OFF Jazz | Chuck Copenace, jazz moderne et autochtone

par Michel Labrecque

J’étais très intrigué par ce concert du trompettiste de la nation Objibway Chuck Copenace, qui vit à Winnipeg, capitale du Manitoba, qui vient d’élire le tout premier premier ministre autochtone du Canada. 

Ça bouge dans les Premières Nations, en politique comme en culture, pas uniquement au Québec.

L’écoute de son dernier opus, Oshki Manitou, laissait entrevoir un mélange intéressant entre musique traditionnelle autochtone, musique électronique et jazz.

Par contre, la version concert de cet album, mercredi soir au Ministère), m’a laissé un peu sur ma faim. C’était davantage un spectacle jazz traditionnel, groovy, légèrement marqué par des chants traditionnels, à deux occasions . L’absence de claviers, omniprésents sur l’album, a transformé le son du groupe.

Une fois cela dit, le colosse timide qu’est Chuck Copenace est très touchant quand il raconte son histoire. Il a beaucoup parlé. Du fait qu’un Objibway du Nord de l’Ontario, élevé par une mère qui a vaincu ses problèmes de consommation, ait réussi à devenir trompettiste, est un formidable accomplissement. Du fait qu’il se soit reconnecté à ses racines en fréquentant les nombreuses « sweat lodges » (huttes à sudation) de Winnipeg, d’où plusieurs de ses récentes compositions sont issues. Car , dans ces huttes, on chante beaucoup. 

Chuck Copenace est un trompettiste compétent. Le guitariste Victor Lopez assure l’encadrement harmonique avec un son cristallin, plein de réverbération. Le quintette a joué du Herbie Hancock et Freddie Hubbard en plus des compositions de Copenace. 

J’aimerais revoir ce groupe dans une version plus conforme au dernier album, où la fusion des genres s’exprime de façon plus convaincante. La trajectoire de Chuck Copenace reste à suivre, puisqu’il s’est engagé à rassembler des musiciens autochtones pour construire un nouveau jazz.

L’éblouissante Isata Kanneh-Mason à la Salle Bourgie

par Rédaction PAN M 360

Le concert de mardi soir à la Salle Bourgie a été tout simplement enlevant. Isata Kanneh-Mason était en ville et a proposé au public un programme remarquablement bien construit et, surtout, virtuose. 

La pianiste Isata Kanneh-Mason, née en 1996, jouit d’une renommée internationale qui est grandement méritée. Sa présence sur scène est hypnotisante. Les yeux de tout le public sont rivés sur elle, alors qu’elle s’imprègne de la musique qu’elle voit défiler dans son esprit. Parce que oui, un des points frappant du concert est le fait qu’elle a joué les quatre œuvres, environ 1h30 de musique, presque complètement par cœur! Elle démontrait non seulement une maîtrise des partitions, mais également des rythmes particuliers des pièces, notamment du Chopin en dernière partie, et semblait vibrer, presque danser au rythme des mesures. Elle a également démontré une concentration solide tout au long du concert, faisant fi des distractions et des embuches des partitions. Elle a excellé à communiquer les émotions et l’intensité du programme.

On pouvait observer une tendance, ou plutôt un fil conducteur tout au long du programme. Les œuvres, en ordre chronologique, racontaient en quelque sorte l’histoire du romantisme. En débutant avec la Sonate pour piano no. 60 (1794-1795) de Haydn, on pouvait en entendre les premières traces. Une œuvre assez tardive, probablement composée pour le pianoforte, l’ancêtre du piano moderne, on remarque l’humour et la qualité des thèmes qui sont typiques de la plume de Haydn. Le chromatisme dans le second mouvement, qui évoluait en une gamme qui semblait disparaître dans la brume, est à noter et a été réalisé avec délicatesse. La seconde œuvre, soit la Ostersonate (1828) de Fanny Mendelssohn, est pleinement romantique, avec de grandes largesses dans les mouvements et intensité qui sait captiver l’auditeur. Le canon durant le second mouvement est tout à fait délicieux, et souligne la clarté des voix tant dans la partition que dans le jeu de la pianiste. 

La seconde partie fait quelque peu écho à la première, avec l’enchaînement d’une pièce plus claire suivie par une pièce plus mouvementée. Les Kinderszenen (1838) de Robert Schumann sont un enchaînement de thèmes assez simples qui évoquent des images de la vie de l’enfant. Ses joies, ses rêves, ses peurs, ses anxiétés, etc. Prenant à forme d’une histoire, peut-être une berceuse, on a presque envie de s’endormir avec l’enfant après la conclusion du poète. La dernière œuvre était la Sonate pour piano no. 3 (1844) de Chopin. Kanneh-Mason a eu l’opportunité ici de démontrer tout son savoir-faire, toute sa maîtrise du répertoire, et toute sa virtuosité à travers le déluge de notes, les montées volcaniques et les délicates descentes qui peignaient un délicieux paysage musical. Les voix qui apparaissaient et qui semblaient disparaître comme par magie gardaient l’attention du public déjà comblé, et les rythmiques particulières du dernier mouvement étaient plus qu’intrigantes. On sentait à nouveau combien cette musique semblait chère à la pianiste. Elle a remercié l’accueil chaleureux du public avec un court rappel, une étude de Chopin (encore lui!), qui était tout à fait majestueuse.

La Salle Bourgie a gâté son public, encore une fois, avec un artiste de renommée mondiale qui a su donner vie au répertoire et au programme. Il est sûr que plusieurs auditeurs verront ces œuvres différemment après avoir vu l’interprétation qu’en a fait Isata Kanneh-Mason.

OFF Jazz | Razalaz… bibitte intrigante, pépite jazz-fusion

par Michel Labrecque

Razalaz est le groupe d’Olivier Salazar, qui compose et dirige la musique.

Ce sextet se désigne comme un groupe jazz-funk. Pour ma part, j’ajouterais qu’il a aussi des influences de prog-rock et de musique de cinéma atmosphérique.

C’est du moins ce que j’ai ressenti lors du concert de Razalaz au Ministère, le 10 octobre, dans le cadre de l’Off Jazz. 

Olivier Salazar aime les mélanges et les fusions. Sa feuille de route l’atteste: il a joué autant avec Louis-Jean Cormier que Jacques Kuba Séguin, en passant par les très funky The Brooks.

Il joue des claviers et du vibraphone. C’est peut-être son vibraphone qui me rappelle le rock progressif. Il joue davantage comme Kerry Minnear, de Gentle Giant, que comme Gary Burton. J’ai eu l’impression parfois d’entendre du King Crimson ou du Snarky Puppy, le groupe de jazz-fusion américain. 

Mais Razalaz invente son propre son. Le groupe a offert une version renouvelée de son dernier disque Jungle Givrée, paru il y a moins d’un an. Il a pu aussi faire quelques pièces de son premier opus, Océan Sucré, de 2019.

Juste à lire les titres de cet album, on comprend que Razalaz a aussi un sens de l’humour, qu’on ressent dans la musique. Et qu’on saisit encore mieux quand Olivier Salazar vous raconte sur scène la genèse de ce qui a inspiré les titres des pièces. L’histoire de Bronzage Napolitain est très rigolote: un blanc québécois-chilien qui brule sous le soleil brésilien. C’est l’histoire d’Olivier Salazar. 

Razalaz ne se prend pas au sérieux, mais fait parfois une musique sérieuse et inspirée. Du jazz, du funk, des moments très doux. Parmi les instrumentistes, la trompette d’Andy King se distingue.

On entend aussi Émile Farley à la basse, Alex Francoeur au saxophone, François Jalbert à la guitare et Noam Guerrier-Freud à la batterie. 

Razalaz est une bibitte intrigante qu’il faudra continuer d’entendre pour voir jusqu’où elle se rendra et comment elle mutera.

OFF Jazz | Julian Gutierrez, du très bon niveau

par Michel Labrecque

Le pianiste Julian Gutierrez ne réinvente pas le jazz. Mais son groupe m’a fait passer un fort agréable moment jazzistique à saveur caribéenne, lors de son concert au Ministère, donné mardi dans le contexte de l’OFF Jazz. Une musique richement et finement arrangée et qui groove intensément par moments. Du très bon niveau.

D’origine cubaine, féru d’études en composition à l’université Laval, Julian Guttierez a créé un sextet très montréalais: le Guadeloupéen Axel Bonnaire à la batterie, le Cubain Eugenio Kiko Osorio aux congas et percussions, le brésilien Joao Lenhari à la trompette et au bugle et les québécois Guillaume Carpentier au saxophone ténor et Jean-François Martel à la basse électrique. A partir de la troisième pièce au programme, s’est joint un invité surprise: le saxophoniste Jean-Pierre Zanella, avec qui Julian Guttierez a souvent collaboré.

Ce sextuor (devenu septuor) a principalement exécuté des pièces du dernier opus du Julian Gutierrez Project, Goldstream, paru en 2022.

En matière d’improvisation, Joao Lenhari nous a offert des solos inspirés, alternant entre la douceur et l’intensité. Guillaume Carpentier apporte la profondeur du sax ténor. Julian Gutierrez a une palette harmonique très riche et tisse des solos dans lesquels la mélodie et la progression sont inspirants. Jean-Pierre Zanella est tout simplement …Jean-Pierre Zanella au sax alto et soprano.

La section rythmique du groupe apporte une énergie et une complexité contagieuse. Le discret, mais très efficace, bassiste Jean-Français Martel, appuie le très éclaté, mais fort compétent Axel Bonnaire, qui semble éprouver un plaisir fou à jouer avec son complice , le percussionniste Eugenio Kiko Osorio. 

Mini bémol: quand Julian Gutierrez s’est fait chanteur, sur deux des huit pièces présentées, j’ai été moins convaincu. 

Cela dit, ce groupe illustre la richesse de notre scène jazz et l’apport des montréalais venus d’ailleurs. Et la force du mélange. Après le concert, le brésilien Joao Lenhari m’a d’ailleurs confié qu’il trouvait Montréal plus riche culturellement que Sao Paolo, la mégapole brésilienne. Ce trompettiste dirigera bientôt le big band de l’université de Montréal. A suivre.

Le charme de James Blake s’exerce autrement

par Alain Brunet

Au milieu de la trentaine, James Blake nourrit son aura en gardant le cap sur la créativité et l’innovation.  Playing Robots Into Heaven, son 6e album paru en septembre et dont il a a joué 9 titres mardi soir, porte de nouveaux arrangements innovants et maintient un niveau élevé de qualité. 

Sur la scène d’un Théâtre Olympia rempli à pleine capacité, l’auteur, compositeur, producteur et chanteur anglais disait avoir offert sa meilleure performance de l’actuelle tournée, on était tenté de faire acte de foi.

Assisté de ses amis d’adolescence, soit le guitariste, claviériste et producteur électro Rob McAndrews (qui assurait la première partie du concert) et le batteur Ben Assiter, James Blake  offre une réelle plus-value à ses enregistrements. Ça n’a pas toujours été le cas, on a déjà observé des exécutions moins relevées depuis son émergence à la fin des années 2000. 

Or, ces musiciens autodidactes ont pris du métier et acquis une grande cohésion en tant que groupe. Entourés de claviers vintage et de synthétiseurs modulaires,  Blake et McAndrews ont l’arsenal nécessaire à une solide exécution des chansons au programme construit autour du plus récent opus, assorti de « classiques » tirés des albums précédents (homonyme, Overgrown, Assume Form, The Colour in Anything, Friends That Break Your Heart), sans compter des reprises bien senties de Feist (Limit to Your Love) , Joni Mitchell (A Case of You) et Frank Ocean (Godspeed).

James Blake a la voix sensuelle et cajoleuse d’un chanteur de charme, interprète rompu aux fréquences élevées d’un contre-ténor lorsqu’il use de sa voix de tête ou encore aux basses fréquences d’un baryton lorsqu’il choisit de s’exprimer avec sa voix de corps. Or, l’artiste est plutôt un musicien qu’une bête de scène. Jamais il ne se lève pour chanter, il préfère rester derrière ses instruments et s’adresser brièvement à son auditoire.

Sa voix suave et texturée puise dans la soul et le gospel  afro-américain, c’est idem pour les choix harmoniques de son jeu aux claviers. Jusque là, ces références n’ont rien de particulier, mais elles deviennent fort intéressantes lorsqu’elles se fondent dans cette synth pop jouée en temps réel. Les composantes électroniques de ces chansons sont généralement créatives, on y remarque aisément les sons inédits concoctés par James Blake. Qui plus est, ces chansons au programme sont intercalées de séquences électroniques traversées par le dubstep, la UK bass music ou même la techno, ce qui mène à une véritable immersion dans l’univers de notre hôte. Soirée réussie !

Et donc, on ne peut dire de lui qu’il est un authentique crooner puisqu’il n’en a aucunement l’attitude et le comportement devant public.  Le charme de James Blake s’exerce autrement. 

LISTE DES CHANSONS AU PROGRAMME INCLUANT LE RAPPEL

Asking to Break  – album Playing Robots Into Heaven


I Want You to KnowPlaying Robots Into Heaven

Limit to Your Love – Reprise de Feist, album homonyme

 
Life Round Here – album Overgrown

Big Hammer Playing Robots Into Heaven

LoadingPlaying Robots Into Heaven

Mile High – album Assume Form

I’ll Come Too Assume Form

Fire the Editor Playing Robots Into Heaven

A Case of You  (reprise de Joni Mitchell)

Love Me in Whatever Way – album The Colour In Anything

Fall BackPlaying Robots Into Heaven

Tell Me –  Playing Robots Into Heaven


Voyeur  Overgrown

Say What You Will  – album Friends That Break Your Heart


Retrograde –  Overgrown

Godspeed  (reprise de Frank Ocean)

If You Can Hear MePlaying Robots Into Heaven

Playing Robots Into Heaven -Playing Robots Into Heaven

Modern SoulThe Colour in Anything

OFF Jazz | Dolma, Rossy, Jobin, une expérience pour voix et percussions

par Varun Swarup

Dans le contexte de l’Off Jazz, la beauté sacrée de la Chapelle Saint-Louis était le décor idéal pour ce projet très convaincant et unique mené par le batteur Aaron Dolman. Aux côtés de deux chanteuses, Sarah Rossy et Eugénie Jobin, ce trio navigue dans une instrumentation révélant une réelle profondeur et une tendresse ressentie dans les riches compositions de chambre proposées par Dolman. 

Avec les deux chanteurs s’exprimant entre harmonie et contrepoint, et la batterie s’exécutant entre groove et mélodie, le caractère unique de l’expérience eut tôt fait de s’imprégner  en nous, le trio a ainsi fait preuve d’une grande sensibilité afin que le tout fonctionne rondement.

Tout au long de la soirée, le groupe a non seulement partagé ses nouvelles compositions mais a également revisité des morceaux de son premier album, Are You Here to Help?


Alors que cette soirée touchait à sa fin, le trio a laissé au public un souvenir particulièrement doux, soit une interprétation folk de Can the Circle Be Unbroken, un morceau particulièrement approprié. Aaron s’est joint à cette séquence plus intime, meublant le grand tout de triades chaleureuses exécutées à la batterie, menant la soirée à une conclusion sincère, mémorable pour celles et ceux qui s’y trouvaient.

Little Simz au MTELUS: qu’on apporte la couronne!

par Théo Reinhardt

Lundi soir était un grand rendez-vous pour les fans montréalais de Little Simz. C’était un retour à Montréal très attendu pour la rappeuse et musicienne de Londres, qui n’était pas venue de notre côté depuis ses débuts. Elle a gagné ensuite le très prestigieux Mercury Prize et explosé en succès populaire et critique avec trois récents albums.

À quoi ressemble donc un show d’une Little Simz au sommet de son art ?

La salle du MTELUS se remplit rapidement. Et, à la surprise générale, le spectacle commence d’avance! À 19h57, alors, c’est le rappeur au flow lent et mesuré OTG qui offre la première partie. Charmante prestation! Un amuse-gueule parfait pour préparer ce qui s’en vient.

Après quelques instants de fébrilité, Little Simz entre finalement sur scène avec Silhouette, issu de son dernier album NO THANK YOU. Vêtue de son uniforme habituel de concert, soit une chemise blanche extra longue et une cravate noire, parce qu’on comprendra qu’elle n’a pas besoin de tape-à-l’oeil. Seule sur scène, elle reçoit donc la pleine force du public montréalais en extase. On voit dans son visage qu’elle en est ravie.

La rappeuse assure la moitié du concert toute seule. Avec peu de temps mort entre les chansons, il n’y a pas vraiment le temps de s’ennuyer. Pour sa chanson Heart on Fire, l’éclairage passe du blanc au rouge vif, l’écran à l’arrière projette des flammes, et la température de la salle monte. Même chose peu après pour son hit Venom, avec le vert. Au milieu du concert, un guitariste et un bassiste viennent assister pour les chansons qui restent.

Honnêtement, l’art de Little Simz en live ne perd rien de sa précision devant public. Les paroles sont claires, les syllabes découpées, les consonnes incisives. On peut tout comprendre, on peut tout suivre. C’est impressionnant.  Elle ne trébuche pas une seule fois dans ses paroles ou dans les rythmes. Et elle le fait comme si c’était facile!

À un moment, Simz quitte la scène alors que les deux autres jamment quelques instants. Elle revient sur le son triomphal des cuirs de Gorilla, chanson qui mérite réellement d’être hissée au panthéon du hip-hop. À ce moment, la foule ne se contient plus. Et ainsi va le reste du concert, hit après hit, intercalé de moments plus doux et sincères.

Sii Simz possède quelque chose de spécial, c’est bien la sincérité. Elle ne surjoue pas sa présence, et c’est ce que j’ai le plus apprécié de sa part. Elle est modeste, mais consciente de son talent hors-norme et du temps qu’elle a mis pour se rendre où elle est. Elle partage sa fierté, qui lui est promptement réciproque. Lorsqu’elle sourit quand les gens chantent ses paroles, on voit que c’est vrai. 

Un mot revient en tête: rayonnante.

C’était donc un spectacle important des deux côtés. Pour Little Simz, un retour chaleureux à Montréal dans le cadre d’une tournée qui tire à sa fin. Pour nous, le retour d’une des meilleures artistes hip-hop du moment. Si vous cherchiez une intronisation lundi soir, elle avait bien lieu au MTELUS.

OFF Jazz | Blanche Baillargeon reçoit dans son Nid

par Alain Brunet

Dans les années 2000, Blanche Baillargeon s’était fait connaître au sein des G Strings de DJ Champion. Depuis lors, elle s’est aussi distinguée dans le jazz manouche de Christine Tassan et le jazz Misses Satchmo, mais encore peu de mélomanes connaissent son travail perso. 

Enfin… elle était peu connue jusqu’au printemps dernier, alors que son nouveau projet Le Nid a déclenché des choses auprès de mélomanes insoupçonnés, dont notre cher collègue Sylvain Cormier qui fut très élogieux à son sujet. En fait, Blanche Baillargeon rend public son langage compositionnel depuis 2015 et son récent opus Le Nid était la matière principale de ce concert présenté au Ministère.

Bruissement de la forêt, envol des oiseaux,  lumière dans le paysage, liberté, bonheur, mal être, espoir, empathie,  voilà autant de sources d’inspiration de ces chansons jazz, éthérées et douces en majorité. La pianiste Chantale Morin, le batteur Sacha Daoud, le clarinettiste (basse) Guillaume Bourque, le flûtiste Alex Dodier (qui peut surtout jouer du saxo dans d’autres contextes), tous de fort bons musiciens rompus au jazz, accompagnent la contrebassiste dans ce contexte de l’Off Jazz.

Nous avons ici des musiques composites entre chansons exprimées en français (les textes sont du maître poète Patrice Desbiens) ou en portugais brésilien, dont la reprise Samba e amor de Chico Buarque et autres propositions originales d’inspiration jazz-samba/bossa nova. Les référents de Blanche Baillargeon sont clairement jazz, mais aussi teintés de musiques brésiliennes ou capverdiennes inscrites dans l’imaginaire collectif planétaire, ou encore de chanson française puisant aussi dans les musiques romantiques et modernes de la tradition classique occidentale.

Voilà donc un jazz de chambre voluptueux, enveloppant, riche harmoniquement et mélodiquement, très agréable à l’écoute. Aucune performance maximale n’y est requise pour chaque interprète et improvisateur, la compositrice cherche plutôt  à créer un tout cohérent et cohésif autour de ses œuvres. Personnellement, j’ai préféré les moments non brésiliens de ce répertoire au programme de la soirée dominicale, j’avais parfois l’impression d’une certaine disparité entre ces nobles inspirations tropicales des années 60-70-80 et le reste de ses compositions originales, plus fraîches et… plus originales.

crédit photo: Jean-Pierre Dubé

Off Jazz | Une autre vie d’Erika Angell

par Alain Brunet

Erika Angell a une vie artistique distincte de celle qu’elle mène avec l’excellent groupe Thus Owls, dont elle forme le noyau créatif avec guitariste de mari, Simon Angell. On l’observe de plus en plus régulièrement, notamment  au sein du trio Beatings Are in The Body  qu’on a pu entendre en juin dernier aux Suoni Per Il Popolo, et plus récemment dimanche soir en solo et duo au Ministère, dans le contexte de l’Off Festival de jazz de Montréal.

La poésie, le chant et le son sont au centre de cette démarche subtile, unique. La voix magnifique de cette douée artiste montréalaise est le levier absolu de son expression, le choix des mots (anglais et suédois, sa langue maternelle) parfois déclamés sans mélodie est aussi brillant mais ne sert pas des chansons construites sur des charpentes normalisées depuis des lustres. Musicalement, Erika Angell use de son synthétiques continus, sortes de drones autour desquels elle procède à de brillantes surimpressions. La musicienne dispose d’un petit clavier, percussions légères et autres outils électroniques qu’elle utilise en temps réel. Les structures compositionnelles ne sont pas complexes en soi, il s’agit d’un continuum mélodico-harmonique sur lequel se posent différents ornements à différents degrés d’intensité. Et ça le fait!

Sorte de musique ambient exploratoire avec textes chantés ou dits, l’art d’Erika Angell peut aussi impliquer l’intervention de la batteure Mili Hong, résidante du Canada et originaire de Corée du Sud. Cette très douée percussionniste peut intervenir de manière aléatoire avec le vocabulaire actualisé du free jazz, mais peut aussi exprimer sa compétence sur des rythmes soutenus. Très à l’écoute d’Erika Angell, elle étoffe la proposition de son employeure qui, redisons-le au risque de radoter, gagne à être connue et reconnue à sa juste valeur.

crédit photo: Jean-Pierre Dubé

Basilique Notre-Dame : Célébration des 50 ans de carrière de Pierre Grandmaison

par Rédaction PAN M 360

L’orgue est sans contredit à l’honneur durant la saison musicale montréalaise 2023-2024. À travers tous les fantastiques concerts mettant en vedette l’imposant instrument à la Maison symphonique, il serait possible d’oublier que l’orgue Pierre-Béique a un grand frère qui réside lui aussi dans un lieu de recueillement, au sens plus commun du terme, tout de même.

Dimanche soir, la Basilique Notre-Dame du Vieux-Port célébrait les 50 ans de carrière de son organiste Pierre Grandmaison. À la console depuis 1973, il s’agit d’un jalon impressionnant pour un organiste n’ayant visiblement pas perdu la main et le showmanship après toutes ces années. C’est avec virtuosité, clarté et humour qu’il a rempli la Basilique avec le son magique de l’orgue qu’il a appris à si bien connaitre.

Un petit mot sur l’orgue de la Basilique Notre-Dame. Il est effectivement le grand frère de l’orgue de la Maison symphonique, produit lui aussi par Casavant Frères, mais cela ne raconte pas toute l’histoire. Inauguré en 1891, il résonne depuis plus de cent ans. Également, il fait actuellement 7000 tuyaux, environs 500 de plus que l’Orgue Pierre-Béique. Certes, il a été mis à niveaux assez récemment à la Maison Casavant Frères (on remarque la présence de certaines technologies présente également sur l’Orgue Pierre-Béique), mais il reste une merveille d’organologie, surtout pour son âge.

Le programme apparaissait comme un best-of des œuvres jouées fréquemment à la Basilique. On a eu droit aux classiques, avec du Bach et du César Franck, dont l’exploration des timbres et des jeux était fantastique, ainsi que plusieurs œuvres en lien avec la Vierge Marie, notamment avec l’Ave Maria de Verdi (interprété avec la soprano Caroline Bleau), provenant de son dernier opéra Otello (datant par ailleurs assez près de la conception de l’orgue de la basilique, soit 1887). La présence de trois pièces de Louis Vierne renforce l’influence de la tradition française pour la tradition montréalaise de l’orgue. On remarque également l’importance de la forme dans les œuvres au programme, avec la présence de refrains et de rappels, mais surtout de la forme chorale, qui se prêtait fort bien au contexte.

L’atmosphère dans la Basilique était assez joviale. L’écho inévitable de la Basilique affectait quelque peu le son, mais restait à propos. Pierre Grandmaison a su s’adresser efficacement à un public très diversifié dans ses horizons. Chaleureusement applaudi après chaque pièce, il a récompensé le public avec un jeu très clair qui accentuait les thèmes, rendant les œuvres accessibles pour tous. Il se permet également quelques fantaisies, notamment avec la dernière pièce, le Carillon de Westminster, qui est en réalité une harmonisation du motif du Big Ben que nous connaissons tous, et aussi avec un rappel amusant, soit les variations de Mozart sur le thème de « Ah, vous dirai-je, maman ».

Le public, qui était assis comme pour les premiers concerts dans les églises, soit face à l’autel et dos à l’arrière où l’orgue était placé, s’est diverti et s’est recueilli avec Pierre Grandmaison. Un hommage justifié à une belle carrière qui continue, après déjà tant d’années.

Il est possible d’entendre l’orgue de la Basilique et Pierre Grandmaison dans le contexte de l’activité « Prenez place à l’orgue » offert à plusieurs moments durant l’Année. Pour plus de détails et billets, c’est ICI.

Crédit photo : Alexis Ruel

Off Jazz | Fraser Hollins s’élève et nous élève

par Varun Swarup

Au printemps 2021, alors que les salles commencent à rouvrir, le bassiste Fraser Hollins et son groupe, le bien nommé Phoeni s’élèvent aujourd’hui vers des sommets de plus en plus élevés.

En tant que l’un des premiers interprètes de notre bien-aimé OFF Festival de jazz, ce groupe composé de Hollins à la basse et de Phoenix à la contrebasse a été le premier à se produire, Hollins à la basse, Samuel Blais aux anches, Carlos Jiménez à la guitare, Richardson à la guitare, Rich Irwin à la batterie, voilà une excellente vitrine pour l’immense talent local que nous semblons avoir en abondance.

Le public a eu droit à un set gracieux et convaincant de la musique originale de Hollins dans la salle chaleureusement éclairée du Diese Onze. Maniant sa contrebasse comme un oracle musical, il a ouvert la voie avec une ligne exigeant un doigté arachnéen, ce qui nous a entraînés au cœur de la pièce et de la performance. La première était en fait un hommage à Stan Lee ! 

Clairement, les compositions et arrangements pour ce groupe dynamique d’amis témoignent de son talent et c’est ce qui a rendu la soirée si spéciale. soirée. 

Chaque composition variait en genres, en humeurs et en textures, ce qui a permis à ce groupe de musiciens chevronnés de s’exprimer en toute liberté, soit de nous raconter de nombreuses histoires différentes au cours de la soirée.

Arion Orchestre Baroque et Elisabeth Pion : toucher le clavier comme Montgeroult

par Alexandre Villemaire

Arion Orchestre Baroque présente cette fin de semaine son concert d’ouverture avec la pianiste maskoutaine Élisabeth Pion comme soliste invitée dans un concert ayant pour principal attrait, la (re)création d’œuvres de la compositrice française Hélène de Montgeroult (1764-1836).

Grande visionnaire, rare aristocrate à avoir été épargnée par la Révolution et seule femme à être reçue au concours comme professeure des premières classes de piano du Conservatoire de musique de Paris, le langage musical de Montgeroult est empreint de la palette du classicisme mozartien, mais avec quelques expérimentations qui appellent au début du romantisme. 

Après une introduction par l’orchestre de la Symphonie no 26 de Mozart, nous permettant d’apprécier la direction énergique de Mathieu Lussier, la soliste a présenté le Concerto pour piano no 1 en mi bémol majeur de Montgeroult que la compositrice a construit comme une adaptation de concertos pour violon de Viotti.

L’instrument ici est digne de mention, car il donne tout le relief à l’esprit « historiquement informé » du concert. Jouant sur un forte-piano Broadwood 1826, un prêt du mécène Jacques Marchand, l’instrument offre une sonorité plus boisée et moins résonnante que les pianos modernes, mais qui permet une plus grande agilité qu’un clavecin.

L’agilité aérienne du doigté d’Élisabeth Pion est illustrée dans le premier mouvement, énergique, alors qu’on retrouve dans le deuxième, une ligne mélodique d’un très grand lyrisme évoquant Chopin, sans pour autant être dans les grandes envolées mélancoliques des Préludes ou des Nocturnes par exemple. Le troisième mouvement Rondo : Allegretto est résolument beethovénien dans son caractère avec ses cordes sautillantes et la place qu’il laisse au piano comme dans L’Empereur.

En deuxième partie du concert, Mathieu Lussier nous propose une reconstruction d’œuvres de Montgeroult. Ayant très peu composé pour orchestre, Lussier a décidé d’arranger sous forme d’ouverture, L’impératrice, plusieurs pièces de Montgeroult.

Le schéma typique vif-lent-vif et le choix d’orchestration nous permettent d’apprécier le langage de Montgeroult dans un territoire mozartien et beethovénien.

Le Concerto pour piano no 24 en do mineur de Mozart a été le théâtre d’un dialogue complice entre la soliste et le chef, mais où les vents nous ont semblé être un peu trop généreux dans l’amplitude sonore, faisant en sorte que le jeu d’Élisabeth Pion peinait à ressortir à certains moments.

Le concert Mozart et Montgeroult est présenté aujourd’hui, samedi ainsi que dimanche à la Salle Bourgie. Un concert qui vaut la peine de braver la pluie, ne serait-ce que pour découvrir la musique lumineuse d’Hélène de Montgeroult.

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