Pressure Pin Live: un art punk étonnamment calculé, mais toujours bizarre

par Ann Pill

La soirée a commencé avec Held. Ce critique pathologiquement tardif a raté son set mais ses 40 dernières secondes ont été géniales. Compte tenu de la façon dont s’est déroulé le reste de la soirée, il a clairement préparé tout le monde au succès. Puis vint Palm Sander de Toronto. Le son saturé et mélodique était parfois un peu trop compliqué. Le groupe n’était pas sans rappeler Dead Moon et Nick Cave à l’époque de The Birthday Party, mais avec un niveau supplémentaire de distorsion et de glamour. Je n’ai jamais vu quelqu’un jouer avec la puissance et la grâce de son batteur. Je pensais qu’on allait marteler la batterie. Je n’ai jamais vu quelqu’un décider qu’il n’avait pas suffisamment de poids en position assise et décider de se lever pour vraiment propulser son jeu. Je n’ai également jamais vu personne démonter les cymbales, les retirer du support et les écraser ensemble. Il y a eu quelques moments où il se passait tellement de choses que c’était compliqué, mais leur chanteur principal était si captivant et ils avaient tous des cheveux si incroyables que tout était pardonné.


Le set suivant était celui d’Antenna’93. Le groupe a joué avec un abandon inconsidéré qui caractérise tout nouveau groupe. Il avait un son indie plus optimiste remplaçant la boue sexy de Palm Sander par des riffs croustillants presque à la manière de Her. On a observé quelques difficultés techniques évidentes avec des pédales décidées à se rebeller et une sangle de guitare qui avait son propre esprit, mais ces musiciens s’amusaient tellement qu’il était facile d’ignorer les irritants. Leur bassiste se trouvait au milieu, ce qui était un choix brillant. Rien contre leurs deux guitaristes mais le bassiste et le batteur élevaient l’équipe.

Le chanteur pouvait sentir que nous prêtions attention à son batteur et à son bassiste et a sombré dans le chaos pendant la seconde moitié de son set. Ses plaisanteries entre les chansons allaient de « Qui d’autre est en sueur » à « Qui veut se faire prélever ses organes », avec un appel éloquent à une Palestine libre quelque part entre les deux. À un moment donné, il s’est mis à crier, brandissant un magazine qui a ensuite été lancé avec beaucoup d’enthousiasme au public. La musique d’Antenna ’93 était amusante et pétillante, il était donc logique que leur performance live incorpore une quantité importante de scintillement. Il leur suffit de trouver l’équilibre entre les pitreries mettant en valeur leur musique et apportant de l’énergie à la foule, ce qu’ils font certainement, sans se sentir distraits par un son pas encore tout à fait formé.


Pressure Pin a magnifiquement clôturé le spectacle. Après avoir écouté l’EP 2022, Superficial Feature, un assortiment new-wave / art-punk délicieusement désorganisé, je m’attendais à une quantité similaire de ravages que les deux groupes précédents nous ont soumis. Mais ils étaient étonnamment calculés. Ils ont joué leur set avec un synchronisme remarquable. La ligne de basse, la batterie et la guitare se reflétaient presque parfaitement. Jouer en live semble les avoir éloignés du son tumultueux de leur EP, le résultat était toujours aussi étrange mais bien plus intelligible.

Les choses se sont vraiment échauffées lorsque les chaussures du bassiste Danny Pretzel se sont volatilisées et il a dû faire le reste du set pieds nus. Honnêtement, je suggère l’élimination de toutes les chaussures à l’avenir ! Cela dit, le look soigné a ajouté à la performance. Les complets-cravates étaient apparemment incongrus par rapport à la nouveauté et à l’urgence de leur son. Pour ceux qui semblaient sortir des années 70, leur musique reflétait quelque chose de nouveau. C’est toujours un peu déchirant quand un groupe écrase complètement une reprise. Il a offert une interprétation incroyable de  I Was a Teenage Werewolf  qui fonctionnait si parfaitement avec le reste de leur set et tout le monde l’a presque trop aimé. Mais si ces mecs continuent sur le chemin qu’ils ont emprunté, très bientôt, les gens se démèneront avec autant d’insistance sur leur musique que nous l’avons tous fait jadis avec The Cramps. D’une seconde à l’autre…

Festival Bach | Les plaisirs de la sonate selon Diderot

par Alexandre Villemaire

C’est dans le cadre serein d’une Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours pratiquement remplie que s’est produit l’Ensemble Diderot, ensemble de musique reconnu entre autres « pour sa vocation de redécouvrir et interpréter sur instruments d’époque le répertoire des XVIIe et XVIIIe siècles et à révéler les liens tissés entre interprètes, compositeurs, cours et écoles d’une Europe musicale baroque sans frontières. »

Déjà venu au Festival Bach il y quelques années, le violoniste et directeur artistique de l’ensemble, Johannes Pramsohler a cette fois-ci amené ses amis Roldán Bernabé et Simone Pirri (violons), Eric Tinkerhess (violoncelle) et Philippe Grisvard (clavecin et orgue) à Montréal pour présenter un programme centré autour d’œuvres de la génération précédant celle du Kantor de Leipzig. Le répertoire de la soirée était assez unique et relativement mystérieux, en ce sens qu’il s’agissait d’une enfilade de sonate pour trois violons qui se définit par « son utilisation de trois voix dans le registre aigu du violon soutenues par une voix de basse permettant l’expression d’un jeu virtuose plus personnel ainsi qu’une écriture musicale plus complexe » qui n’est pas à confondre avec la sonate en trio – genre emblématique et très présent à l’époque baroque et régi selon des règles différentes. La sonate pour trois violons était un genre à ce point unique et expérimental que les compositeurs qui s’y sont attelés n’en ont composé bien souvent qu’une seule. Nous entendions donc pour une bonne part l’essentiel du catalogue de ces sonates comme l’ont indiqué avec humour Johannes Pramsohler et Philippe Grisvard dans leurs quelques interventions au public. Pour son premier passage dans la métropole, l’Ensemble Diderot a livré une performance empreinte de subtilité et de dynamisme marqué. Un dynamisme qui n’était pas exempt de difficulté alors que les cordistes devaient composer avec des instruments que les fluctuations de température obligeaient les instrumentistes à réaccorder quasi systématiquement entre chaque pièce.

La première partie a mis la table de manière équilibrée et honnête. Les sonates de Gabrielli et Fontana ont donné lieu à de beaux échanges de passages violonistiques soutenus par un continuo rond et sonore et des élans mélodiques offerts par l’orgue. La Sonata a 3 violini de Schmelzer a été imaginé par les musiciens de Diderot comme une évocation du Jugement de Pâris, épisode important de la mythologie grecque qui opposent les déesses Héra, Athéna et Aphrodite. Le prince de Troie, Pâris, doit remettre une pomme à la plus belle d’entre elles. Les dialogues musicaux sont ici fortement idiomatiques passant d’un mouvement tendre et lyrique, à un thème plus animé et énergique pour finir par une page au caractère de supplication proche du recueillement. La Sonate pour 3 violons de Johann Fux, sans continuo, est un étrange entremêlement de lignes musicales contrapuntiques variées, qui nous laisse une impression de fouillis harmonique, malgré des nuances et dynamiques subtiles et parfaitement exécutés.

C’est particulièrement dans la deuxième partie du concert que c’est vraiment manifesté l’inventivité et l’esthétique du type de sonates dont l’Ensemble Diderot s’est fait le représentant. Ouvrant la deuxième partie, la Sonata in Eco de Marini nous a permis d’apprécier le jeu virtuose et vocal de Pramsohler auquel répondait celui de ses camarades Bernabé et Pirri depuis l’arrière du chœur de la chapelle, amplifiant ainsi l’effet d’écho que la pièce appelle par l’emploi de la répétition des derniers segments des lignes musicales des violons. La Sonata Seconda de Giovanni Buonamente évoque pour les musiciens la figure mythologique des Parques, ces êtres qui tissent le destin de chaque individu. Les lignes musicales, typiques d’une inspiration de la canzone, sont portées par un effet imitant un rouet chez les violons qui se conclut par un coup d’archet sec et sonore au violoncelle symbolisant une vie qui vient d’être coupée. Synthèse éclatée des écritures de la forme sonate, la Sonata decima du néerlandais Carolus Hacquart, exceptionnellement construite en quatre mouvements est frivole, agile et stylistiquement varié. Considéré comme l’inventeur du concerto, la sonate de Torelli porte la marque de cette influence avec des tutti sonores et claironnant. En guise de conclusion, une sonate d’Antoine Dornel empreinte de dramatisme qui a été chaudement applaudi. En guise de rappel, les musiciens ont offert un cadeau nuptial, soit le fameux Canon de Pachelbel : une œuvre certes surjouée, mais qui était traitée avec bon goût et vivacité. Comme quoi, on n’a pas à bouder son plaisir, surtout quand on est accompagné par la fantaisie et la rigueur de l’Ensemble Diderot.

Le Festival Bach se poursuit jusqu’au samedi 2 décembre. Pour voir la programmation détaillée, rendez-vous sur le site officiel du festival.

Consultez également la programmation de l’Off-Festival Bach qui propose tous les jours du 22 au 29 novembre à partir de 12h une série de concerts et d’activités gratuites.

Crédit photo : Antoine Saito

Le Vivier et l’Orchestre de l’Agora | Une célébration virtuose de la musique actuelle

par Elena Mandolini

Le Vivier et l’Orchestre de l’Agora se sont alliés hier soir pour remplir une de leurs missions premières : promouvoir et présenter la musique actuelle sous toutes ses formes. Le programme proposé, dont certaines commandes de l’Orchestre de l’Agora, a su démontrer le large éventail des possibles en ce qui a trait à la composition actuelle. En effet, les trois œuvres présentées, qui mettaient chacune de l’avant un soliste différent, utilisaient toutes un langage musical distinct. Une soirée très réussie, tout en nuances et en énergie!

La première partie mettait en vedette le percussionniste David Therrien Brongo, pour la création du concerto pour percussions Jeux de pouvoir, du compositeur Nicolas Gilbert. L’œuvre se présente comme plusieurs petits tableaux, où le percussionniste soliste circule à l’avant-plan de la salle. David Therrien Brongo démontre une grande virtuosité dans une partition complexe, et l’orchestre qui l’accompagne est précis, laissant beaucoup de place au soliste. Le concerto comporte beaucoup d’humour, ce que tous les interprètes transmettent avec brio : le chef Nicolas Ellis est appelé à quitter le podium pour quelques mesures pour jouer du triangle, puis quelques extraits célèbres d’œuvres orchestrales (dont le Boléro de Ravel) se succèdent rapidement vers la fin de l’œuvre. Avec l’interprétation de cette œuvre, l’Orchestre de l’Agora atteint l’équilibre parfait entre la virtuosité, l’humour et le plaisir de la musique.

La seconde œuvre change totalement de registre. Nous quittons l’énergie débordante pour entrer dans le monde sombre de la poésie d’Émile Nelligan. Ce qui demeure, cependant, est la virtuosité. Le récital des anges, cycle pour voix composé par Ian Cusson, est interprété par la soprano Elisabeth St-Gelais. Ce cycle, à l’origine pour piano et voix, mais orchestré par Cusson pour l’Orchestre de l’Agora, est composé de six poèmes sélectionnés par Cusson pour raconter une histoire sombre, dont le fil conducteur est le regret. Cette œuvre est troublante, et l’interprétation parfaite qu’en fait St-Gelais l’est tout autant. On sent que la salle retient son souffle. L’équilibre entre la soliste et l’orchestre est excellent, les instruments illustrant parfaitement le regret et les doutes tiraillant la protagoniste. La présence sur scène d’Elisabeth St-Gelais est convaincante et nous transporte tout à fait dans l’univers du poète québécois.

La dernière œuvre au programme, de nouveau, offre un contraste marquant avec la précédente. Le Concerto for klezmer clarinet de Wlat Marhulets offre tout ce dont on peut s’attendre d’une œuvre pour clarinette klezmer, et encore plus! Le soliste Victor Alibert démontre une maîtrise impeccable de son instrument. La partition demande de fréquenter le registre aigu la plupart du temps, ce qu’Alibert fait avec aisance et souplesse. La musique klezmer est connue pour être une musique rythmée et de célébration, et c’est tout à fait ce à quoi le public a eu droit pour cette dernière pièce. L’orchestre avait encore de l’énergie à revendre et a tout donné pour cette dernière œuvre. On reconnaît sans conteste la musique klezmer, mais ce concerto va également ailleurs, empruntant beaucoup à la musique de tradition purement orchestrale et fait parfois penser au langage musical des grands orchestres jazz, avec la grande utilisation de percussions (dont la batterie) et de lignes de basses électriques.

Ce concert aura su démontrer la grande variété qui existe dans le répertoire actuel. Bien que les œuvres présentées utilisent un langage musical somme toute assez conventionnel, il était incontestable qu’elles étaient ancrées dans le XXIe siècle. Cette célébration de la créativité a tout à fait atteint son but, grâce à la rigueur musicale de Nicolas Ellis et de l’Orchestre de l’Agora, ainsi que de solistes de haut niveau.

baroque

I Gemelli à Montréal : l’un des grands concerts de l’année!

par Frédéric Cardin

C’est l’une des plus belles soirées de musique que j’ai entendue cette année. Si un prix Opus pouvait être décerné au meilleur concert à Montréal par un organisme étranger, I Gemelli à la salle Bourgie mercredi soir dernier (le 22 novembre) serait dans les finalistes. I Gemelli est un ensemble porté par Emiliano Gonzalez Toro, ténor au registre large (un baryténor, en fait) et à la présence scénique aisée, dynamique et plus que sympathique. Sur scène, un autre ténor, Zachary Wilder, plus léger et lumineux, mais tout aussi techniquement et expressivement impressionnant. Pour ce concert d’airs baroques italiens (essentiellement, le programme de leur album A Room of Mirrors), ils étaient accompagnés avec un souffle vital enlevant par un violoncelle baroque, une viole de gambe, deux violons, un clavecin, une harpe, un théorbe ou une guitare baroque (le musicien changeait en fonction de la pièce) et un archiluth, soit l’ensemble I Gemelli.

Vous dire que c’était bon est par trop générique. Appelez ça comme vous voudrez, la mayo qui prend, le courant qui passe, un coup de circuit à chaque ‘’toune’’ ou presque, bref, ce fut mémorable. Premièrement parce que les musiciens et musiciennes sont tous bons, très bons. Les deux ténors se démarquent fortement, car souvent en vedette dans ce répertoire majoritairement vocal. Comme les miroirs du titre de l’album éponyme, tous deux sont capables des plus exquises subtilités en triple pianissimo (dans l’aigu svp (!), mais surprennent quand même dans leur complémentarité, évitant ainsi le double emploi. Les instrumentistes sont au sommet d’un art désormais bien maîtrisé, le baroque historique, mais ils semblent l’avoir élevé d’un nouveau cran en perfection technique et en affects authentiques. La sonorité d’ensemble de ces Gemelli est finement graduée et balancée, démontrant une écoute collective d’une remarquable cohérence.

Et puis le programme, parlons-en. J’en ai parlé un tout petit peu, mais il faut quand même souligner l’audace de se présenter pour la première fois dans une ville avec une affiche sans aucun véritable nom ‘’vendeur’’! Pas de Vivaldi, pas de Bach, même pas Corelli. Non, juste des Falconieri, d’India, Marini, Castelani, et autres grands de leur époque, mais reclus dans l’ombre désormais. Et pourtant, je pense que peu d’autres rendez-vous avec de plus éminents ‘’célèbres’’ auraient été plus satisfaisant. Ce que l’on a entendu était de l’ordre de la grande inspiration, avec des mélodies fortes et des compositions fines et tour à tour vivifiantes ou poignantes. Un festin du début à la fin.

Mais le véritable supplément d’âme de ce concert mémorable, c’est celui que les musiciens eux-mêmes ont apporté sur scène. Des artistes qui ont du plaisir à jouer ensemble et le montrent clairement, n’est-ce pas, en fin de compte, un excellent signe? Puis, Toro lui-même (secondé efficacement par Wilder) qui ose ce que peu d’Européens font encore, surtout ceux d’un très haut niveau comme ceux-ci : s’adresser directement au public, tout au long du concert. Une communication fluide, sympathique mais sans cabotinage, informative mais aucunement académique. On met dans l’ambiance, mais on ne fait pas du velouté racoleur, on s’amuse, mais avec un respect certain de l’intelligence des auditeurs. 

Et croyez-moi, le public a grandement apprécié. Après le concert, les musiciens se sont précipités dans le lobby de la salle pour parler au public et vendre quelques albums. Il y avait foule autour de la table et, si je ne m’abuse, la boîte bien remplie s’est vidée en un rien de temps. Même le très beau coffret d’Il ritorno d’Ulisse in patria de Monteverdi, récemment sorti, un objet de 60 $, s’est envolé. J’ai en ai eu un exemplaire, signé et aimablement octroyé par Toro lui-même. Le monsieur (c’est moi ça) est content.

Ces gens savent se faire des amis et ils nous ont donné de bien bonnes raisons de les réinviter. 

Le Vivier et Ensemble SuperMusique | Le talent incontestable et l’attention au détail de l’Ensemble SuperMusique

par Elena Mandolini

L’année 2023 marque le 25e anniversaire de l’Ensemble SuperMusique, dont la mission est de se dédier à l’interprétation de musique actuelle et de création, ainsi qu’à la musique écrite, improvisée et aux partitions graphiques. L’ensemble est bien connu sur la scène musicale montréalaise pour son grand talent, son dynamisme, et ses prestations d’une constante grande qualité. Le concert d’hier soir, en co-diffusion avec Le Vivier, a prouvé encore une fois que l’Ensemble SuperMusique se démarque toujours dans son domaine.

Les deux œuvres au programme de la soirée étaient des créations et étaient dirigées par les personnes compositrices elles-mêmes. La première pièce, Versa es in luctum cithara mea… de Vergil Sharkyaʹ rassemblait plusieurs éléments en une seule et même œuvre : instruments préparés et acoustiques, amplification et effets sonores. Comme prélude à la pièce, le compositeur fait rouler des boules de métal sur les cordes de guitare, frappe les cordes avec des brosses lumineuses ou un marteau de piano. Tant de méthodes de jeu inusitées créent un superbe effet sonore, un peu éthéré et presque d’un autre monde. Cette première section nous transporte dans un monde aux sonorités épurées, dans lequel on se concentre sur les différentes manières de produire le son.

La seconde section de l’œuvre mobilise l’ensemble SuperMusique en entier et fait place à de beaux moments d’improvisation collective, sur une base mélodique portée par les instruments graves et les percussions. L’on traverse à nouveau plusieurs tableaux qui dépeignent chacun des ambiances différentes : rythmes et basses, méditation (ou l’on voit trois flûtes traversières basses à l’œuvre!) et un registre que l’on pourrait presque qualifier de science-fiction.

La deuxième œuvre au programme, Monnomest (« mon nom est »), de Joane Hétu, est une longue œuvre en trois mouvements et plusieurs tableaux dédiée à Rémy Bélanger de Beauport, créateur et violoncelliste, qui a été agressé en octobre 2020 à Québec lors de ce que l’on appelle maintenant « l’attaque au sabre ». L’œuvre se construit autour d’un thème qui épelle musicalement le nom de Rémy Bélanger de Beauport, thème se métamorphosant au fil de l’œuvre, mais étant toujours reconnaissable, en filigrane.

En plus d’impliquer, bien sûr, une part d’improvisation instrumentale, 7 interprètes prêtent également leur voix à l’œuvre. Cet élément ajoute une texture supplémentaire à une pièce à la composition déjà très riche. Chaque instrument a l’occasion de prendre l’avant-scène et cela permet de mesurer tout le talent de l’ensemble. Monnomest est une œuvre guidée par de magnifiques moments mélodiques et des instants d’introspection.

Ce concert a été construit avec attention, avec une scénographie qui invitait à l’écoute totale et complète. Les deux pièces se mariaient parfaitement et s’inscrivaient dans une continuité l’une de l’autre. Les moments d’improvisation ont été à couper le souffle et l’on est admiratifs devant la cohésion de l’ensemble.  

Festival Bach | Au-delà de Bach, la signature de Signum

par Alexandre Villemaire

Le programme sur papier a de quoi étonner et surprendre au premier regard : un quatuor de saxophone – instrument qui est bien plus souvent associé au jazz  et à la musique contemporaine – interprétant des transcription d’œuvres de Johann Sebastian Bach autour desquelles s’intercalent des pièces composés entre les XXe et XXIe siècle pour finir par un « tube » rock emblématique d’AC/DC ! C’est cette audacieuse proposition artistique que les membres du quatuor de saxophone Signum, constitué des Slovènes Blaž Kemperle (saxophone soprano), Alan Lužar (saxophone ténor) et des Italiens Jacopo Taddei (saxophone alto) et Guerino Bellarosa (saxophone baryton) ont offert au public du Festival Bach qui s’était amassé en bon nombre à l’Église St.George pour une prestation pleine de contraste et de rebondissements

Plongeant dans le vif du matériel, le quatuor a ouvert le concert par la Suite pour orchestre  no 1 en do majeur de Bach de laquelle il a  interprété l’ouverture, le menuet et la bourrée dans un beau jeu de nuances et une agilité mettant en valeur à nos oreilles la sonorité boisé et velouté de l’instrument. Alors que le programme nous annonçait la pièce New York Counterpoint du compositeur minimaliste Steve Reich, il nous a été annoncé par Alan Lužar  qu’en raison de problème technique, vraisemblablement lié à la bande qui accompagne l’œuvre, celle-ci a dû être retirée du programme à la dernière minute. Ce désagrément a cependant donné lieu à une belle découverte en la pièce Prized Possessions du jeune compositeur viêtnamo-américain Viet Cuong, dont le quatuor a interprété le second mouvement « Beggar’s Lace » en remplacement. Après l’élégance de la suite orchestrale, la pièce de Cuong était une page véloce avec un jeu intense, plein de « dirty notes » soutenues par quelques passages mélodiques auxquels un échange percussif de « slaptongue » donnait un dynamisme mordant.

Autre œuvre de Bach au programme, le Concerto dans le goût italien sur une transcription de Katsuki Tochio a conquis le public. Les musiciens de Signum on fait montre ici de l’intelligence de leur jeu. Chacun des mouvements étaient cohérents et expressifs dans le style. Le premier mouvement était joyeux et pétillant avec des phrases mélodiques sans cesse renouvelées. Le deuxième à mis de l’avant le jeu de Blaž Kemperle et Alan Lužar dans un touchant lyrisme. Le troisième mouvement, expressif revêtait un caractère particulièrement claironnant rendu par les sonorités des saxophones.

Au retour de l’entracte, le quatuor a entonné le fameux Adagio en sol mineur dit d’Albinoni. Le caractère du saxophone confère aux lignes pour cordes un effet langoureux, plaintif et intense plein de mélancolie qui par moment nous évoque la musique d’Ennio Morricone. Fidèle à son esprit de vouloir provoquer des rencontres stylistiques où la présence de Bach se reflète en filigrane dans les effets et les affects de leur œuvres, la dernière partie du concert a été consacrée à deux extraits du cycle Recitation Book de David Maslanka dans lequel le compositeur cite et utilise des chorals de Bach comme matériel musical qu’il déconstruit et reconstruit. La médiation sur le choral « Der du bist drei Eingigkeit » qui s’ouvre par un solo de saxophone soprano a été d’une béatitude profonde alors que la Fanfare/Variation sur « Durch Adams Fall » plus énergique, laissait poindre, au travers du matériel original, des sonorités rappelant James Horner. Parachèvant leur performance, les quatre comparses se sont laissés aller après un peu plus d’une heure de musique dans les univers très normés de la musique du XVIIe siècle, à une interprétation endiablée de Thunderstruck du groupe AC/DC; une conclusion forte et solide qui rappel qu’il s’agit du même langage musicale employé par le Kantor de Leipzig, exprimé différemment.

N’eut été de l’intelligence de la programmation, mêlant habilement (ré)interprétation de la musique de Bach avec œuvres contemporaines et de la personnalité musicale des membres de Signum, finir un concert par un tel écart stylistique serait tombé à plat et aurait à juste titre été décrié comme gauche. Mais, la proposition artistique claire, l’interprétation engageante des musiciens a séduit le public qui les a remercié par des applaudissements nourris digne de rockstar! Pour leur premier passage à Montréal et au Canada, le quatuor de saxophone Signum a certainement laissé une grande impression par leur musicalité, leur profonde maîtrise technique, leur aisance tant sur la scène que dans les formes et les différents style et leur habileté à communiquer un répertoire qui nous est familier sous un autre jour tout en nous accompagnant à la découverte de nouveaux horizons musicaux.

Le Festival Bach se poursuit jusqu’au samedi 2 décembre. Pour voir la programmation détaillée, rendez-vous sur le site officiel du festival ICI.

Consultez également la programmation de l’Off-Festival Bach, qui propose tous les jours du 22 au 29 novembre à partir de 12h une série de concerts et des activités gratuites.

Crédit photo : Antoine Saito

Voyage Sud-Américain de l’OSM | Décloisonner avec fracas

par Rédaction PAN M 360

La dénomination de la « musique classique » est fascinante. Pour plusieurs, la musique classique est celle de Beethoven, de Mozart ou encore des compositeurs européens ayant vécu à des époques aujourd’hui éloignées. Rafael Payare et l’OSM éprouvent assurément un plaisir à démontrer qu’il existe d’autres compositeurs de musique savante venus de différentes contrées qui méritent amplement leur place dans une programmation symphonique.

Le concert de mercredi soir était un concert signature pour Payare. En exposant différents compositeurs sud-américains, on est sorti des habitudes du concert symphonique. Les surprises et les éclats ont été nombreux et peu dans le public sont restés indifférents. C’est un chef énergique, charismatique, presque dansant, et un orchestre tout aussi fougueux et en contrôle qui ont offert un spectacle mémorable.

Les joyaux du programme sont les éclatantes Variaciones concertantes de Alberto Ginastera. Construites avec un thème en quartes, on se sent immédiatement touché par la sensibilité de l’écriture et par l’énergie des phrases musicales. Un sentiment d’équilibre rempli l’œuvre. Presque toutes les sections ont droit à leur solo et on ne sent pas réellement de favoritisme, autre peut-être pour la harpe qui évoque la guitare. Une œuvre excellente, fraîche et enlevante.

Le pianiste espagnol Javier Perianes prête son jeu au très évocateur Concerto pour piano Ephemerae de Jimmy López Bellido. Dédiée spécifiquement au soliste, on a la chance de voir toute l’élégance et la sensibilité de son jeu à travers les différentes images et odeurs évoquées par la partition. On reconnait plusieurs styles et presque emprunts faits ici et là aux compositeurs antérieurs, mais toujours avec une touche personnelle. L’objectif synesthésique de la partition a un succès fondamentalement mitigé, étant donné la subjectivité intrinsèque du phénomène. Perianes a séduit la salle et a offert en rappel le Notturo, op. 54 no. 4 de Grieg. Il a su démontrer une grande présence sur scène, combinée à un grand talent et une grande sensibilité.

Les Bachianas brasileras no. 8 de Heitor Villa-Lobos semblaient rendre hommage aux formes courantes de l’époque baroque et à Bach en particulier. On retrouve une Toccata qui ne semble par réellement évoquer celle de Bach, mais qui reproduit sa vitesse et son énergie. Elle extirpe des applaudissements sincères de la part du public. La Fugue en finale est réalisée en main de maître et on admire la clarté de l’écriture et de l’interprétation. La montée rapide et soudaine vers la conclusion est intéressante, débutant par un grondement et terminant avec un éclat saisissant, et on applaudit chaleureusement. La partition reste moins remarquable que les œuvres précédentes, mais l’intensité enivrante plait clairement au public.

Le carrousel des influences latines et hispanophones se termine par le célébrissime Bolero de Ravel, qui est exécuté avec brio. Élaborer sur cette œuvre serait ultimement redondante, on ne la présente plus, mais on peut toujours s’amuser du fait qu’il ne s’agit, dans l’absolu, que d’un exercice de composition de la part d’un compositeur qui s’est longtemps battu pour la musique libre et sans carcan de la forme, quelque peu à l’opposé de ce qu’est le Boléro. Un classique parmi les classiques, la pièce est exécutée avec une sensibilité qui se morphe petit à petit en une intensité mémorable, à l’image de l’orchestre.

Pour en apprendre plus sur la programmation de l’OSM, visitez la page des concerts ICI.

Crédit photo : Gabriel Fournier

Le Vivier et Quasar | Fluidité sélective

par Rédaction PAN M 360

Le Quatuor Quasar offrait mardi soir un hommage à Claude Vivier. Présenté en octobre à Paris, les Montréalais ont eu la chance de voir ce spectacle fort intéressant et surtout très créatif. Il est certain que le Vivier est fier d’avoir organisé cet hommage à un compositeur qui a inspiré plusieurs, et pas seulement le nom de l’organisme.

Quasar rassemble des virtuoses du saxophone en un noyau serré et impressionnant, tant sur le plan technique qu’expressif. Les explorations de leurs instruments sont fascinantes et l’aisance avec laquelle ils font claquer, vibrer, sauter et crier leurs instruments est un art en soi. Parmi toutes les sonorités atypiques et souvent incongrues qui ont été entendues hier soir, peu semblent avoir réellement donné du fil à retorde aux musiciens.

La mise en scène était particulièrement soignée. Une scène centrale, entourée d’un rideau transparent, occupait l’Espace Orange. Tantôt à l’avant de cette scène, tantôt sur celle-ci, l’éclairage et l’aspect flottant de la disposition contribuaient à créer une atmosphère intime. On regrette un peu que l’éclairage pendant une grande partie du concert ait été si bas, rendant impossible de suivre le programme (très beau) qui aurait été bien de consulter pour situer les œuvres jouées en succession. Heureusement, plusieurs des compositeurs ont pris le temps de présenter les œuvres jouées et on s’est immédiatement senti plus engagé.

Les œuvres au programme étaient quant à elle intéressantes, mais parfois inégales. La pièce de Claude Vivier qui ouvrait le concert, Pulau Dewata, offrait une perspective différente de la musique de Vivier, avec une esthétique presque minimaliste avec les motifs répétés et en évolution. C’est un des seuls points communs avec les autres œuvres présentées au programme. La deuxième pièce, L’instant liquide par Florence M. Tremblay, était fluide et fort agréable. Elle explorait de façon excellente les registres atypiques des instruments et on se sentait emportés par les vagues de la partition. Les autres œuvres de Gilles Tremblay, Paul Méfano et Émilie Girard-Charest semblent tous avoir adopté cette perspective, ce qui eut l’effet d’exacerber l’agressivité de certaines sonorités. Certaines utilisations des techniques se mariaient bien à l’ambiance et à la trame narrative des œuvres, alors qu’à la fin, pour la plupart d’entre-elles, l’effet de nouveauté s’estompait. On avait l’impression de voir un atelier sur les différentes possibilités plutôt qu’une œuvre uniforme.

La dernière pièce, Cinq pièces liquides de Yassen Vodenitcharov, sort de ce moule et l’effet est agréable. À la fois une évocation de la peinture et un hommage à différents artistes disparus, on est surpris par les bruitages ajoutés et une fluidité plaisante qu’on avait perdu depuis la pièce de Florence M. Tremblay. 

Les œuvres jouissaient, chacune d’entre-elles, d’une créativité débordante. Les compositeurs ont osé, et on apprécie grandement. On voudrait en avoir plus, mais probablement dans une disposition différente. Dans tous les cas, l’exécution virtuose du Quatuor Quasar a rendu non seulement hommage à Claude Vivier, mais aux compositeurs présents également.

Pour plus de détails sur la saison du Vivier et pour les concerts à venir, c’est ICI.

Slow Pulp Live is Sad Music for Happy People, or vice versa

par Stephan Boissonneault

I’m not ashamed to say that I didn’t really know Slow Pulp, an indie/ heavy bedroom pop four-piece from Wisconsin, until a few weeks before their sold-out show at Bar Le Ritz. But boy damn, was I given the opportunity whenever I flipped through my Instagram or any music site. Their new album Yard, was dominating my social feeds with advertising months before it was out, so I definitely knew the name. Maybe that’s because of their signing on ANTI-, or Slow Pulp blowing up over Tik Tok, but either way, the name Slow Pulp was always in the back of my mind for the few months leading up to their Bar Le Ritz show.

But on one fateful October night, a friend played me their song « Slugs, » and I immediately felt the appeal. The 90s alt-rock and shoegazey edge, ala Mazzy Star, mixed with crushing emo-esque lyrics and lead singer Emily Massey’s hazy and gargantuan-sounding vocals. But nothing could really prepare me for their live performance at Bar Le Ritz, which I’d say was one of my top surprises of the year—and I see a lot of shows.

As we (the same friend who showed me Slow Pulp) entered the room, I realized I had never seen the room this packed before. It felt like waves of people smashed together like bugs under a microscopic glass. We grabbed a spot and checked out the last song of opener Babehoven, and man, do I wish we had seen more of them. It was a bit Alvvays meets Big Thief and their album, Light Moving Time, is gold. A perfect opener, whom I imagine will be back with their own headlining show soon.

Then out came Slow Pulp, and for some reason, I had pictured Emily looking more rough and punk rock, but she seemed so innocent standing there in a purple sweater with her cherry red SG. Yet, the moment she sang a song like « Cramps, » or « MUD, » her voice filled the room and conveyed her vocal prowess. Her ability to sing an almost whisper and then belt out a powerful sustained note is nothing short of extraordinary. And the band, so unbelievably tight, with a highlight having to be their ‘guitarmonies’ for a few short lead lines. This band knows exactly when to lay it on thick and when to hang back and let Emily do her thing.

« It’s crazy to me that you’re all singing the lyrics to these new songs and that really makes us feel good, » Emily said to the crowd. Musically, there have been many bands like Slow Pulp throughout the ages—the female-fronted alt-indie bands like Alvvays—but their simplicity and overall refined sound feels like a warm collective hug to get sucked into. The songs are related and find that perfect equilibrium of being catchy and heavy at the same time. The band of course ended with their most popular song, « High, » about, well, being too high, almost to the point of greenout—a situation much of the crowd could relate to.

photos by Stephan Boissonneault

M For Montreal Day 4 | Alix Fernz, and Pelada

par Lyle Hendriks

The last night of the M for Montreal festival was studded with incredible acts, providing the perfect conclusion to a few unforgettable days of acts across Mile End, Plateau, and beyond. Here are two of my favourite shows from the final evening of 2023’s M for Montreal festival.

Alix Fernz Brazen Bravado


Oozing sex and a distinctly devil-may-care, diva persona, Alix Fernz was a pleasure to watch Saturday night at Ausgang Plaza. Gritty, angular punk rock married beautifully with Fernz’s irreverent, borderline bratty vocals, which feel almost otherworldly once they’ve been filtered through his eclectic circuit board of synths and effects laid out on the table in front of them. Despite Fernz’s intense, post-punk-driven direction, there was a groove and even a sweetness that was so apparent from the outset. He obviously doesn’t take himself too seriously, which is a good thing when it comes to his atypical brand of brazen bravado. Fernz’s band was also excellent, featuring powerful, driving drums, rock-steady bass, and a fantastic blend of synth and guitar to keep us guessing. Fernz’s set was all meat, no filler, and an absolute blast to watch.

Pelada – D&B From the Future

Montreal duo Pelada has become known for a number of things over the years, including their live performances. While I was initially disappointed to hear that the pair wouldn’t be busting out any live vocals for their Saturday night set at Fairmount Theatre, this feeling didn’t last long. Delivering a crunchy, gravelly, futuristic set of D&B, house, and strange, post-techno, Pelada invigorated. Thumping bass. Screeching synths. Dirty vocal samples. It’s the kind of music that makes you want to do something mildly illegal in a dirty club bathroom, or perhaps do triple the limit on a nighttime city street. It was a pleasure to see this side of Pelada’s sonic sensibilities, and only makes me more intrigued to see what the duo might do next.

classique / classique moderne

OM | Concerto norvégien pour violon et la symphonie « Leningrad » de Chostakovitch

par Alexis Desrosiers-Michaud

C’est une salle comble qui, samedi soir, a accueilli la recréation du Concerto pour violon du norvégien Johan Halvorsen avec la jeune violoniste de 20 ans María Dueñas, et à la 7e symphonie de Dmitri Chostakovitch, dite Leningrad, le tout dirigé par Yannick Nézet-Séguin. 

Dans le cas qui nous occupe, le terme recréation est à prendre avec des pincettes. Disons simplement que personne ici n’avait encore entendu de son vivant une exécution de l’œuvre. En effet, on a longtemps cru que la partition avait été détruite il y a plus de 100 ans. Cependant, la dédicataire du concerto, la violoniste canadienne Kathleen Parlow, a ramené au pays une copie de la partition et c’est en 2016 que l’œuvre a été retrouvée dans les archives de l’Université de Toronto. Selon les notes de programme, il n’y aurait eu que quatre exécutions du concerto depuis sa conception.

Nous assistions donc à la première nord-américaine. 

Comparé au concerto de Bruch et à la musique de Grieg par Yannick Nézet-Séguin en allocution d’avant-concert, ce concerto a la forme inhabituelle d’une durée approximative de 26 minutes ne laisse aucun répit à la soliste. Et pour cause, ce sont deux cadences exigeantes qui ouvrent le premier mouvement avant que l’orchestre ne prenne la relève. Les deux premiers mouvements s’enchaînent sans interruption presque sans que l’on ne s’en rende compte. Le troisième mouvement est empreint de folklore avec ses rythmes fougueux. Il y a dans ce mouvement deux beaux passages dialogués entre soliste et orchestre, et même des récitatifs. Ce n’est pas un concerto qui est difficile à accompagner, mais on note une orchestration colorée et fine. 

Dueñas traversera l’œuvre en multipliant les prouesses techniques tout en gardant un sens du lyrisme digne d’une maturité déjà acquise. Elle évite de tomber dans le piège du sensationnalisme et en donne juste assez pour que l’on ne décroche pas. En guise de rappel, l’orchestre et la violoniste ont joué une œuvre intitulée « La fille qui chante », probablement du même compositeur, qui nous a permis d’entendre une sensibilité touchante qui n’aurait pas eu sa place dans le concerto. 

Mais quand est-ce que tout ça va s’arrêter ?

L’auteur de ses lignes était dans la salle en 2016 quand l’Orchestre symphonique de la Radio-Bavaroise et le regretté Mariss Jansons avait posé ses valises à la Maison Symphonique pour donner une véritable leçon de musique au public montréalais dans la 7e symphonie de Dmitri Chostakovitch. La performance avait été magistrale et plaçait la barre très haut pour le Métropolitain. 

Composé en 1941 pendant le siège de plus de 900 jours de la ville de Leningrad, aujourd’hui Saint-Pétersbourg par les nazis, Chostakovitch, lui-même enrôlé comme pompier volontaire dans l’armée russe, écrit cette symphonie, sa plus longue, de prime abord pour motiver les troupes face à l’ennemi. Mais on comprend vite le double sens caché antitotalitaire de son auteur. 

Après une introduction majestueuse, le point de bascule de cette symphonie commence dès la cinquième minute. Sur un ostinato de caisse claire rappelant le Boléro, les cordes font entendre un thème archi-simple, qualifié même de « niaiseux » et « bébé » par le chef. Pendant plus de dix minutes, ce thème sera transformé tranquillement, insidieusement en une immense « machine de guerre », caractérisée par d’abondantes percussions et par une seconde section de cuivres complète ajoutée de l’autre côté de la pièce. Dès lors, on comprend vite à quoi on aura affaire pour les 60 minutes qui suivront. 

Si l’orchestre a dépensé peu d’énergie avant l’entracte, c’est tout le contraire pour la suite. Jamais les musiciens et le chef ne relâcheront l’intensité requise pour rendre cette partition exigeante. Même dans les moments plus calmes, on sent toujours que le danger guette, qu’il faut rester sur ses gardes. À juste titre, le second mouvement est sombre malgré le rythme de danse qui le caractérise. Le thème principal du troisième mouvement est joué avec beaucoup de poids en plein archet par les cordes, ce qui empêche de tomber dans les pleurs et la désolation. 

On se souvient de Jansons-BRF de 2016 et on se souviendra longtemps de Nézet-Séguin-OM de 2023. C’est une musique qui provient des tripes et qui nous pénètre jusqu’au plus profond de soi. Dieu seul sait d’où Yannick est allé puiser l’intensité donnée au dernier accord d’une finale qui ne veut pas finir, pour tout relâcher, comme une libération. C’est d’ailleurs ce qui a donné le sous-titre de cette section; pas parce que c’était mauvais, bien au contraire, mais parce que c’est ce que cette exécution représente : l’angoisse constante et la peur face à la barbarie.

crédit photo: Denis Germain

scandinave / trad québécois

Mundial Montréal au Centre des musiciens du monde : Tous au Nord, à l’Est et à l’Ouest!

par Frédéric Cardin

Vendredi 17 novembre dernier avait lieu au Centre des musiciens du monde à Montréal (CMM) un concert en partenariat avec le festival Mundial Montréal. C’est la deuxième année que cette relation se manifeste entre le CMM et l’événement showcase, et elle a déjà démontré toute sa pertinence. D’abord par la qualité exceptionnelle des artistes qui sont invités à s’exprimer à l’église Saint-Enfant Jésus du Mile-End (la salle attitrée à la plupart des concerts du CMM), puis la réjouissante différence du type de musique offert lors de ces concerts en comparaison de ceux du Mundial.

Au CMM, les artistes nous ont offert des rencontres interculturelles (c’est le principe de base du Centre) dont le résultat est souvent d’un nouveau intellectuel et musical plus savant et raffiné que pour Mundial. Alors que ce dernier favorise les groupes qui ont une énergie et une portée plus près de la pop (sans se conformer à ce style précisément), le CMM cherche à transcender les différences avec des propositions musicales qui s’appuient souvent sur des recherches poussées. 

Par exemple, en première partie du concert de vendredi, le duo composé des chanteuses traditionnelles Maling Thunell (de Suède) et Jessica Paradis (du Québec) a présenté le résultat d’une résidence de création lors de laquelle les deux artistes ont comparé puis réuni des chants aux résonances similaires issus des deux terroirs folkloriques. Sur scène, les deux jeunes dames s’accompagnent soit d’une harpe, d’un harmonium, d’un accordéon tout en chantant et s’échangeant des parties de mélodies et de textes qui ont des racines similaires. De la Suède au Québec, le public très attentif a reçu de façon très agréable une sorte de cours d’ethnologie du folklore 101. Les voix des deux artistes sont superbes, de l’ordre du chant étudié de musique ancienne. Surtout, elles se superposent de façon complémentaire, celle de Thunell un beau soprano lumineux et celle de Paradis plus près d’un mezzo. Souvent, les versions des chansons (la suédoise et la québécoise) s’embrassaient dans un riche contrepoint parfaitement bien équilibré. La rencontre intitulée Paysages nordiques mérite entièrement d’être présentée partout au Québec, mais aussi en Suède bien entendu. Beau, touchant et enrichissant. On s’en souviendra.

Maling Thunell solo : 

Jessica Paradis : 

La deuxième partie du concert présentait le duo CelloGayageum. Cello pour violoncelle bien entendu (joué par un Autrichien d’origine coréenne Sol Daniel Kim) et gayageum pour l’instrument coréen du même nom, un cousin du koto japonais (joué par la Coréenne Dayoung Yoon). La rencontre ici proposée se fait entre l’art musical traditionnel coréen et l’art classique occidental, dans un ensemble de pièces originales (le répertoire existant pour ce genre d’instruments étant inexistant) qui offre des aventures sonores assez accessibles, et surtout ludiques. Le caractère ici exprimé est résolument moins savant et sophistiqué que celui de Paysages nordiques, mais la rencontre réussit néanmoins à créer de belles étincelles et à plaire abondamment au public présent. 

Cellogayageum :

 

Mundial Montréal nous offre constamment de belles découvertes en musique world globalisée, dans une optique orientée vers le marché des festivals a rassemblements grands publics. Ce qu’apporte le Centre des musiciens du monde à cette dynamique, c’est une orientation de marché plus niché, mais ô combien important et essentiel dans notre enrichissement interculturel collectif. 

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