électroacoustique / expérimental / contemporain / musique acousmatique / Musique de création

Semaine du Neuf | Les fouilles « archéosoniques » de Martin Bédard

par Alain Brunet

Les électroacousticiens présents à la Maison de la culture Marcel-Robidas de Longueuil s’entendaient lundi pour déterminer qu’il s’agissait d’un premier concert acousmatique présenté dans cette municipalité : le compositeur Martin Bédard, Longueuilois depuis 8 ans, en fut le commissaire et artiste principal, appuyé par ses collègues Pauline Patie, Louis Dufort et Antoine Lussier. L’acousmatique étant une pratique consistant à présenter des œuvres électroniques sans compléments ou autres renforts scéniques, mais plutôt au moyen d’un acousmonium, soit un orchestre de 22 haut-parleurs top niveau disposés autour du public.

Excellent programme!

Le talent de Martin Bédard doit être souligné à grands traits ici. Il a présenté lundi 3 pièces de son répertoire, composées à différentes périodes de sa carrière.

Champ de fouilles, 2008, sa première œuvre, se fonde d’abord sur un drone autour duquel un accord de fréquences se construit. Cette œuvre fut construite à partir d’une cueillette de sons anecdotiques des sons qui l’entourairent alors, composée dans le contexte du 400e anniversaire de la ville de Québec. Ce ne sont pas que des superpositions de notes, mais aussi de textures et d’interventions sporadiques d’effets plus brusques, grincements de trains sur les rails, martèlements, battement d’ailes, et autres chuintements, bref une œuvre s’inscrivant dans le long sillon de cette musique concrète initiée par Pierre Schaeffer (1910-1995) au cours des années 40, néanmoins actualisée à la manière de Martin Bédard. Nos premiers réflexes en tant que récepteurs pourraient faire en sorte que nous associerions cette œuvre à la la trame sonore d’un film noir ou un film de science-fiction, puisque la plupart d’entre nous l’ont ainsi identifiée, faute de ne pas l’écouter dans les conditions optimales d’un acousmonium. Ce serait faire fausse route, voire s’enliser dans le cliché cinématographique, car ce Champ de fouilles est fertile en rebondissements, clairement autonome lorsqu’on y consacre une attention soutenue. Ce qui m’inspire ce néologisme maison: archéosonique… excusez là.

L’œuvre suivante, Replica, implique Martin Bédard et la flûtiste/compositrice Marie-Hélène Breault, tirée de l’époque « instrumentale utopique » de Bédard, une œuvre faite essentiellement de prises de sons de flûtes tirées d’enregistrements discographiques et improvisations de Breault, ensuite filtrées, traitées, reconstruites, réorganisées, reproduites autrement, mises en abîme… « une pièce qui se replie sur elle-même dans un monde d’instruments utopiques, essentiellement flûtistiques ». Authentique labour of love conjugal (puisqu’il s’agit vraisemblablement d’un couple dans la vie), Replica est une autre version probante de cet imaginaire. Force était de noter que la deuxième œuvre était une authentique continuité formelle de ce qu’on avait écouté auparavant. La dramaturgie de Martin Bédard y implique effectivement des contrastes comparables avec des matériaux différents et ce avec une fluidité encore plus grande, preuve de maturité formelle.
Directeur artistique du festival Akousma et indéfectible amant de la nature (pour en avoir souvent causé avec lui), la pièce Monts Valin évoque cette chaîne de montagnes située dans la partie septentrionale du Saguenay. De facture ambient, cette trame linéaire est une diffraction augmentée des sons cueillis dans la nature, sons forestiers et aquatiques portés par une épaisse trame harmonique qui atteint une puissance certaine et qui finit par s’amincir au gré de légères modulations. Très zen, comme l’a annoncé Martin Bédard d’entrée de jeu.

Pauline Patie, compositrice française transplantée à Montréal, enchaîne avec la spatialisation de Surtitré, une œuvre clairement liée à la musique concrète et à ses actualisations récentes. Enchaînement d’effets surdimensionnés, assez rudement exposés, bruitisme organisé comme une succession de tensions et de détentes méticuleusement construites. Le hamster qui parcourt alors le cerveau suggère la sublimation d’une visite dans la salle des machines. Très rigoureux collage intégré de sons, peut-être un tantinet générique pour qui absorbe superficiellement une telle approche de l’évitement, du contournement et de la parenthèse, pour reprendre le commentaire de son hôte. D’autres écoutes permettront certainement d’en savoir plus long sur la patte de Pauline Patie, un nom à retenir.

Antoine Lussier, lui, a choisi de transformer, voire reconstituer en temps réel les matériaux de Choose Wwisely, une pièce plus aérienne malgré ses soubresauts parfois violents. Difficile pour le commun des mortels de départager les vertus de l’intervention en temps réel du travail de composition en studio, mais bon, il y avait assurément de la substance là-dedans.

Honey, la pièce la plus longue au programme (17’26) prévue comme conclusion « part de quelque chose de volatil… le pollen se densifie, se transforme pour atteindre un état liquide au goût puissant, un principe de densité modèle et aussi une métaphore amoureuse dédiée à ma blonde et à ma fille ».

Encore là, on observe une évolution dans la proposition de Martin Bédard. Les dimensions bruitistes et post-industrielles sont brillamment exposées. Nous nous retrouvons dans un atelier de haute technologie, chaîne de montage robotisée, chantier, les sons évoquent des activités effrénées de production humaine auxquelles on confère des éléments de composition, le tout impliquant diverses architectures sonores immatérielles et autres invisibilités résonantes, pour reprendre le titre de ce programme chargé et concluant.

PROGRAMME

Martin Bédard: Champs de fouilles  (Acousmatique) – 10’40
Marie-Hélène Breault & Martin Bédard: Replica (Acousmatique) – 14’42
Louis Dufort: Monts Valin (Acousmatique) – 11’37

Pauline Patie: Surtitré  (Acousmatique) – 10’17

Antoine Lussier: Choose Wwisely (Performance) – 11’21
Martin Bédard: Honey (Architectures from silence no.1)  (Acousmatique) – 17’26 

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électroacoustique / expérimental / contemporain / musique acousmatique

Semaine du Neuf | Vous avez dit… résolument acousmatique !

par Alain Brunet

Au Music Multimedia Room (MMR) de l’École Schulich de l’université McGill, les compositeurs belges Julien Guillamat et Annette Vande Gorne présentaient dimanche un ambitieux programme de musique électroacoustique, pas moins de 3 heures imaginées aux studios multiphoniques de Musiques & Recherches. Programme acousmatique plutôt classique d’entrée de jeu : formule qui, rappelons-le, exclut l’usage de compléments visuels au bénéfice des vertus intrinsèques de ce cinéma pour l’oreille.
Figure centrale de ce programme, la compositrice Annette Vande Gorne a présenté , présente Vox Alia, un cycle de cinq pièces construites avec comme matériau principal la voix humaine qu’a conçu la compositrice électroacoustique et aussi cheffe de choeur de longue date, pour qui « la voix est le meilleur des instruments, le meilleur communicateur des sensibilités musicales ».
Sa série de 5 pièces sous la bannière Vox Alia, dont la première, Affetti, exprime tous les affects (affetti) admis dans la musique baroque, ceci incluant la voix traitée d’un pionnier de l’électroacoustique, Pierre Schaeffer, qu’Annette Vande Gorne a jadis côtoyé et retenu les précieux enseignements.
La 2e,, Cathédrales, se déploie sur la danse sacrée d’inspiration balinaise, sur un requiem catholique, sur la transe typique des cultures anciennes, aussi sur des extraits vocaux des initiateurs des pratiques électroacoustiques, soit Pierre Schaeffer et François Bayle qui furent parmi ses mentors. La 3e, Vox intima, se fonde sur un travail accompli avec feu le poète Werner Lambersy, un texte sur la création intime et les doutes qui traversent toutes têtes créatives. La 4e, Vox Populi, évoque les lieux populaires de l’expression vocale et aussi les lieux sacrés où la voix s’exprime à travers la prière. La 5 s’intéresse aux voix animales, on y routve des singes qui chantent pour de vrai et la nature qui revient en force.
Entendu dimanche dans la meilleure salle au Canada pour ce genre d’exercice, le cycle Vox Alia révèlent de très grandes qualités. D’abord parce qu’il se fonde sur le plus vieil instrument de l’histoire humaine, la voix. La sensibilité de la compositrice et cheffe de chœur pour la voix se manifeste merveilleusement dans le traitement sensuel, circonspect et carrément brillant de son sujet. Qui cherche la voix humaine en bonne et due forme risque d’être déçu, cette charpente vocale ayant été passablement transformée, déconstruite, filtrée, reconstituée, recréée au service d’un environnement de création.
Traits puissants, voix qui chantent le sacré, crient la transe, parlent, allèguent, babillent, grichent, grondent, sifflent, ronronnent, entonnent parfois des mélodies anciennes, produisent parfois du sens. L’esthétique ici mise de l’avant correspond au bagage actualisé des pionniers de l’électroacoustique dont s’est abreuvée, mais disons aussi que la compositrice use de plusieurs référents directs et identifiables pour le commun des mortels, ce qui en démontre l’évolution au fil du temps.
Nous sommes ici dans un univers abstrait laisse se dégager peu de sens direct, peu de balises à laquelle s’accrocher, et donc un riche univers de sons dont la cohérence repose d’abord sur le ressenti de sa conceptrice et sa manière d’inviter le passé de la musique dans son présent et son avenir.
En seconde partie de ce très long programme, on a pu absorbé le travail de Julien Guillamat, artiste et professeur en électroacoustique au Conservatoire de Mons où a longtemps enseigné Annette Vande Gorne. Dans le contexte d’échange Québec-Belgique, les Montréalais David Piazza et Ana Dall’Ara-Majek ont travaillé au studio Musiques et Recherches, tout comme Robert Normandeau l’ayant visité bien avant, puisqu’on en a diffusé une œuvre de jeunesse créée en 1987, en phase parfaite avec l’esthétique de l’époque. On comprendra que ce programme résulte de ces échanges menés par les artistes et chercheurs belges. Ce qui explique aussi la diffusion, en début de programme, d’une œuvre de feu Francis Dhomont, compositeur français ayant longtemps vécu à Montréal et ayant beaucoup accompli pour l’évolution de l’acousmatique au Québec.
Ainsi, Julien Guillamat a d’abord spatialisé sa récente composition Altitudes, fondée sur les sons récoltés dans une station de ski des Pyrénées avec toutes les contradictions inhérentes à ce loisir réservé très majoritairement aux privilégiés. La trame narrative de l’œuvre ne renvoie pas systématiquement aux skis dévalant les pistes, mais joue plutôt sur cette tension/contradiction entre la nature montagnarde et les inventions humaines qui pourraient la pervertir. Encore là, il faut être mis au courant du projet de l’œuvre pour en reconnaître les matériaux et les rattacher à ce que suggère ce projet construit dans les règles de l’art électroacoustique. On aura aussi droit au deuxième mouvement de la Symphonie de l’étang, une œuvre sonore immersive du compositeur belge, paysage sonore inspiré de l’étang de Thau – sud de la France.
Enfin, on pourra dire des œuvres de David Piazza et d’Ana Dall’Ara-Majek se sont rigoureusement inscrites dans le sillon de leurs hôtes, dans la manière de recueillir, générer électroniquement, traiter et réaménager les sons. Deux œuvres très abstraites, pleines d’ébullitions, fréquences lourdement exposées, bruits maximalistes, bourdons, sons de bestiaires et autres détails infimes.
Enfin bref,un programme authentiquement acousmatique !


Programme
Francis Dhomont : Vol d’arondes (1999)
Annette Vande Gorne : Vox Alia I — Affetti (1992-2000)
Annette Vande Gorne : Vox Alia II — Cathédrales (2021)*
Annette Vande Gorne : Vox Alia III — Vox intima (2022-23)*
Annette Vande Gorne : Vox Alia IV — Vox populi (2023)*
Annette Vande Gorne : Vox Alia V — Vox naturæ (2024)*
Entracte
Julien Guillamat : Altitudes (2024)*
Julien Guillamat: Symphonie de l’étang, 2nd Mvt (2023)*
David Piazza : Clameurs et agrégats place de Ransbeck (2022)*
Ana Dall’Ara-Majek: Xylocopa Ransbecka (2017)
Robert Normandeau: Rumeurs place de Ransbeck (1987)

classique / classique occidental

Un Voyage Envoûtant à Travers Les Planètes de Holst

par Varun Swarup

Plus d’un siècle après sa création, Les Planètes de Holst demeure une pierre angulaire du répertoire orchestral, et sous la direction de François Choinière avec L’Orchestre Philharmonique et Chœur des Mélomanes (OPCM), l’œuvre a été interprétée avec une clarté et une intention qui ont mis en valeur ses textures complexes et son ampleur émotionnelle. La salle presque comble de la Maison Symphonique témoignait de l’attrait intemporel de cette suite monumentale.

Le déroulement de la performance a été marqué par une attention minutieuse aux détails, capturant le caractère distinct de chaque mouvement. De l’énergie implacable et percussive de Mars aux effluves éthérés de Neptune, l’orchestre a fait preuve d’une précision technique et d’une compréhension profonde de la vision expansive de Holst. Les applaudissements enthousiastes du public après chaque mouvement ont souligné leur connexion à la musique. La rendition de Vénus s’est particulièrement distinguée, déployant une qualité sereine et lyrique qui contrastait efficacement avec les mouvements environnants. Cependant, c’est Neptune qui a laissé l’impression la plus durable. Avec le chœur féminin positionné stratégiquement au-dessus du public, leurs voix désincarnées se sont progressivement évanouies dans le silence, créant un effet irréel qui a persisté dans la salle bien après la dernière note. Le silence collectif du public avant l’éruption des applaudissements en disait long sur l’impact de la performance.

La seconde partie du programme a opéré un changement de ton avec Gloria de Karl Jenkins, une œuvre chorale à grande échelle qui, bien que vibrante et rythmiquement engageante, a semblé quelque peu décalée par rapport à l’introspection et aux qualités cosmiques de The Planets. Malgré ce contraste de programmation, le chœur de l’OPCM a livré une performance engagée et soignée, naviguant avec précision et énergie à travers les transitions dramatiques de l’œuvre. La direction de Choinière est restée une force unificatrice tout au long de la soirée. Sa gestuelle, à la fois expressive et maîtrisée, a équilibré les extrêmes dynamiques de la partition avec une direction claire. Sa capacité à faire ressortir toute la palette de couleurs et de textures de l’orchestre était évidente, en particulier dans les passages plus délicats, où son approche nuancée a permis à la musique de respirer.

Bien que l’association de Holst et Jenkins ait mis en lumière des sensibilités musicales divergentes, la soirée a finalement démontré la versatilité de l’OPCM et le talent de Choinière en tant que chef capable de naviguer avec assurance entre le monumental et l’intime.

autochtone / chant lyrique / classique occidental / Musique de création

Semaine du Neuf | Nanatasis : une épopée musicale sous le signe du partage

par Alexandre Villemaire

Figures héroïques abénakises, animaux, insectes, esprits de la nature et marionnettes ont investi la scène du Théâtre Outremont, samedi et dimanche. Présenté dans le cadre de deux importants festivals, soit la Semaine du Neuf du Vivier (8 au 16 mars) et le Festival international de Castelliers (3 au 9 mars), Nanatasis est un opéra en trois légendes, élaboré par la conteuse et librettiste abénakise Nicole O’Bomsawin et la compositrice canadienne d’origine mexicaine Alejandra Odgers sur une commande de la compagnie Musique 3 Femmes.

S’il y avait un évènement à ne pas manquer pour parachever la semaine de relâche, Nanatasis fait incontestablement partie du lot. Le parterre du théâtre était garni de jeunes enfants, de parents et de familles, curieux de venir entendre et découvrir cette œuvre éminemment accessible.

Deux des trois légendes mettent en scène les aventures du jeune Abénaquis Klosk8ba, qui deviendra un héros après avoir traversé bien des épreuves pour sauver son peuple. Ces histoires se dévoilent devant nous en étant racontées par le personnage de Grand-mère Marmotte. En premier, c’est la création avec l’émergence des mondes matériels et spirituels qui s’éveillent aux sons d’un hochet et de ses rythmes musicaux qui amènent la vie. Le deuxième conte met en scène le héros Klosk8ba qui aide l’orignal géant Moz, dont la taille colossale menace la forêt, à devenir plus petit, alors que le troisième conte voit le même protagoniste parcourir le temps glacial de son pays, dominé par l’esprit Pebon, vers le sud afin d’y ramener l’esprit de l’été Niben pour que la nature et les animaux puissent ainsi sortir de leur sommeil.

Les contes se dévoilent devant nous sur un plateau avec une scénographie et une mise en scène inventive et astucieuse de Troy Hourie. Des structures et des projections sur toile avec des jeux d’ombres et d’éclairages créent un environnement dans lequel se meuvent différentes marionnettes représentant les différents personnages. Les chanteurs et chanteuses n’interprètent donc pas directement sur scène les personnages, mais prêtent leur voix à ces figures animées par Andrew Gaboury, Ivanie Aubin-Malo, Karine St-Arnaud et Lysanne O’Bomsawin. La basse William Kraushaar, par exemple, incarnait parfaitement le massif Moz avec une voix grave et profonde qui demeurait tout aussi agile et claire. Seule exception, le rôle de Klosk8ba incarné vocalement par le ténor Mishael Eusebio qui interagissait et actait de manière plus soutenue dans l’environnement avec son double au format de marionnettes. Son jeu, tant scénique que vocal, était tout à fait à propos. Chaque interprète (Odéi Bilodeau, soprano ; Kristin Hoff, mezzo-soprano ; Élise Bouchard-DeGonzague, mezzo-soprano) avait une partie vocale signifiante qui contribuait à l’action.

La musique d’Alejandra Odgers est de facture tonale. Le choix d’un instrumentarium percussif, incarné par l’ensemble SIXTRUM et dirigé pour l’occasion par Christopher Gaudreault, s’imbrique de manière naturelle et vivante dans l’univers de l’opéra. Tel que rapporté par la compositrice dans cette précédente entrevue, le choix d’un ensemble de percussions et d’une flûte rend hommage à l’emploi des instruments par les Abénakis et chaque conte possède son univers musical bien distinct. La création du monde s’ouvre avec le son des hochets qui s’amalgame de plus en plus, les pas de Moz sont exemplifiés par la lourdeur des tambours et les saisons par les sons des métallophones et de la flûte. Par ailleurs, le conte des saisons est celui où l’imagerie du langage d’Alejandra Odgers a été le plus riche, allant chercher des timbres et des effets instrumentaux recherchés, notamment les cloches tubulaires pour donner à l’hiver un enrobage mystérieux, la flûte, tenue par Josée Poirier, pour illustrer le vent et le chant des oiseaux.

D’une durée de 55 minutes sans entracte, le format est parfait pour offrir une vignette riche du langage musical de l’opéra, avec ses passages récités, ses airs et son emploi imagé du son des instruments. Il répond parfaitement aux personnes moins accoutumées au genre, sans pour autant tomber dans la complexité et les excès de conventions du style. Après l’avoir entendu une première fois, nous nous sommes dit, comme plusieurs dans l’assistance, que trois légendes c’est bien, mais qu’on aurait pu en prendre encore avec bonheur.

crédit photo: Claire Martin

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expérimental / contemporain / Musique de création

Semaine du Neuf | Coup d’envoi sous le thème de l’épouvante

par Alain Brunet

Tout ce qui m’épouvante est un programme inspiré d’un poème de Guillaume Apollinaire et, vous vous en doutez bien, de la sombre conjoncture qui se passe ici d’explications. Ce thème de l’épouvante chapeautait cette prestation de grande qualité, gracieuseté du quatuor de saxophones Quasar, qui célébrait du coup 30 ans de pratiques exploratoires.

Ainsi, la Semaine du Neuf bat son plein depuis samedi. Présenté à l’Édifice Wilder, le premier programme présentait en première nord-américaine trois œuvres lituaniennes Calligrammes (Kristupas Bubnelis), Trauma (Mykolas Natalevičius), Azaya (Egidija Medekšaitė) et Saxopho(e)nix für Saxophontrio de Vykintas Baltakas. S’ajoutait à ces œuvres lituaniennes The Saxophone Quartet/While Flying Up de la compositrice ukrainienne Alla Zagaykevych, qui fut en résidence au Vivier pendant la saison 2022-23.

Jouée en premier lieu, Asaya d’Egidija Medekšaitė, est une œuvre fondée sur un bourdon généré  électroniquement (évocation directe du drone militaire Predator) et appuyé par des drones produits en temps réel par les saxophonistes en guise d’introduction et de conclusion. Ces drones  constituent le lit d’un fleuve de fréquences linéaires harmonisées à quatre saxes (soprano, alto, ténor, baryton) alternant entre consonance et dissonance, sons paisibles et harmonieux brisés par le chaos et la tragédie. Une vidéo de Lukas Miceika en appuyait le propos.

Trauma, de Mykolas Natalevičius, est une évocation presque directe du syndrome post-traumatique, qui s’incarne musicalement par une succession de détentes et de tensions, consonances et dissonances appuyées par les interprètes. Il va sans dire, les techniques étendues permettent la production d’harmoniques graves ou aiguës exécutées à la manière de longues expirations continues, relayées par les interprètes. Le calme linéaire de l’œuvre en incarne l’espoir de guérison, ses dérives dissonantes en expriment évidemment le trauma. 

Saxopho(e)nix für Saxophontrio de Vykintas Baltakas, s’inspire du phénix qui renaît de ses cendres, sorte de métaphore optimiste du contexte qui nous occupe et nous préoccupe. Le sax ténor est ici exclu de l’œuvre pour trio. Cette œuvre  pour trio de saxes s’exprime d’abord comme un enchaînement de vagues qui font parfois l’unité et construisent de courts motifs harmoniques au gré d’un discours non sans rappeler la respiration circulaire. D’autres moments de l’œuvre opposent des sons continus à d’autres sons hirsutes émis par les saxos, fragments mélodiques atonaux qui en illustrent les aspérités. Intéressant, certes, malgré cette impression de déjà entendu sur le territoire de la musique contemporaine.

The Saxophone Quartet/While Flying Up, d’Alla Zagaykevych, est une œuvre richement ornée, dont le discours mélodique est parfaitement assorti aux constructions généralement atonales des sons réunis. Sans produire quelque choc esthétique parce qu’elle s’inscrit dan le vocabulaire et le lexique des sons contemporains, cette œuvre s’avère très subtile, on en observe les sonorités franches, douces ou corrosives, les lignes simples ou les passages multiphoniques. En fait, tous ces sons trouvent leur place là où il se doit et exigent une grande rigueur de la part de ses interprètes. Très réussi.

Enfin, Calligramme de Kristupas Bubnelis, compositeur lituanien transplanté à New York, résulte d’un concept où les notes escaladent et déboulent sur un champ de bataille évidemment imaginaire. Ce discours saccadé, presque sauvage, mise sur les contrastes et les extrêmes. S’y succèdent les effets percussifs des tampons sur le métal, les expirations directes, les sonorités corrosives et autres fréquences résultant du jeu « normal » ou de techniques étendues. L’œuvre se conclut sur des vrilles mélodiques vers l’aigu et le grave,  virtuoses et spectaculaires.

La Semaine du Neuf s’était amorcée samedi par la projection d’un film d’art, soit l’exécution  par le violoncelliste torontois Amahl Arulanandam  de The Holy Presence of Joan D’Arc, œuvre  composée par feu le compositeur afro-américain Julius Eastman (1940-1990). L’intérêt de cette projection réside par l’écran partagé, la superposition des cordes provenant du même violoncelle. On indique que cette manière résulte de 4  heures de séquences vidéo synchronisées et disposé sur les  multiples carrés de l’écran partagé. La compositrice Clarice Jensen a ainsi procédé à la transcription d’un enregistrement d’archives puisque la partition avait disparu. Fondée sur un discours mélodico-harmonique tout en staccato, dominant du début à la fin, entrelardé de lignes mélodiques à la fois soyeuses et dissonantes. Voilà une excellente idée pour rendre hommage à cet artiste oublié pendant des lustres, mort dans l’anonymat et dont le talent est ressuscité par plusieurs acteurs des musiques de créations, 3 décennies après sa mort.

 

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synth-punk

Dômesicle | Kap Bambino et Alix Fernz transforment le Dôme en chaos sensoriel

par Félicité Couëlle-Brunet

Il faut le voir pour le croire : après plus de vingt ans de carrière, Kap Bambino continue de se déchaîner en brûlant sur scène une énergie brute et chaotique, aussi viscérale qu’à ses débuts. Caroline Martial, la chanteuse, incarne littéralement cette fureur. Incontournable boule de feu, elle court, saute, hurle, se tord dans tous les sens, absorbée corps et âme  par la violence de la musique. Ce son, un synth-punk saturé et nerveux, ne laisse aucun répit. Chaque morceau est une décharge d’adrénaline brute, repoussant  constamment les limites de l’endurance physique, autant pour le groupe que pour le  public. 

Le Dôme de la SAT, d’ordinaire un espace de contemplation immersive, s’est transformé  en arène frénétique. C’était la première fois que j’y voyais des mosh pits. La foule,  galvanisée par l’énergie viscérale de Kap Bambino, semblait littéralement vouloir exploser.  Les visuels de TIND accompagnaient cette folie avec des esthétiques glitchées, des  textures lourdes et fragmentées, comme si l’image éclatait sous la pression sonore. Les  stroboscopes fulguraient au rythme des kicks saturés, faisant fondre la réalité dans un chaos sensoriel total.  

En ouverture, Alix Fernz avait déjà plongé la salle dans une tension poisseuse, presque  suffocante. Sa présence scénique est magnétique, teintée d’une noirceur noise punk abrasive. Contrairement à l’explosion physique de Kap Bambino, Alix Fernz exerce une emprise plus insidieuse. Les textures sonores sont lourdes, distordues, construites  comme un lent empoisonnement qui s’infiltre. Chaque battement,  chaque cri semble dissoudre la barrière entre performeur et public, jusqu’à ce que la salle  entière ne devienne qu’une masse organique pulsante. 

La transition entre les deux performances a été brutale. Alix Fernz avait laissé la foule en  état d’hypnose maladive, puis Kap Bambino est arrivé comme une détonation. Là où l’un  sature l’espace de tension, l’autre l’explose d’énergie brute. Le résultat : une immersion  totale, un sentiment d’être physiquement aspiré dans l’univers de chaque artiste. 

C’est précisément ce qui rendait cette soirée unique. Les visuels de Kaminska, plus fluides  et organiques, tentaient tant bien que mal de maintenir une forme de cohérence visuelle  face au chaos sonore. Mais la force brute de Kap Bambino l’emportait systématiquement.  C’était comme se faire écraser par un train après avoir lentement sombré dans un  marécage sonore. Une collision frontale entre deux intensités diamétralement opposées, 

mais tout aussi marquantes. La soirée s’est terminée avec DJ Raven et ses sons new wave  et funk nous a fait redescendre sur terre avec des classiques comme Kiss de Prince. 

En quittant le Dôme, il régnait une étrange sensation de flottement. Comme si ce qui  venait de se produire relevait d’un cauchemar euphorique, un moment de déréalisation  totale. Cette soirée était un rappel brutal de ce que la musique live peut encore  provoquer : un dérèglement des sens, une perte de contrôle, et cette douce violence qui  reste imprimée dans le corps longtemps après la dernière note.

baroque / chant choral / chant lyrique / classique occidental

Violons du Roy et La Chapelle de Québec | Une soirée de découvertes sur les traces des premières cantates de Bach

par Mona Boulay

C’est un répertoire intéressant que nous ont présenté les Violons du Roy, accompagnés par le chœur de chambre La Chapelle de Québec, et dirigés par Bernard Labadie, ce 6 mars dernier : celui des premières cantates de Bach, premières œuvres de celui qui allait devenir la référence absolue de la musique baroque. 

Le concert s’ouvre sur une brève, mais très enjouée, présentation par Bernard Labadie. On y interroge les jeunes années de Bach : nous n’avons aucune trace de ses compositions réalisées avant son apprentissage, à l’exception d’une pièce autour de ses seize ans. Qu’a-t-il écrit pendant ces années d’études, avant de publier ses premières cantates ? Un grand mystère qui nous rend encore plus curieux·ses d’entendre ces fameuses premières œuvres diffusées. 

Ainsi, les premières notes de la Cantate BWV 150 Nach dir, Herr, verlanget mich résonnent dans le Palais Montcalm. Comme tout au long du concert, les formations sont éclatées : ce coup-ci, pas d’altos, un seul violoncelle, une contrebasse et un basson. Tout de suite, on entend clairement des couleurs que, sans connaître parfaitement Bach, on n’aurait pas imaginées sorties de l’esprit du compositeur : des harmonies audacieuses, changements vifs de tempo à répétition, et, de par la formation particulière, un équilibre sonore singulier. Les Violons du Roy rendent avec excellence la beauté de cette cantate. Les passages en chœur sont parfaitement réussis, mais il nous a semblé que les premiers passages des solistes (issu·e·s de La Chapelle) soient un peu plus timides.

La Cantate BWV 131 Aus der Tiefe rufe ich, Herr, zu dir poursuit la soirée, et cette fois-ci c’est le pupitre des violons qui se raréfie. Les altos reviennent dans la balance, et surtout, un hautbois fait son apparition, quasiment au rang de soliste puisqu’il vient tricoter en contrepoint avec les chanteurs solistes, et répondre à leurs interventions. Il semble que ce travail soit parfois éprouvant, et bien que la majorité de la cantate soit très bien maîtrisée par la musicienne, on décèle certaines tensions par endroit (aussi faut-il préciser que la partition demande une endurance respiratoire assez impressionnante). Lors de l’Arioso chanté par la basse, Stephen Hegedus, il semble que le tempo soit disputé entre le chanteur, le hautbois et l’orgue, ce qui donne une sensation d’imprécision sans que l’on puisse savoir qui en est le·la responsable.  Toutefois, on garde un bon sentiment général de la pièce, avec un final tout à fait maîtrisé qui nous laisse avec un goût de splendeur avant l’entracte. 

C’est une formation encore plus atypique qui ouvre la seconde moitié du concert, avec deux violes de gambe et deux flûtes à bec à la place de la section de violon dans la Cantate BWV 106 Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit. Une couleur de musique ancienne bien assumée, évoquant des instrumentations de la Renaissance, qui donne lieu cependant à quelques défis de justesse. Les solistes semblent avoir repris du poil de la bête et leurs interventions marquent plus, notamment le « Ja, komm, Herr Jesu, komm! » exécuté par la soprano Myriam Leblanc avec brio. La cantate se déploie, avec également un beau solo de mezzo, exécuté par Marie-Andrée Mathieu, que l’on n’avait jusque-là pas entendue et agréablement soutenue par le ténor Hugo Hymas.

Pour clore le concert, c’est la Cantate BWV 4 Christ lag in Todes Banden qui a été choisie. Cette fois-ci on retrouve une formation baroque un peu plus standard. La cantate est plus austère, en accord avec le texte, à l’exception des Alléluias qui ponctuent chaque fin de verset. À noter un beau duo entre Myriam Leblanc et le contre-ténor Daniel Moody, bien que ce dernier perde légèrement de la beauté de son timbre sur les notes plus aiguës. Plus tard, on entend la voix de Stephen Hegedus, mise en valeur de manière plus prégnante que dans ses précédentes interventions, lors de son Aria pour le verset 5. Le concert se termine sur un ultime « Alléluia », grandiose.

Le concert BACH, LES PREMIÈRES CANTATES ET BERNARD LABADIE, sera présenté de nouveau à Québec le 7 mars 2025 et à Montréal le 8 mars 2025

BILLETS ET INFOS

expérimental / contemporain / musique acousmatique / musique actuelle

Clôture du M/NM : Havre acousmatique dans la frénésie de la Nuit Blanche 

par Judith Hamel

Samedi soir dernier, la ville grouillait d’une foule emmitouflée, attirée par l’effervescence de la Nuit Blanche. Comme une colonie en mouvement, on se faufile à travers la frénésie sonore du DJ set sur la place des Festivals avant de bifurquer vers l’Agora Hydro-Québec, de l’autre côté de Maisonneuve. Là, dans la pénombre, le public s’est disposé en grand colimaçon au cœur du dôme de 32 haut-parleurs pour écouter les sons et vibrations des œuvres du grand marathon musical qui clôt ces deux semaines intenses de la 12e édition de Montréal/Nouvelles Musiques.

Produit par le Groupe de Recherche-création sur la Médiatisation du Son (GRMS) en collaboration avec Hexagram, cet événement promet une grande nuit immersive.

D’ailleurs, ce marathon musical a dû faire naître plusieurs nouvelles passions acousmatiques puisque nombreux sont les néophytes qui, curieux par la programmation de la Nuit Blanche, se sont joints temporairement aux initiés, se laissant porter par l’expérience, avant de reprendre leur course dans la nuit montréalaise.

Pour l’occasion, pas moins de 25 œuvres étaient au programme, dont de nombreuses créations. Les premiers sons résonnent vers 19h30 avec Exercices in Estrangement (Vietnam Radio) de Sandeep Bhagwati, une œuvre qui explore l’étrangeté du monde à travers une série d’exercices poétiques. Dans celui-ci, elle interroge la façon de vivre en tant que personne déracinée. 

Puis, un deuxième bloc s’ouvre une heure plus tard, mettant en lumière sept pièces de compositeur·rices autrichien·nes dont la plupart étaient parmi nous ce soir. 

Parmi les œuvres présentées, Brandung IV de Katharina Klement déploie des articulations sonores continues, tissant des jeux de matières sonores denses, parfois granuleuses, évoquant des entrechoquements et des mouvements de liquides. Dans Mosaic de Martina Claussen, on assiste à une construction sonore où des timbres réalistes sont sculptés progressivement dans la matière et où le son se construit continuellement. Avec Inner outer self-variance and my deranged disembodied voices de Enrique Mendoza, l’expérience devient plus troublante avec une immersion dans l’expérience des hallucinations auditives, où l’on ne sait parfois plus si les sons viennent de l’œuvre ou de notre voisin de chaise, créant un certain vertige sensoriel. 

Après une courte pause, la soirée se poursuit avec un bloc de trois œuvres intégrant une dimension visuelle. 

La première, Point Line Piano de Jarosław Kapusciński, projette sur grand écran la vision en temps réel du casque de réalité virtuelle porté par l’interprète. Dans cet espace numérique, il dessine des formes qui interagissent avec le son. La répétitivité de la performance et le retour constant à des tableaux vides rendent l’expérience quelque peu statique. Par ailleurs, l’impact des gestes sur la musique m’ont semblé demeurer flous. 

Vient ensuite Fluyen de Valentina Plata, une œuvre contemplative qui met en parallèle les tunnels artificiels creusés par l’homme et les grottes d’eau souterraines naturelles du Mexique. 

Enfin, Third State de Mike Cassidy et Kristian North se présente comme l’œuvre la plus convaincante. Cette pièce pour trois lasers, à la manière d’un oscilloscope, donne à visualiser les sons. Les timbres se dessinent à travers la complexité des figures lumineuses ainsi que la superposition des couleurs qui engendre de nouvelles sonorités. 

Puis, retour à la formation acousmatique avec un long bloc de neuf œuvres. La spatialisation assurée par Kasey Pocius était au point, impressionnante, complétant les dynamiques et les narrativités des œuvres.  Parmi les œuvres présentées, Friction of Things in Other Places de Rodrigo Sigal et Mambo de Francisco Colasanto s’alliaient particulièrement bien avec le contexte d’écoute par leurs emprunts aux sonorités populaires, folkloriques et rythmes latins. 

Vers minuit et demi, j’ai fini par tirer ma révérence. Après plus de quatre heures d’immersion acousmatique, Montréal et ses fourmis de la Nuit Blanche m’ont rappelé. 

La soirée s’est poursuivie, avec encore deux blocs à venir. Cinq créations y étaient programmées, mais elles resteront, pour moi, enveloppées de mystère…

musique contemporaine / période romantique

Ensemble Obiora : âmes soeurs musicales

par Frédéric Cardin

Concert féminin et féministe, doublé d’un exemple de diversité culturelle en musique contemporaine, Sororité de l’ensemble Obiora a rassemblé un public nombreux à la salle Pierre-Mercure hier après-midi. Un programme dirigé avec vivacité par Janna Sailor et au cours duquel nous avons pu entendre pour une trop rare fois à Montréal la musique de Reena Ismaïl, une des voix les plus réjouissantes en musique d’aujourd’hui. Après une composition assez scolaire qui tenait lieu d’ouverture (When Enchantment Comes de Rachel McFarlane, inspirée d’Oscar Peterson mais assez peu représentative), c’est en effet l’univers de fusion indo-occidentale de Ismaïl, une compositrice d’origine indienne vivant aux États-Unis, qui a offert le moment le plus coloré de l’après-midi. Meri Sakhi ki Avaaz (My Sister’s Voice), pour orchestre de chambre, soprano et chanteuse hindoustanie (le style vocal classique de l’Inde du Nord) a offert une envoûtante rencontre entre deux styles vocaux très différents, sur fond d’orchestre romantico-impressionniste (debussyste pour être précis, mais avec d’évidentes couleurs indiennes) sans aspérités harmoniques contemporaines, mais expertement détaillé. L’oeuvre qui s’amorce sur un extrait sur bande du fameux duo des fleurs de l’opéra Lakmé de Léo Delibes (dont le synopsis se situe en Inde) enchaîne une version plus ‘’authentique’’ de cette mélodie, entonnée par la soliste Anuja Panditrao (excellente). 

La soprano lyrique Suzanne Taffot se joint plus tard et les deux femmes se parlent d’amitié et de sororité dans un effet d’écho du plus que célèbre air d’opéra (repris tellement souvent dans des publicités). La rencontre entre les deux types de chant est très bien équilibrée et habilement construite par Ismaïl. La finale exige même une belle part de virtuosité de la part de Taffot, qui imite les envolées saccadées typiques du chant hindoustani avec une grande précision. Bravo.

La finale du concert était assurée par la Symphonie gaélique de Amy Beach, une œuvre longtemps négligée mais presque en passe de devenir un morceau de répertoire. La lecture de Sailor invitait une grande précision, généralement offerte par Obiora, si ce n’est quelques imprécisions rythmiques occasionnelles. L’orchestre a surtout offert une belle et ample sonorité d’ensemble, transcendant son caractère de ‘’grand orchestre de chambre’’ plutôt que véritable orchestre symphonique. 

L’ensemble Obiora s’avère être un ajout d’importance dans le paysage musical montréalais et québécois, car si l’on se fie au public présent, nombreux, très diversifié, familial et surtout très attentif, il réussit à fidéliser un nouveau public à qui il fait découvrir du répertoire méconnu et inspirant. Un succès signé ‘’diversité’’ qu’il faut célébrer!

expérimental / contemporain

M/NM | La Grande accélération, ambitieuse et maximaliste

par Vitta Morales

Le M/NM s’est achevé par une pièce ambitieuse et maximaliste du compositeur et guitariste Tim Brady à l’Oratoire Saint-Joseph. En effet, l’interprétation de La grande accélération : Symphonie no. 12 a exigé que cent guitares électriques, un ensemble de percussions et deux orchestres soient séparés en sections et disposés soigneusement le long du périmètre de l’espace.

Théoriquement, un auditeur situé n’importe où au milieu (entouré par l’ensemble massif) aurait dû être en mesure de ressentir l’effet complet de la pièce avec peu de variation perceptuelle grâce aux microphones et aux haut-parleurs placés stratégiquement pour compenser les retards temporels. Il convient également de mentionner que l’œuvre a nécessité plusieurs chefs d’orchestre pour diriger différentes parties de l’ensemble afin de s’assurer que tout le monde restait dans le temps. Les musiciens portaient eux aussi des écouteurs intra-auriculaires avec click track à cet effet.

Comment toute cette préparation s’est-elle traduite dans la pratique et comment s’est déroulée l’expérience d’une pièce aussi immersive ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’était très captivant. Tout d’abord, conformément au thème du festival de cette année (le mariage entre la musique et les images), des images et des lumières ont été projetées au plafond et sur les murs, qui correspondaient vaguement à l’intensité de la musique au fur et à mesure que la pièce immersive se déroulait.

Les lecteurs d’un certain âge comprendront ce que je veux dire quand je dis que cela ressemblait aux visuels de Windows Media Player. C’est plutôt trippant et cool, mais il me semble que c’est plus une réflexion après coup par rapport à la musique elle-même.

En ce qui concerne la musique, elle contenait de douces nappes de cordes, des trémolos provenant de cent guitares électriques propres, de lourds solos de percussion, des accords de tutti croustillants, divers courants de fréquences qui s’entrecroisaient d’une section à l’autre et quelques solos de guitare électrique impliquant des glissandos de médiators.

Bien que des efforts aient été faits pour que l’expérience d’écoute soit aussi uniforme que possible, en réalité l’expérience changeait selon que l’on était assis ou non, selon l’endroit où l’on était assis et selon que l’on choisissait de se promener dans la salle. Mais ce n’était pas nécessairement une mauvaise chose. En fait, j’ai trouvé que l’exploration des variations temporelles et perceptuelles était plus amusante que de rester assis sur un banc pendant une heure. À plusieurs reprises, je me suis rapproché de la section des percussions, des guitares, des cors, etc. lorsque quelque chose attirait mon attention sur eux.

J’admets que la description du morceau m’a fait penser à la scène du film Walk Hard de Jake Kasdan dans laquelle le personnage Dewey Cox exige « une armée de cinquante mille didgeridoos » pour achever son chef-d’œuvre. Contrairement à Dewey Cox, Tim Brady est loin d’être un chanteur de country déjanté ; il m’a semblé être un compositeur et un guitariste très volontaire qui a créé une expérience d’écoute fascinante. Parfois rauque, parfois en transe, peut-être un peu trop long à mon goût, mais un morceau extrêmement intéressant qui mérite amplement de constituer un climax du 12e M/NM.

musique contemporaine / Musique de création / période moderne / post-romantique

M/NM | Climax universitaire à la Maison symphonique

par Alain Brunet

L’idée d’une coproduction entre la Société de musique contemporaine du Québec et l’École de musique Schulich de l’Université McGill est en soi excellente. Et cette idée n’est pas neuve, les deux institutions ont collaboré par le passé. De quelle manière s’incarne cette relation en 2025 ? La soirée de vendredi, passée à la Maison symphonique dans le contexte de Montréal / Nouvelles Musiques, était une occasion d’y réfléchir.

Au fil du temps, chose certaine, maestro Alexis Hauser dirige encore et toujours le meilleur orchestre symphonique estudiantin à Montréal. À la Maison symphonique, c’était certes le cas. Fort belle tenue. Rigueur. Clarté. Exécutions cohésives, solides, particulièrement dans les œuvres les plus classiques au programme – on parle ici du poème symphonique Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss, ainsi que du 2e Concerto pour piano  de Prokofiev joué par Alexey Shafirov, lauréat à deux reprises du concours de concertos de McGill –  précis sur toute la ligne, vif et tonique dans l’attaque, fluide de manière générale, et au rappel un généreux Prélude op. 3 n° 2 de Rachmaninov. 

La pièce finale au programme, celle de Richard Strauss dont le thème principal a été vastement popularisé en tant que trailor de 2001, Odyssée de l’espace, fut aussi exemplaire dans le contexte d’une exécution universitaire et d’un parquet rempli d’un public majoritairement constitué d’étudiants, d’amis, de parents, et plusieurs autres mélomanes ouverts à la chose, tous heureux d’être là.

Toutefois, il me semble que l’interprétation de Lontano de György Ligeti, jouée en première partie de programme, exigeait plus de profondeur timbrale, plus de texture et de puissance pour mener à bien ce discours obsessionnel de l’œuvre fondé sur des jeux de tensions déployés lentement sur un flot linéaire et insolite (pour l’époque de sa création). On avait l’impression que ce pan très important du programme,  au cœur de sa thématique, avait été moins bien ciselé, et c’était idem pour Continental Divide, une commande de la SMCQ passée au jeune compositeur Liam Gibson et présentée en création. En a-t-on vraiment saisi toutes les nuances ?

En premier lieu Musica ricercata de Ligeti, transposée à l’orgue et jouée par l’excellent Jean-Willy Kunz fut impeccable dans le contexte d’une transposition. 

Pour le côté cinoche, pas question de projeter des extraits de films  sur grand écran pendant les exécutions orchestrales. On a plutôt choisi l’évocation scénographique des grands classiques du cinéaste Stanley Kubrick, un fan de Ligeti ayant intégré ses musiques dans sa cinématographie. Alors pas de film, mais … apparition des jumelles spectrales de The Shining, masque cérémonial de Eyes Wide Shut , fameux monolithe de 2001, autour duquel des primates se mettent à réfléchir comme des sapiens, on en passe. On a aussi tenté des projections en mapping sur une façade arrière de l’amphithéâtre – trop éclairée pour l’intelligibilité des formes projetées ?  Bons flashs, goût certain, prémisses intéressantes, une certaine discrétion… une certaine minceur. Comment cette évocation peut-elle être maximisée dans un contexte d’exécution symphonique ? Poser la question… À n’en point douter, le très doué Sylvain Marotte (responsable des effets visuels) saura répondre à cette question pour la suite des choses. 

Et puis  il y a eu un parquet rempli ce soir-là, majoritairement peuplé de gens ravis d’être là. C’était déjà beaucoup pour la SMCQ et l’Orchestre symphonique de McGill . Qui, au fait, s’est  formalisé de certaines incohérences du programme (Prokofiev pour piano et orchestre après Ligeti… pourquoi?) et de la minceur de certaines exécutions, côté contemporain. Néanmoins, la grande majorité des spectateurs ont passé un beau vendredi à M/NM, les faiblesses évidentes de ce programme ne l’étaient pas pour la plupart.

baroque / classique

Violons du Roy, l’amitié célébrée au croisement du baroque et du classique

par Mona Boulay

Toujours dans leur série 40e anniversaire, les Violons du Roy nous ont proposé jeudi au Palais Montcalm leur concert Jonathan Cohen, Mozart et l’Amitié. Tel que son titre l’indique, le programme nous offrait un répertoire issu à la fois de l’œuvre de Mozart, mais aussi de celles d’amis proches de ce dernier. 

La soirée s’est ouverte sur la Sinfonia pour cordes en Fa Majeur, Fk. 67, de Wilhelm Friedemann Bach, fils aîné de son fameux père Johann Sebastian. Cette œuvre est un choix très intéressant, avec des couleurs avant-gardistes pour l’époque, en pleine transition entre le baroque et le classique. On y retrouve des tensions harmoniques osées, dès l’ouverture du Vivace, parfaitement soulignées par les Violons du Roy, qui nous donnent à entendre une superbe version de l’œuvre. L’occasion pour chaque pupitre de briller, notamment dans l’Allegro, lors duquel le jeu en question-réponse du thème est exécuté à merveille, véritable vague sonore qui se déplace d’une partie à l’autre de l’orchestre de chambre. 

Le concert se poursuit avec deux invité·e·s : Mélisande McNabney au piano-forte et Isaac Chalk à l’alto, pour un concert en Do Majeur de Michael Haydn, frère aîné du plus célèbre Joseph Haydn, et, comme le veut l’intitulé du concert, lui aussi proche de Mozart. La pièce met tour à tour en valeur chacun·e des des deux solistes, malgré leur jeu assez différent : d’un côté la touche précise et subtile de la pianiste, et de l’autre les envolées plus rocambolesques et baroques de l’altiste. Si l’on ne doute pas de la qualité individuelle de chacun de ces deux interprètes, on peut toutefois questionner leur jeu commun. En effet, si chacun·e brille dans ses parties solistes, les parties effectuées en duo manquent parfois de synchronisme, de jeu d’ensemble, surtout pour les effets d’ornementation ou les rallentando et accelerando, propres au style de l’époque. La mise en scène y est peut-être pour quelque chose : Melisandre au piano-forte est dos à Isaac Chalk. 

Après un court entracte, les Violons du Roy sont de retour sur scène, avec cette fois-ci deux flûtes, deux cors naturels et un basson. La section des vents vient gonfler les rangs pour la Symphonie en Mi bémol Majeur de Carl Philipp Emanuel Bach, lui aussi le fils de Johann Sebastian, et ami de Mozart. Au début de la pièce, il semble qu’un des cors peine à se réchauffer, l’instrument étant réputé pour sa difficulté technique. La pièce se déroule bien, bien que l’on peine à entendre les flûtes, souvent dans leurs registres graves, qui se tiennent pourtant debout au milieu de la scène, donnant un impact visuel supérieur à l’impact auditif. 

Pour clore ce concert, c’est le Concerto pour clarinette en la majeur de Mozart qui nous est présenté. Stéphane Fontaine, professeur de clarinette au Conservatoire de Québec et clarinette solo de l’Orchestre Symphonique de Québec, interprète brillamment la partie de soliste avec un son très rond, travaillé, maîtrisé du grave au suraigu, avec des nuances douces absolument remarquables. Sa performance tout à fait réussie laisse une marque forte sur le public pour clore le concert, accompagnée par toute la subtilité des Violons du Roy, décidément maîtres dans l’art du dosage, de la finesse et de la précision.

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