Tout ce qui m’épouvante est un programme inspiré d’un poème de Guillaume Apollinaire et, vous vous en doutez bien, de la sombre conjoncture qui se passe ici d’explications. Ce thème de l’épouvante chapeautait cette prestation de grande qualité, gracieuseté du quatuor de saxophones Quasar, qui célébrait du coup 30 ans de pratiques exploratoires.
Ainsi, la Semaine du Neuf bat son plein depuis samedi. Présenté à l’Édifice Wilder, le premier programme présentait en première nord-américaine trois œuvres lituaniennes Calligrammes (Kristupas Bubnelis), Trauma (Mykolas Natalevičius), Azaya (Egidija Medekšaitė) et Saxopho(e)nix für Saxophontrio de Vykintas Baltakas. S’ajoutait à ces œuvres lituaniennes The Saxophone Quartet/While Flying Up de la compositrice ukrainienne Alla Zagaykevych, qui fut en résidence au Vivier pendant la saison 2022-23.
Jouée en premier lieu, Asaya d’Egidija Medekšaitė, est une œuvre fondée sur un bourdon généré électroniquement (évocation directe du drone militaire Predator) et appuyé par des drones produits en temps réel par les saxophonistes en guise d’introduction et de conclusion. Ces drones constituent le lit d’un fleuve de fréquences linéaires harmonisées à quatre saxes (soprano, alto, ténor, baryton) alternant entre consonance et dissonance, sons paisibles et harmonieux brisés par le chaos et la tragédie. Une vidéo de Lukas Miceika en appuyait le propos.
Trauma, de Mykolas Natalevičius, est une évocation presque directe du syndrome post-traumatique, qui s’incarne musicalement par une succession de détentes et de tensions, consonances et dissonances appuyées par les interprètes. Il va sans dire, les techniques étendues permettent la production d’harmoniques graves ou aiguës exécutées à la manière de longues expirations continues, relayées par les interprètes. Le calme linéaire de l’œuvre en incarne l’espoir de guérison, ses dérives dissonantes en expriment évidemment le trauma.
Saxopho(e)nix für Saxophontrio de Vykintas Baltakas, s’inspire du phénix qui renaît de ses cendres, sorte de métaphore optimiste du contexte qui nous occupe et nous préoccupe. Le sax ténor est ici exclu de l’œuvre pour trio. Cette œuvre pour trio de saxes s’exprime d’abord comme un enchaînement de vagues qui font parfois l’unité et construisent de courts motifs harmoniques au gré d’un discours non sans rappeler la respiration circulaire. D’autres moments de l’œuvre opposent des sons continus à d’autres sons hirsutes émis par les saxos, fragments mélodiques atonaux qui en illustrent les aspérités. Intéressant, certes, malgré cette impression de déjà entendu sur le territoire de la musique contemporaine.
The Saxophone Quartet/While Flying Up, d’Alla Zagaykevych, est une œuvre richement ornée, dont le discours mélodique est parfaitement assorti aux constructions généralement atonales des sons réunis. Sans produire quelque choc esthétique parce qu’elle s’inscrit dan le vocabulaire et le lexique des sons contemporains, cette œuvre s’avère très subtile, on en observe les sonorités franches, douces ou corrosives, les lignes simples ou les passages multiphoniques. En fait, tous ces sons trouvent leur place là où il se doit et exigent une grande rigueur de la part de ses interprètes. Très réussi.
Enfin, Calligramme de Kristupas Bubnelis, compositeur lituanien transplanté à New York, résulte d’un concept où les notes escaladent et déboulent sur un champ de bataille évidemment imaginaire. Ce discours saccadé, presque sauvage, mise sur les contrastes et les extrêmes. S’y succèdent les effets percussifs des tampons sur le métal, les expirations directes, les sonorités corrosives et autres fréquences résultant du jeu « normal » ou de techniques étendues. L’œuvre se conclut sur des vrilles mélodiques vers l’aigu et le grave, virtuoses et spectaculaires.
La Semaine du Neuf s’était amorcée samedi par la projection d’un film d’art, soit l’exécution par le violoncelliste torontois Amahl Arulanandam de The Holy Presence of Joan D’Arc, œuvre composée par feu le compositeur afro-américain Julius Eastman (1940-1990). L’intérêt de cette projection réside par l’écran partagé, la superposition des cordes provenant du même violoncelle. On indique que cette manière résulte de 4 heures de séquences vidéo synchronisées et disposé sur les multiples carrés de l’écran partagé. La compositrice Clarice Jensen a ainsi procédé à la transcription d’un enregistrement d’archives puisque la partition avait disparu. Fondée sur un discours mélodico-harmonique tout en staccato, dominant du début à la fin, entrelardé de lignes mélodiques à la fois soyeuses et dissonantes. Voilà une excellente idée pour rendre hommage à cet artiste oublié pendant des lustres, mort dans l’anonymat et dont le talent est ressuscité par plusieurs acteurs des musiques de créations, 3 décennies après sa mort.