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Aho Ssan clôt Akousma ce vendredi à l’Usine C et PAN M 360 s’intéresse à son travail non seulement parce qu’il est un rare afro-descendant à s’illustrer dans un monde électroacoustique largement dominé par les visages pâles mais surtout parce que sa musique est excellente.
Aho Ssan est l’autre prénom réel et le nom d’artiste du Parisien Niamké Désiré. Parallèlement à des études de mathématiques, d’infographie et de cinéma, il s’est mis au beatmaking et puis à la musique électroacoustique.
Très jeune, il a remporté le prix de la télévision de la Fondation France pour la bande originale du film Dissimulée d’Ingha Mago (2015) et s’est ensuite joint à plusieurs projets liés à l’Ircam et au GRM, institutions françaises impliquées dans la recherche électroacoustique.
Un premier album solo est sorti en février 2020 sous étiquette Subtext Recordings. Simulacrum s’inspirait de thèmes élaborés par Jean Baudrillard, notamment sur l’inclusivité et de l’égalité.
Tout récemment, un deuxième album de son cru a vu le jour, Rhizomes évoque la pensée rhizomatique de Gilles Deleuze, Félix Guattari et aussi Édouard Glissant qui en a aussi fait évoluer le concept. Des artistes de toutes origines ont été invités à y participer dont l’Américano-Chilien Nicolas Jaar, très apprécié des amateurs de musique électronique.
Voilà autant de raisons de lui causer !
PAN M 360 : Encore en 2023, rares sont les artistes afro- descendants qui s’imposent dans le domaine électroacoustique et dans la recherche fondamentale en acoustique, en électronique, et vous êtes visiblement un cas d’espèce, voire un pionnier dans la mesure où il n’y en a pas énormément. Qu’est- ce que vous en pensez?
Aho Ssan : Il s’avère que lorsque j’ai commencé avec l’album Simulacrum en 2020, c’est vrai que la plupart des références en musique électroacoustique ou en musique électronique, tout simplement, que j’écoutais, il y avait très peu d’Afro qui soient africains ou sur le territoire européen. Or, dans la foulée de la mort de George Floyd , il y a eu un collectif sur Internet qui a commencé à créer une banque de données autour des producteurs afros de partout. Je me suis alors rendu compte de la richesse de la production. À ce même moment, je rencontre KMRU qui est un artiste du Kenya et qui vit maintenant en Allemagne et on a fait un album intitulé Limen, sorte d’électroacoustique ambient.
PAN M 360 : Donc oui, on observe beaucoup plus de ressources humaines afro-descendantes. Mais cela ne se reflète pas encore dans les perceptions. C’était la même chose avec la techno ou la house, qui ont été initiées par des Noirs américains et dont l’esthétique a été ensuite reprise par les Blancs occidentaux sans que les générations d’aujourd’hui n’en soient toujours conscientes. Or , on ne peut en dire autant avec la musique concrète devenue électroacoustique, initiée par des Européens blancs il y a 75 ans. Or, en musique aujourd’hui, la culture occidentale blanche est investie par des gens qui viennent de partout dans le monde. Et les Afro- descendants n’y font pas exception, vous en êtes un exemple éloquent.
Aho Ssan : On a un festival lié au GRM et qui est très proche d’Akousma et on a toute une génération dont je fais partie et qui nous permet de découvrir tout le répertoire des générations précédentes.
PAN M 360 : Mais qu’est-ce qui vous a mené à faire de la musique électroacoustique? Quel est votre parcours ?
Aho Ssan : J’ai commencé à écouter des musiques plus abstraites, quand j’étais ma première année de fac. J’étais alors étudiant en mathématiques, physique et informatique. Et j’avais un ami qui utilisait des logiciels tels que Max/MSP à l’époque, qui sont des logiciels informatiques permettant de faire de la musique. Je n’avais alors aucune connaissance de ces logiciels, et j’ai commencé à chercher les artistes qui les utilisaient pour faire de la musique. Et j’ai ainsi découvert des musiques qui exigeaient une écoute plus attentive et c’est comme ça que j’ai commencé aussi à m’investir dans dans la musique concrète. Au début, je faisais des liens avec les musiques que j’aime, des musiques un peu plus populaires même si déjà assez expérimentales, je pense entre autres à Autechre, Flying Lotus ou autres artistes du label Brainfeeder et plus encore.
PAN M 360 : Vous étiez donc disposé à chercher plus loin dans la musique électronique plus expérimentale.
Aho Ssan : Je comprenais alors l’idée de la musique concrète, mais je n’en avais jamais vraiment écouté. Dès que je découvre ce logiciel- là, je découvre un autre monde et je commence à regarder partout grâce à Internet. On commence à écouter des choses, à découvrir Bernard Parmegiani, Pierre Henry, etc. Et de la même manière, ceux qui continuaient et qui m’ont beaucoup influencé.
PAN M 360 : Et donc, vous n’avez pas poursuivi en mathématiques?
Aho Ssan : J’ai fait une licence en mathématiques. Et après ça, j’avais envie d’avoir quelque chose de plus artistique parce que c’est vraiment là où je me voyais être. Donc, j’ai fait des études de design et d’infographie avant de passer à des études de cinéma. Mais je n’ai pas fait d’études de musique.
PAN M 360 : Mais vous avez quand même une formation liée à l’univers numérique. Votre vocabulaire musical, vous l’avez élaboré dans cet univers.
Aho Ssan : Quand je commence à faire ça, j’utilisais des logiciels aujourd’hui rustiques comme Fruity Loops à l’époque. Sur Internet, il n’y avait pas beaucoup de tutoriels comme c’est le cas maintenant. J’ai dû faire beaucoup de recherches, des heures et des heures passées dans logiciel à essayer de comprendre pourquoi ce bouton actionne ceci ou cela, qu’est- ce que c’est la compression, qu’est- ce que c’est une réverbération, etc. J’essayais de reproduire ce que j’aimais à ce moment- là, pour ensuite essayer de trouver mon propre langage.
PAN M 360 : Vous avez grandi à Paris, quelles sont vos origines africaines?
Aho Ssan : Mes parents sont originaires de la Côte d’Ivoire, mais mon grand-père qui est décédé assez jeune, était trompettiste originaire du Ghana. Mes parents ne parlaient pas vraiment anglais et avaient quand même hérité de la culture du Ghana. À la maison, on écoutait beaucoup de highlife et de l’afrobeat. Pour moi, sentimentalement, c’est la meilleure musique qui existe même si j’en écoute très peu aujourd’hui. Et du coup, j’essaie d’amener du groove dans ma musique, même si c’est un groove déconstruit parce que j’y incorpore aussi d’autres musiques que j’aime beaucoup. Et puis après, je dirais aussi que j’ai grandi avec un grand frère et une grande sœur qui écoutaient beaucoup de musique populaire à l’époque; du coup, j’ai connu à travers eux le hip-hop français des années 90 et donc ma culture musicale a aussi été marquée par cette période. Et je pense que là, ressent encore plus cette influence hip-hop dans Rhizomes, et on ressent aussi le côté jazz, Sun Ra notamment, que mon père écoutait aussi à la maison. Et il y a aussi cette grosse influence broken-beat dont le chef de file était Flying Lotus.
PAN M 360 : Vous parlez de « groove déconstruit » dans votre musique, de musique afro jazz ou afro- africaine qui sont cités et après ça, traités et transformés. Mais encore?
Aho Ssan : Oui j’y incorpore des musiques inspirés par des artistes du groove mais aussi expérimentaux, qui jouaient beaucoup d’instruments différents et qu’on n’entendait pas spécialement dans la musique populaire ou même dans le jazz. Je pense à la harpe d’Alice Coltrane, par exemple, ou encore les instruments traditionnels indiens. En ce sens, le groove est déconstruit dans une autre proposition de la famille électroacoustique.
PAN M 360 : Que présentez-vous à AKOUSMA?
Aho Ssan : Je présenterai de la musique liée au processus de Rhizome. J’ai fait une pièce avec le groupe de recherche musicale, le GRM, qui m’avait commissionné une pièce et donc elle s’appelle The Falling Man, en référence à cette fameuse photo par Richard Drewde l’homme qui s’était jeté du World Trade Center. Avant que ça devienne l’album Rhizome, c’était des pièces multi-canaux que j’avais créées pour le GRM, et que j’ai jouées dans plusieurs salles.
PAN M 360 : Et donc ce n’est pas exactement une pièce tirée de l’album Rhizomes.
Aho Ssan : L’idée était de le faire une pièce en trois parties. Il y a la première partie qui vient avec le bouquin de Rhizome. Il n’est pas dans l’album qu’on peut écouter sur Spotify ou Apple Music, ce sont extras. C’est la première partie où je voulais développer cette simulation sonore de quelqu’un qui se jette dans le vide : The Falling Man.
La deuxième partie, c’est plus fantastique, fantasmagorique. C’est le voyage d’un personnage qui perd la vie et qui s’intitule Till the Sun Down.
La troisième partie, c’est un son que j’ai fait avec Lafada une artiste française. Et qui, à l’époque, n’y avait pas de voix, d’inclure la voix de La Fada sur la dernière partie, parce que je trouve que ça rajoute de l’espoir dans le voyage.
PAN M 360 : Pour sa diffusion à l’Usine C, vous avez sûrement adapté cette musique au 30 enceintes d’Akousma.
Aho Ssan : Parce que c’est un peu particulier, c’est un peu de faire de la musique multicanal, en tout cas de mon point de vue, c’est que généralement, moi, je commence avec du stéréo parce que c’est ce que mes logiciels permettent de me faire ou du mono. Et après, tu diffuses en multicanal, donc tu commences à créer de l’espace en partant de ces choses- là en stéréo. Et donc ça crée une autre pièce, finalement, un autre espace, quelque chose de physique et quelque chose de différent. Et puis après, quand ça devient un album, ça redevient en stéréo.
PAN M 360 : En dernier lieu, le titre de votre nouvel album s’inspire-t-il de Rhizomes, fameux bouquin de Gilles Deleuze et Félix Guattari, qui désigne une structure évoluant san cesse dans toutes directions à tous niveaux ?
Aho Ssan : Oui, exactement, mais ça vient aussi d’un de mes auteurs préférés, le poète et philosophe Édouard Glissant, qui en a repris le concept. C’est un peu le voyage de mes morceaux qui évoluent formellement, qui sont conçus pour des écoutes différentes, des destinations différentes.