sans public) et moi j’étais enfermée avec Anne-Marie dans un coqueron pas de fenêtre et néons. Anne-Marie est une lectrice hors-pair, à nous deux on avait 200 pages de musique, on prenait des notes au fur et à mesure, Anne-Marie se concentrait sur la justesse des voix et moi sur la partition que je pouvais ajuster au besoin. Les artistes répondaient à nos consignes et j’ai été quand même malléable pour modifier la proposition afin de répondre aux besoins des interprètes lorsqu’elles exprimaient leurs besoins.
PAN M 360 : Que pensez-vous de l’usage du joual de Michel Tremblay dans un opéra?
CATHERINE MAJOR : Avec recul, j’avoue que c’est particulier, surprenant. Mais puisqu’on écoute de l’opéra italien ou allemand sous-titré sans comprendre la langue, pourquoi pas le joual québécois ? En autant que ça sonne. Le fait que ce soit un collectif a été une bonne chose, cinq personnes dont Nathalie Deschamps – qui a fait la mise en scène. Michel Tremblay a ensuite tout approuvé sauf un seul petit détail : il manquait du baloney dans La désobéissance ! Mais il était très heureux que le texte fonctionne si bien lorsque mis en musique.
PAN M 360 : Serait-ce pour Catherine Major le début d’une deuxième carrière en musique?
CATHERINE MAJOR : En tout cas je suis très contente de ce projet ! Je tente actuellement de me remettre à créer mais j’ai un genre de post-partum mélangé à plein d’autres affaires… En ce moment, je n’ai pas envie de refaire de la chanson conventionnelle. On tente de me relancer sur un projet d’airs piano-voix, ça me tente. Albertine m’a fait découvrir quelque chose de très stimulant et très le fun, j’aimerais aller plus loin là-dedans. Mon chum (Moran) et moi avons une idée de comédie musicale / opéra… Ce projet m’a amené quelque chose, j’espère être capable d’en profiter pour l’étape suivante.