La musique savante contemporaine ne se porte pas trop mal à Montréal. Hier soir, une salle pleine (l’Espace bleu du complexe Wilder dans le Quartier des Spectacles) accueillait le concert Harmonies inouïes du Quatuor Bozzini, alors que la veille, c’est l’Agora Hydro-Québec du Cœur des sciences de l’UQAM qui offrait une salle comble à la SMCQ. De bonnes nouvelles, donc. Mais revenons à nos moutons bozziniens. Ce n’était pas une proposition facile que celle de ce concert : quatre créations de musique microtonale par trois jeunes compositeurs et une compositrice assez peu connus : Gabriel Dufour-Laperrière, Paolo Griffin, Bekah Simms et Francis Battah (qui, celui-ci, bénéficie tout de même d’une renommée grandissante).
Les prochains concerts du Quatuor Bozzini
Adherence de Paolo Griffin est un exercice assez monochrome (ou plutôt microchrome?) qui place l’auditeur dans une sorte de microgravité sonore, faite de notes soutenues (microtonales bien sûr) se superposant les unes sur les autres dans une dynamique presque inexistante. Tout coule de Gabriel Dufour-Laperrière est une construction de proximité stylistique avec Adherence, mais déjà plus mouvante dans les dynamiques et dans l’écriture instrumentale. de nombreux glissandos détaillent une architecture générale ondoyante, qui enfle et se désenfle constamment. Ces pics et ces creux dynamiques demeurent centrés sur une moyenne qui oscille entre le mezzo-forte et le forte, mais qui, au quatre cinquièmes de la pièce environ, atteignent un intense double forte.
Les deux meilleures pièces (à mon humble avis) encadraient le programme. Songs for Fallow Fields (Chansons pour champs en jachère) de Bekah Simms ose la mélodie et la consonance, auxquelles se greffent des ornementations et des enrobages harmoniques microtonaux. En ce sens, la partition de la jeune compositrice terre-neuvienne installée à Glasgow est résolument plus actuelle que les deux précédentes. En ce début de 21e siècle, l’exploration des rencontres entre la néo-tonalité, voire le mélodisme franc, et les techniques d’avant-garde expérimentale est une avenue porteuse qui rafraîchit fortement le discours de la musique savante. Une avenue qui a également l’avantage non négligeable d’élargir le public de cette discipline. Bref, à Bekah Simms (présente dans la salle) qui disait à propos de cette pièce : Je n’ai pas l’habitude d’écrire des mélodies, mais cette fois, j’avais le temps’’, je répondrais : ‘’Poursuivez sur cette voie, et continuez de prendre le temps, ça marche!’’.
La dernière pièce du programme était également la plus étoffée, la plus aboutie et celle démontrant la meilleure maîtrise du langage musical mais aussi du principe de structure discursive et de propos à la fois exigeant et aisément compréhensible.
Simplement intitulé Quatuor à cordes no 4, l’œuvre du Montréalais Francis Battah va plus loin encore que la rencontre consonance mélodique/microtonalité de Bekah Simms. Dans son quatuor, Battah construit un système de musique modale microtonale! Ce n’est pas en soi une invention puisque dans certaines cultures, telle la tradition du chant maqam de la musique savante musulmane, la microtonalité modale est chose acquise. Néanmoins, la démarche de Batah est aboutie et franchement réussie, et ceci lui permet de créer un véhicule dans lequel des musiques folkloriques imaginaires sont évoquées dans un canevas généreux de quelque 20 minutes. Ainsi, nous avons l’impression en l’écoutant qu’une porte sur un univers parallèle s’est ouverte, nous laissant découvrir un monde semblable au nôtre, mais dans lequel les bases musicales ‘’normales’’ sont microtonales. Battah a beaucoup écouté une multitude de musiques folkloriques et savantes non européennes afin d’inspirer son écriture. On reconnaît, comme des spectres fantomatiques mais aisément discernables, des influences celtiques, indiennes, arabes, perses. Le Quatuor à cordes no 4 de Francis Battah aura, je le souhaite ardemment (et j’ose aussi le prédire) une belle et longue vie. Les quatuors sérieux et audacieux y trouveront une matière à la hauteur de leur talent et une œuvre qui malgré son haut degré de savoir saura plaire à un public curieux et attentif. L’ami et collègue Alain Brunet, qui m’accompagnait sur place, était aussi de cet avis.
Il serait presque inutile de souligner, encore une fois, la qualité de jeu du quatuor Bozzini. Impeccable et parfaitement au diapason de la volonté des artistes créateurs. Il y a certainement une bonne étoile au-dessus de la tête de ces quatre jeunes artistes en composition savante, car voir sa musique jouée par un ensemble de si haute tenue est un privilège exceptionnel.