classique occidental

Schulich | Horatio Quartet remporte le Concours de musique de chambre 2024-2025

par Judith Hamel

Après quatre vibrantes performances des ensembles finalistes, le Horatio Quartet a remporté le grand prix du concours annuel de musique de chambre d’École de musique Schulich. Les musiciens remportent donc une résidence à l’Université Mozarteum à Salzbourg ainsi qu’une performance au Centre canadien d’architecture dans le cadre de la série Bon-Pasteur de Schulich. 

La finale a eu lieu au Tanna Schulich Hall ainsi qu’en diffusion en direct. Le jury de cette étape était constitué de Catherine Cosbey, Sara Laimon, Jacqueline Leclair et David Stewart. 

C’est l’ensemble Trio At Work, composé d’Abigail Sunde au violon, Conrad Sobieraj au violoncelle et Jisu Yeum au piano, qui a ouvert la soirée avec l’Allegro du Trio pour violon, violoncelle et piano no 3 de Mozart. Leur interprétation, d’une belle légèreté, nous a plongée dans l’élégance et la clarté de Mozart. Dans le Trio pour violon, violoncelle et piano no 1 de Mendelssohn qui a suivi, une certaine rigidité se faisait sentir par moments, privant parfois l’interprétation d’une vulnérabilité, mais les points culminants étaient bien maîtrisés musicalement. Les articulations nettes et les nuances justes ont démontré leur grande maîtrise technique. 

Le deuxième ensemble à se produire, le Lyra Quartet, regroupait Lucy Nemeth et Jessica Tovey aux violons, Hudson Maness à l’alto, et Ellamay Mantie au violoncelle. Dès les premières mesures de l’Allegro du Quatuor à cordes n2 en fa majeur, op. 77 de Haydn, leur cohésion s’est présentée avec évidence. Le placement en demi-cercle propre aux quatuors à cordes certes, favorise une communication visuelle et gestuelle fluide. Tout de même, malgré ce certain avantage, chaque mouvement semblait naturellement amplifié par l’autre, nous donnant l’impression qu’iels respiraient d’un même souffle. Puis, leur performance a culminé avec le Quatuor à cordes no 3 en fa majeur, op. 73 de Chostakovitch. Tour à tour porteurs d’innocence et de gravité, iels ont su exploiter tout le potentiel dynamique de cette œuvre. Leurs phrasés impeccables et leur justesse, tant sur le plan de l’intonation que de l’émotion, ont offert un moment d’une intensité rare, à la fois rigoureux et profondément humain.

Après l’entracte, le Horatio Quartet, composé de Justin Saulnier et Joey Machin aux violons, Alex Beggs à l’alto et Gabriel Vincent au violoncelle, a choisi d’interpréter le Quatuor à cordes en ré majeur no 4, op. 20 de Haydn. Dès les premiers traits, leur précision exemplaire et leur solidité se sont imposées. Le premier violon, porté par Justin Saulnier, a brillamment soutenu son rôle prédominant tout au long de l’œuvre, insufflant un dynamisme constant à l’ensemble. Leur interprétation s’est poursuivie avec le premier mouvement du Quatuor à cordes en sol mineur, op. 10 de Debussy où ils ont fait preuve de sensibilité et de contrastes expressifs. 

La soirée s’est conclue avec le Trio Alexa, composé de Joseph Tsao au violon, Alexander Lewis au violoncelle et Chris Peng au piano. Leur prestation a débuté avec le premier mouvement du Trio pour violon, violoncelle et piano no 1 en ré majeur, op. 70 de Beethoven où le piano a su suggérer une douceur à l’ensemble. Ils ont ensuite interprété le Trio pour violon, violoncelle et piano en sol mineur, op.15 de Smetana, qui s’ouvre avec un solo de violon poignant suivi de l’entrée du piano qui apporte profondeur et nuances. Cette œuvre est remarquablement équilibrée : elle offre à chacun·e une voix individuelle permettant de faire briller son instrument et sa musicalité propre. Leur interprétation respirait, exaltant les émotions intenses et vibrantes de cette œuvre.

classique / jazz / jazz vocal

Schulich | Classiques de Noël avec l’Orchestre jazz de McGill

par Vitta Morales

Le fait que l’interprétation de la Nutcracker Suite de Duke Ellington par l’Orchestre de jazz de McGill ait été donnée en même temps que la première véritable soirée enneigée de l’année a été une agréable coïncidence. Ce fait n’a pas échappé à la cheffe d’orchestre Marianne Trudel, qui n’a pas manqué de le souligner à la blague avant que l’orchestre n’entame ses morceaux festifs. « Douillet » n’est pas le premier superlatif que j’emploierais pour qualifier la salle Tanna Schulich , mais dans ces circonstances, on avait l’impression que le public s’était rassemblé dans le but de se réchauffer et de se perdre dans les airs d’un big band classique des années 60. En vérité, il ne nous manquait que des mugs de chocolat chaud.

Le ballet Casse-Noisette de Tchaïkovski est, bien sûr, l’un des favoris du domaine public et a été (ré)interprété d’innombrables façons par un nombre incalculable de musiciens. Ellington et Strayhorn, cependant, ont réussi à créer quelque chose de vraiment spécial en 1960 avec leur arrangement de ce prolifique ballet russe ; et l’exécution de l’Orchestre de jazz de McGill a été plus que solide. Il était impressionnant, comme toujours, de voir de si jeunes musiciens atteindre un tel niveau de jeu. Certains d’entre eux, je dirais, ont déjà le cran d’abandonner leurs études et de jouer professionnellement (je ne dirai pas qui afin d’éviter la colère potentielle des parents). Cela dit, les concerts d’étudiants comportent presque toujours quelques éléments qui ne sont pas parfaits. Ces éléments sont autant de petits rappels que ces jeunes musiciens sont en fait encore en train d’apprendre.

Ce n’est qu’au troisième mouvement, par exemple, que la basse et la batterie ont finalement imposé un rythme plus assuré et ont cessé d’acquiescer à ceux qui les entouraient. Jouer timidement ne sert en rien le groove, et c’est donc avec soulagement qu’ils ont enfin commencé à se faire confiance. En outre, certains solos des cuivres ont semblé s’égarer par moments. Il convient de mentionner les solistes qui, à l’inverse, ont joué de manière très intentionnelle, notamment Rafael Salazar, Shai Geballe, Maude Fortier et Jeremy Sandfelder (bien que Sandelfer soit un jazzman plus établi à Montréal qui s’est retrouvé remplaçant ce soir-là, ce qui est peut-être un peu injuste pour les étudiants).

Dans la seconde partie du concert, Élizabeth Cormier a interprété une sélection de chansons d’Irving Berlin telles qu’elles ont été arrangées pour Ella Fitzgerald. Ayant récemment assisté à un concert de Caity Gyorgy portant sur un répertoire identique, il était difficile de ne pas avoir une impression de déjà-vu. Je dois dire que Cormier, pour sa part, est une belle chanteuse avec un beau timbre et une excellente présence sur scène ; le seul élément que je qualifierais de perfectible est sa diction en anglais. Un mot gênant ici et là trahit son accent québécois, ce qui n’est peut-être pas idéal pour interpréter le répertoire d’Ella, mais c’est une caractéristique assez inoffensive dans son interprétation.

Dans l’ensemble, je suis d’avis que les membres de l’orchestre peuvent, et doivent, être fiers d’un travail bien fait alors que leur semestre s’achève. Je ne doute pas que, tant que l’envie est là, ces jeunes interprètes continueront à faire des progrès dans leur musicalité. Pour l’instant, ils devraient probablement rattraper un peu de sommeil avant leur session d’hiver. Et peut-être prendre un chocolat chaud…

crédit photo: Tam Lan Truong

classique occidental / musique contemporaine

Schulich | Jouez dans la neige avec l’Ensemble de musique contemporaine

par Judith Hamel

Nous sommes le 4 décembre, et la première neige de l’année tombe sur la ville. Ce soir, on se retrouve au centre-ville, dans la Salle Multimédia du pavillon Elizabeth Wirth. Pendant que l’Orchestre Jazz de McGill se délie les doigts dans le Tanna Schulich Hall, l’Ensemble de musique contemporaine de McGill, sous la direction de Mélanie Léonard, nous offre un concert de circonstance, placé sous le thème de la neige. 

En guise d’entrée, nous avons assisté à la création de l’œuvre Distant Paths du compositeur Kalen Smith. Composée dans le cadre de sa thèse, cette pièce d’une quinzaine de minutes mobilise une quinzaine de musiciens comprenant bois, cuivres, cordes, harpe, piano, batterie et autres percussions. L’œuvre explore les contrastes : linéarité et non-linéarité, tonalité et atonalité, mouvement et stoïcité, fondus enchaînés et ruptures abruptes. Aux cordes, souvent porteuses de lignes mouvantes, s’ajoutait une batterie résolument carrée insufflant une mouvance stable ou… une stabilité mouvante. 

Tout au long de la pièce, l’opposition entre tonalité et atonalité s’impose comme axe central. Les lignes atonales se multiplient et culminent en climax tonaux, notamment portés par des cuivres aux couleurs de fanfare. Lorsque la batterie se mêle aux clés du saxophone et aux frappés d’archet, se dévoile à nous le riche travail des textures fait par le compositeur. L’œuvre s’achève sur un long coup de tam-tam et de cymbale qui est laissé en résonance jusqu’à la dernière parcelle de son.

La deuxième œuvre de la soirée nous transporte dans l’univers glacé et poétique de Schnee (Neige), du danois Hans Abrahamsen. Cette œuvre d’une heure plonge l’auditoire dans un état méditatif pour nous présenter la neige sous de multiples facettes : de l’air glacial à la glace mordante, de la délicatesse des flocons à la féérie mystérieuse d’un paysage hivernal.

Deux sources d’inspiration ont guidé Abrahamsen dans la création de cette œuvre : la neige, bien sûr, mais aussi les canons de Bach, qu’il avait orchestrés plusieurs années auparavant. Si l’influence bachienne se dissipe dans les sonorités contemporaines de Schnee, l’œuvre reste marquée par la rigueur des structures et par le pouvoir hypnotique qui rappelle le génie de Bach. 

Le compositeur nous entraîne dans un voyage qui transcende notre perception du temps. Les premiers canons, d’une dizaine de minutes chacun, semblent étirer le temps, tandis que le déroulement des canons s’accélère progressivement, culminant avec un dixième d’à peine une minute. Cette progression temporelle reflète la nature changeante de la neige : tantôt apaisante, tantôt tourbillonnante et imprévisible. Au fil de l’œuvre, on ressent, à travers la musique, le froid mordant, l’étouffement sonore propre aux paysages enneigés et la danse des flocons, des plus délicats aux plus déchaînés. 

Les musicien·nes ont brillamment su donner vie à ce concert. Leur jeu technique était plus qu’à point et leur interprétation a rendu justice à la complexité de la partition. Le placement des musicien·nes dans Schnee était aussi très intéressant. En effet, les pianos placés face à face, de chaque côté de la scène, créaient un dialogue stéréophonique, offrant à l’auditoire une largeur de son remarquable. 

Les jazzeux et les fans de musique contemporaine se sont finalement retrouvé·es dehors sous une légère tempête de neige. Peut-être que celle à l’intérieur était plus agréable après tout… 

crédit photo : Tam Lan Truong

Brésil / jazz brésilien / soul/R&B

Festival de Jazz – La Brésilienne Luedji Luna attire la neige à Montréal

par Sandra Gasana

Malgré la première neige de la saison, cela n’a pas empêché les mélomanes à venir passer un agréable moment au Studio TD pour venir voir la Bahianaise Luedji Luna. Ce n’est pas sa première fois dans la métropole, mais une première dans cette salle. « Je me souviens de mon premier séjour à Montréal, c’était pour le Festival de Jazz, en extérieur. », se remémore-t-elle. La plupart des morceaux étaient tirés de son troisième album Bom Mesmo é Estar Debaixo d’Àgua Deluxe, avec un morceau qui porte le même nom. Accompagnée de ses musiciens, batterie, basse, claviers et percussions, elle a débarquée sur scène vêtue d’une robe grise électrique. Avec son mélange unique de jazz, de rythmes afro-brésiliens, de soul et de RnB, elle nous offre une version brésilienne de certains classiques qui ont bercé notre jeunesse. Elle débute d’ailleurs avec Metàfora, qui semble tout droit sorti des années 90, ou encore Pele sur lequel elle a collaboré avec Mereba, une artiste éthiopienne, qui n’était pas là mais dont on a entendu la voix.

Elle reprend deux classiques durant son spectacle, No Ordinary Love, de Sade ainsi qu’un morceau de l’artiste brésilien Djavan, mais en y rajoutant sa propre touche. D’ailleurs, elle a lancé le concept « Luedji Sings Sade » au Brésil. Bien entendu, elle ne pouvait pas partir sans nous interpréter le morceau qui a marqué un tournant dans sa carrière, Banho de Folhas, sur lequel elle invite la foule à danser, à son grand plaisir.

La première partie était assurée par Glowzi, une DJ / chanteuse accompagnée d’une trompettiste et ensemble, elles nous ont mis dans l’ambiance parfaite pour accueillir Luedji, mêlant soul, électro et RnB et jazz. Elles en ont profité pour lancer un message de solidarité envers la Palestine, le Darfour et la région du Tigray.

chanson keb franco / indie rock / pop-rock

Émile Bourgault à la Sala Rossa | Le fêté fait les choses en grand

par Sami Rixhon

Émile Bourgault a eu 21 ans! Ce soir même, le 27 novembre. À la place de se payer une simple sortie au bar entre amis, le jeune musicien, originaire de la Rive-Sud de Montréal, s’est offert pour l’occasion un spectacle à la Sala Rossa. La bande est probablement allée célébrer Bourgault avec quelques coups arrosés par la suite, en fait, mais commençons par l’essentiel, la musique…

Ça fait longtemps que je suis Émile Bourgault. Je l’ai connu il y a plus de trois ans comme cet étudiant indécis du cégep du Vieux Montréal. Puis, j’ai apprécié son parcours aux Francouvertes 2022, et je l’ai vu jouer quelques mois plus tard à Osheaga, sur la scène des Arbres, devant une petite centaine de personnes. Il a même donné une performance dans le jardin de mon père, c’est dire!

Et à chaque fois, c’est de mieux en mieux. On voit qu’il prend de l’expérience et de l’assurance. Ce n’est pas la première fois que je l’écris, mais je suis presque certain qu’il foulera les planches du Club Soda pour son projet solo très bientôt.

Dans deux ans, gros max.

Bourgault ouvre son spectacle avec la pièce-titre de son, pour l’instant, unique album, Tant mieux, puis poursuit sur Nœud coulant. Il a un petit côté Pierre Lapointe sur ce genre de chansons tristes, côté magnifié par la précieuse aide du mélancolique par excellence Félix Dyotte, qui a assuré la réalisation de son projet long. Plus Émile Bourgault aura mûri, plus il aura vécu de peines, et plus il aura de belles choses à dire (que l’on ressentira encore davantage, comme public) dans les titres où le spleen est autant mis de l’avant.

C’est pour l’instant sur les chansons plus pop que Bourgault excelle, d’après moi, comme Juillet ou Les aiguilles, qui donne l’impression d’écouter un Thierry Larose venant de découvrir le saxophone – excellentes lignes de la part de Florence Beauquier-Léger au sax, d’ailleurs, probablement la musicienne accompagnatrice s’étant le mieux démarquée de cette soirée. Monique tricote quant à elle plus dans le rock, et très bien, en plus de ça, ce qui nous fait dire qu’Émile Bourgault devrait peut-être davantage explorer cette avenue pour aller chercher un son d’autant plus éclectique.

« Je sais que j’ai quand même une crowd en fin de session, donc merci à vous d’être là », souffle-t-il avant d’interpréter Ma dépendance.

Tout au long de son spectacle, Émile Bourgault s’offrira des duos avec divers artistes de la scène émergente, notamment Sofia Duhaime (sur Nos amours cimetières), Sam Tanguay, sa copine, (sur L’oreiller) et Otto (sur Si tu pars). C’est pourtant l’interprétation d’Ailleurs, avec Louis-Julien Durso, qui volera la vedette pendant la soirée. Les deux jeunes hommes se côtoient depuis des années, et ça se ressent. On perçoit directement cette alchimie, ce petit plus quand ils prennent le micro ensemble. C’est d’ailleurs Durso qui s’est occupé de la mise en scène du spectacle.

Bourgault n’interprétera aucune chanson tirée de ses deux premiers EP pendant sa prestation. Il va préférer des reprises, du nouveau matériel… Même pas Pauvre & malheureux, qui avait eu franchement eu un petit succès au sein de la communauté étudiante mélomane du Vieux-Montréal (et autres cégeps en ville). On comprend qu’Émile regarde devant, il est déterminé et y arrivera très probablement.

Le projet n’a pas atteint sa phase finale, Émile essaie encore de trouver ses marques, mais quand ce sera fait, il faudra être préparé. Ça va débouler rapidement.

Juste avant le rappel, Bourgault interprète Les aiguilles. La salle chante en chœur le refrain, parfaitement. Il n’y a aucun plus beau cadeau. Surtout pour son anniversaire.

Les dauphins et les licornes céréales

Céréales Dauphin. Drôle de nom. La troupe de Sainte-Thérèse se chargeait d’ouvrir le bal avant qu’Émile ne foule les planches plus tard dans la soirée. Je partais avec un certain à priori, je n’avais pas été charmé par leur unique chanson publiée sur les plateformes, Lucky Charms. Mais en live, c’est autre chose.

Le quintette s’en sort très bien sur scène et le niveau technique, pour l’âge des membres (dans le début de la vingtaine), est excellent. Il y a un petit côté The Strokes dans le son, combiné à un style vestimentaire d’élèves modèles du secondaire. Maintenant, il va falloir faire paraître plus de matériel, mais le potentiel est là.

Un nom qui pourrait, sans m’étonner, se retrouver parmi les 21 des Francouvertes dans quelques années.

LISTE DES CHANSONS AU PROGRAMME (ÉMILE BOURGAULT)

1. Tant mieux
2. Nœud coulant
3. Juillet
4. Ma dépendance
5. Nos amours cimetières (avec Sofia Duhaime)
6. Les souvenirs heureux
7. Ailleurs (avec Louis-Julien Durso)
8. L’oreiller (avec Sam Tanguay)
9. Always on my mind (avec Norah Lapointe)
10. Monique
11. J’imagine
12. Si tu pars (avec Otto)
13. Marcher, passer, partir
14. Les aiguilles

RAPPEL

1. Vivre enfin
2. L’alinéa

Crédits photo : Charles-Antoine Marcotte

post-rock

Godspeed You! Black Emperor | Appels à la résistance

par Claire Martin

De retour à Montréal après une tournée européenne, le groupe mythique Godspeed You! Black Emperor a offert à ses fans une expérience à haute intensité lors de deux représentations à guichets fermés les 25 et 26 novembre 2024 au MTELUS. 

20h59. Alors que les lumières s’éteignent, un silence respectueux s’installe. Le bourdonnement d’un drone grave et puissant se déploie dans la salle. Sur scène, les instruments sont silencieux. Le drone continue.

Enfin des musiciens arrivent, discrètement. C’est le contrebassiste/bassiste Thierry Amar et la violoniste Sophie Trudeau qui jouent les premières notes d’une introduction improvisée sur fond de bourdon, bientôt rejoints par les autres membres du groupe, les guitaristes Efrim Menuck, Mike Moya et David Bryant, le bassiste Mauro Pezzente et deux (oui deux!) batteurs: Aidan Girt et Timothy Herzog.

L’esthétique sonore de GY!BE se retrouve visuellement sur scène: c’est dark. On distingue à peine le groupe, seulement éclairé par la lueur orangée des projections de films en 16mm. Composés de textures, d’images abstraites et de séquences politiques évoquant un univers sombre et angoissant, ces films d’art sont créés par les cinéastes et collaborateurs de longue date du groupe, Karl Lemieux et Philippe Léonard. 

Pendant presque deux heures, Godspeed nous emporte dans un monde rempli de feu, de sang et de colère divine. Des crescendos épiques, euphoriques et tonitruants, des vagues de distorsion assourdissantes qui se jettent contre des montagnes percussives. Les différentes pièces semblent se fondre en une seule, avec des moments de tempête furieuse, des accalmies mélancoliques et des transitions cinématographiques.

Tout au long du concert, on a vu très peu de téléphones s’élever au-dessus de la foule comme on en voit souvent. Au lieu de cela, le public, qui réunissait plusieurs générations d’adeptes, s’est abandonné à la catharsis sonore prodiguée par Godspeed. Certains étaient presque en transe, d’autres oscillaient un peu, mais pour la plupart, ils se tenaient là, graves et immobiles, fascinés par la symphonie anarchique qui se déroulait sur scène.

Ce concert était l’occasion de découvrir en live plusieurs morceaux du dernier album de GY!BE « No Title as of 13 February 2024, 28,340 Dead ». Le titre, qui fait référence au nombre de Palestiniens tués par les frappes israéliennes entre le 7 octobre 2023 et le 13 février 2024, est accompagné d’une déclaration abordant le rôle de l’art en ces temps obscurs: « No Title = Quels gestes ont du sens alors que de minuscules corps tombent? Quel contexte? Quelle mélodie brisée?…”

L’engagement politique a toujours été au premier plan de Godspeed You! Black Emperor. Leurs albums sont des manifestes, leurs concerts sont des appels à la résistance. 

chant choral / classique occidental / musique contemporaine

Schulich | La grandeur de Duruflé à la Maison Symphonique

par Judith Hamel

La Maison Symphonique a vibré ce dimanche après-midi sous les archets, les embouchures et les voix des étudiant·es de l’Orchestre symphonique de McGill, du Chœur de chambre Schulich et du Chœur universitaire de McGill. Pour faire résonner ce programme impressionnant traversant le XXe siècle et des esthétiques diverses, pas moins de 230 musicien·nes se sont réuni·es sur scène pour rendre honneur à cette musique remarquable. 

Pendant la fermeture de leur salle de concert Pollack, les ensembles en profitent pour jouer dans plusieurs salles de la ville. Cette fois-ci, direction la Maison Symphonique. 45 minutes avant le début du concert, le public a été accueilli en musique par une prestation du Chœur de chambre Schulich dans le Foyer de la salle. Sous le sapin et auprès d’un public très attentif, ils nous ont offert une belle entrée en matière portée par 6 chef·fes de chœur. 

En guise de prélude au Requiem, le concert a débuté tout en douceur avec la pièce chorale Ubi Caritas. Puis, l’orchestre de 90 instrumentistes, les 140 choristes et l’orgue Pierre-Béique de la Maison Symphonique, sous la direction de Jean-Sébastien Vallée, ont enchaîné avec une interprétation remarquable du Requiem de Maurice Duruflé. 

Malgré certains passages où l’on aurait apprécié un peu plus d’assurance de la part du chœur, il s’est tout de même distingué par une solidité impressionnante, alternant entre des passages mélodiques d’une grande finesse et des fortissimos déchirants. Et lorsque le chœur, l’orchestre et l’orgue s’unissent, l’impact sonore dans la salle est renversant. La puissance de l’ensemble submerge littéralement l’auditoire. Le quatrième mouvement, Hosanna, s’est entre autres démarqué par son intensité spectaculaire, mettant en valeur l’acoustique de la salle. Dans le cinquième mouvement, Pie Jesu, l’orchestre a magnifiquement mis en valeur la mezzo-soprano Javiera Zepeda, particulièrement dans ses passages aigus où sa maîtrise vocale se conjuguait parfaitement avec le timbre des alti et des violoncelles. Le Requiem a été un moment fort du concert. 

Puis, au retour de l’entracte, la prestation du Thème et variations de Schoenberg a été portée par des cuivres d’une solidité remarquable. Dès les premières expositions du thème principal, les articulations étaient nettes et précises, mettant en lumière une caractéristique essentielle de l’œuvre. Chaque section a offert des espaces sonores distinctifs, permettant à l’orchestre de dévoiler toute la finesse du contrepoint et l’élégance de l’orchestration. 

Le concert s’est achevé sur les Variations Enigma d’Edward Elgar, nous entraînant dans un jeu subtil et mystérieux. Chacune des 14 variations esquisse un portrait sonore d’un proche du compositeur, mêlant tendresse, espièglerie et profondeur, pour culminer dans une variation finale où il se dévoile lui-même. La variation la plus marquante fut la neuvième, Nimrod, où Alexis Hauser a su insuffler aux musiciens une intensité poignante. Un autre moment impressionnant fut la variation dix, nommée Dorabella, où les cordes et le bois ont parfaitement capturé le rire espiègle de l’amie de Elgar, Dora Penny, offrant ainsi un moment de légèreté et d’humour. Finalement, peut-être que dans certains passages les trombonistes ont quelque peu abusé de la puissance de leur instrument, mais on leur pardonne. 

En somme, ce fut un concert magnifique, où les musicien·nes semblaient être pleinement inspiré·es par la grandeur du lieu. Avant de plonger dans l’esprit du temps des fêtes, cet après-midi a su mettre un baume sur notre blues du mois de novembre. 

crédit photo : Tam Photography

chant lyrique / classique occidental / opéra

Faculté de musique de l’UdeM | Une soirée à l’opéra efficace

par Alexandre Villemaire

La saison 2024-2025 de la Faculté de musique de l’Université de Montréal bat son plein actuellement. Perché sur le flanc du Mont-Royal en haut de la fameuse côte de l’avenue Vincent-d’Indy, c’est environ une centaine de personnes qui s’étaient rassemblées samedi dans la Salle Claude-Champagne pour venir entendre la cohorte actuelle des jeunes chanteurs et chanteuses. Une belle occasion de les découvrir en prévision de leur production d’Hansel und Gretel d’Engelbert Humperdinck (1854-1921) qui sera présentée fin février. Les étudiant·es étaient accompagnés par Robin Wheeler, pianiste et chef de chant, et Alona Milner.

Une soirée sobre donc, présentée sous forme de gala sans présentation extravagante et mise en espace complexe, mais qui ne manquait pas de moments de qualité. Dans cette soirée à l’opéra, ce sont plusieurs extraits d’œuvres couvrant un vaste éventail du répertoire lyrique qui ont été présentés. On passe de l’opéra romantique allemand au bel canto, à l’opérette et à l’opéra baroque sans heurts. Ce panorama permet de voir en action les différents interprètes dans des styles variés, des expressions lyriques différentes et des incarnations de personnages. En guise d’ouverture, ce sont les Sorcières de Macbeth de Verdi qui se sont présentées devant nous. Le regard perçant, les sopranos et les mezzos de ce chœur ont présenté une lecture mordante et menaçante de cette page du vérisme. Les quelques numéros de chœur qui garnissaient le programme ont par ailleurs été parmi les moments les plus appréciés de la soirée par leur force et leur précision technique. Le son d’ensemble est enveloppant, l’articulation juste et précise. Nommons l’extrait d’Idomeneo de Mozart « Placido è il mar… Soavi Zeffrini », où la balance des voix entre les nombreuses voix de femmes et les cinq voix d’hommes était planante, équilibrée et en complémentarité avec le chant de Marie France Eba Koua.

Au niveau des voix individuelles, plusieurs interprétations ont capté notre attention. Chez les voix d’hommes, le baryton Élie Lefebvre-Pellegrino se démarque par un très beau grave, résonnant, ample, rond et légèrement cuivré doublé d’une bonne présence scénique. Son interprétation de l’air de Nilakantha tiré de Lakmé de Léo Delibes était assurée et investie, de même que son intervention en tant que comte Almaviva dans le duo « Crudel! Perche s’ignora » des Noces de Figaro avec Kevisha Williams. Ses passages dans le haut de son registre demandent par contre encore à être stabilisés. Son comparse Théo Raffin a été de ceux ayant offert parmi les meilleures performances scéniques dans son Leporello de Don Giovanni (« Sola, sola in buio loco ») et son Mercutio de Roméo et Juliette (« Mab, la reine des mensonges »). Dans les deux cas, ses interventions étaient d’une justesse tant interprétative que vocale. Seule basse de la cohorte, Andrew Erasmus a livré le difficile air « O du Mein Holder Abendstern » extrait de Tannhäuser de Wagner avec finesse et sensibilité.

Pour les voix féminines, Maëlig Querré (mezzo-soprano) a fait bonne impression dans son rôle de Roméo tiré d’I Capuletti e i Montecchi de Bellini. Sa voix agile et assurée au grave sonore complétait la Giulietta de Nicole Ross qui, malgré une grande force et agilité dans les aigus, arrivait au bout de ses capacités à la fin de l’aria. Le jeu de Cloée Morisette et Clotilde Moretti était également tout à fait pétillant dans un extrait du Freischütz de Carl Maria von Weber. Autre nom à retenir, la mezzo-soprano Julie Boutrais. Elle s’est illustrée dans le duo tiré de l’opéra L’Incoronazione di Poppea de Moneverdi, interprété avec Salomé Karam. Incarnant respectivement le roi Néron et son amante Poppée, les deux chanteuses ont parfaitement su capter les sentiments passionnés et l’ivresse évoqués dans « Signor, oggi rinasco » alors que Néron annonce à Poppée qu’elle sera son épouse. C’est également Julie Boutrais qui est venue conclure la soirée avec sa voix chaude et incarnée avec l’air final de Dido and Æneas « When I am laid in Earth » suivi par le chœur final du même opéra. Un moment qui nous a donné des frissons.

Si nous devons faire une légère critique par rapport au concert, c’est sur le manque de détails dans le programme. Le récital de chant sous la forme de gala où l’on fait se succéder différents airs, duos, trios et chœurs d’époque et de style différents permet aux chanteurs de s’exprimer dans une variété de jeux et de personnages et, par la même occasion, de faire découvrir au public des protagonistes et des opéras qu’il connaîtrait moins. Il serait judicieux d’offrir un léger contexte à ces œuvres afin de les situer pour le public. L’extrait du trio « Je vais d’un cœur aimant » de l’opéra Béatrice et Bénédict d’Hector Berlioz en est un bon exemple. Cet extrait d’un opus peu exécuté et qui a bien été mené par Maëlig Querré, Maïlys Arbaoui-Westphal et Anne-Sophie Gagnon-Metellus aurait mérité une petite note de programme pour l’apprécier encore plus.

Antilles / Caraïbes / dancehall / konpa / soul/R&B

Mundial Montréal | Magdala, le nouveau standard du konpa montréalais ?

par Alain Brunet

« Moi j’ai 5 pieds 4 et j’ai pas besoin d’escabeau », chante l’opiniâtre Magdala dans Grind Mode, un titre konpa de son cru. Une collègue me dit que la chanteuse montréalaise a déjà tenté en vain de s’imposer dans les concours de voix de la télé québécoise. Alors ?

Chacun sait que ces concours mènent rarement à une carrière singulière, une infime minorité de chanceux s’imposent à long terme dans la pop locale pour grand public, n’est pas Marie-Mai qui veut.

Encore moins nombreux s’imposent à la manière de Dominique Fils-Aimé, qui fut remarquée aussi dans les concours qui ont la force de caractère pour tracer leur chemin sans suivre les diktats de la pop FM.

Magdala, elle, ne suit aucun de ces deux chemins et pave le sien : voilà le nouveau konpa de Montréal, le nouveau standard, le sien !

Mercredi au Café Campus, dans contexte de Mundial Montréal, Magdala souhaitait convaincre les professionnels venus du monde entier pour conclure des ententes avec les artistes en vitrine, dont Magdala dans le cas qui nous occupe.

Il est temps que cette artiste émerge au-delà du circuit de la diaspora haïtienne – Haïti, Paris, Miami, New York, Montréal, etc. Depuis les années 50, chaque génération de konpa a ses champions, le style n’a cessé d’évoluer sans avoir le crédit qu’il lui revient : la cellule rythmique du konpa est la mère des beats afro-descendants aussi populaires que le zouk, le reggaeton et les afrobeats du Nigeria.

Magdala maintient le rythme et l’esprit du konpa, elle y ajoute des actualisations qui en singularisent la signature : claviers différents du Farfisa traditionnel au konpa (bien que certaines sonorités farfisiennes sont parfois ramenées au menu!) , backbeat plus lourd à la batterie et à la basse, importance accrue de la guitare, intégration de soul/R&B et de dancehall.

Magdala a une voix de mezzo-soprano qui coule de source, sa présence sur scène exhale la sensualité et le pouvoir attractif des stars, son autorité ne fait nul doute. À toutes fins utile, Magdala est prête pour les grandes ligues. Mais, comme on le sait, plusieurs prétendants légitimes aux grandes ligues ne gagnent pas à la loterie du succès de masse… Magdala est relativement proche du but, on lui souhaite d’y arriver car elle a tout pour y parvenir. Pas besoin d’escabeau !

Festival Bach | La Messe en si mineur, un épisode fondamentalement puissant

par Alexis Desrosiers-Michaud

À la Maison symphonique, le Festival Bach lançait samedi son édition de majorité avec la présentation de la Messe en si mineur du maître. Avec l’annulation de la venue de Sir John Eliot Gardiner et des Monteverdi Singers l’an passé, cette prestation par le Chœur et Orchestre du Festival sous la direction de Leonardo García Alarcón était fort attendue, au vu d’une salle comble. 

Et elle n’a pas déçu, loin de là. Dire que la Messe en si mineur de Johann Sebastian Bach est monumentale relève de l’euphémisme, mais il y a de ces concerts qui deviennent des événements qui resteront gravés dans la mémoire de ceux qui y ont assisté. Ce samedi soir, 23 novembre 2024 était l’un de ceux-là. 

Déjà, la direction du Festival nous a annoncé une version pieuse, nous invitant à, comme Bach lui-même avec son œuvre-synthèse-testamentaire, « repenser à tout ce dont nous avons accompli de plus fier dans notre existence ». Mis à part l’intervention d’un comédien déguisé en Bach venant nous dire à quel point on est chanceux d’entendre sa musique et d’autres commentaires que le chef nous reformulera dans un contexte plus propice à l’esthétique de l’œuvre, ce fut une soirée dont tous se souviendront longtemps.

Justement, après l’allocution du chef, après nous avoir dit que cette œuvre est la jonction entre art et technique, nous annonce « bon concert » après l’accord initial de si mineur donné à l’orgue, les lumières de la Maison Symphonique s’éteignent, l’orchestre se le lève d’un bond et les choristes chantent le premier Kyrie des allées du parterre, dans une pénombre avec pour seul éclairage les lumières de lutrin, pour ensuite marcher lentement vers le devant de scène pendant l’exposition instrumentale.Toujours dans le noir, les deux sopranos sont perchées dans les loges corbeilles pour le Christe qui suit. Bien sûr, les lumières se sont rallumées aussi rapidement qu’elles se sont éteintes pour le Gloria

Des quatre solistes, Dara Savinova est celle qui performe le moins bien. Elle chante avec un gros vibrato et une voix pleine, alors que l’on recherche le contraire dans du baroque. En plus, la projection n’est pas toujours au rendez-vous. Le ténor Nicholas Scott, la basse Andreas Wolf et l’autre soprano Mariana Flores ont chacun brillé dans leurs airs. 

Leonardo García Alarcón dirige cette musique de main de maître, par et avec son cœur. En fait, il ne fait pas que diriger, il vit la musique. Levant souvent les bras au ciel, signifiant que cette musique est divine, Alarcón rend tout fluide et insuffle un côté personnel à l’œuvre. Il prend des décisions audacieuses, mais qui rapportent, comme de faire entrer et sortir les solistes au gré de leurs interventions, déplacements se faisant selon le tempo de la musique en cours, de sorte que chaque mouvement peut s’enchaîner. Notons aussi, les appuis forts sur les endroits qui font mal dans l’enchaînement Et Incarnatus estCruxifixus. C’était tellement profond qu’il fut difficile de sortir de cet esprit malgré la vivacité du Et resurrexit suivant. 

Ce fut fondamentalement puissant lorsque la soprano Savinova a chanté l’Agnus Dei à genoux devant le podium dans la pénombre, pendant que les choristes sont descendus de scène lentement, comme une procession, pour rejoindre les allées pour le Dona Nobis Pacem final.

crédit photo: Gabriel Fournier

Chanson francophone / chanson keb franco / pop orchestrale

Émile Proulx-Cloutier symphonique, lancée d’un cycle pérenne

par Alain Brunet

Tout était en place vendredi pour l’enrobage symphonique d’Émile Proulx-Cloutier dans une Maison symphonique bien remplie. L’Orchestre de l’AGORA sous la baguette de Nicolas Ellis, le Burning BRA’s Band et le Choeur du Plateau étaient sur scène pour ce triomphe de l’engagement chansonnier d’un artiste très aimé par les plus que trentenaires blancs de souche francophone d’Amérique.

Excellent acteur et auteur-compositeur talentueux, essentiellement prisé par le Québec blanc, francophone, progressiste, plus vieux que jeune, Émile Proulx-Cloutier a retrouvé son public. Il n’avait pas lancé de nouvelles chansons jusqu’à la sortie des généreux trois actes de Ma main au feu, sortis en mai dernier, et dont il était surtout question au programme, le tout assaisonné de chansons créés durant la décennie précédente. En s’imposant ainsi avec un tel arsenal orchestral, le chanteur était en selle pour un cycle propice à sa pérennité musicale, à la hauteur de ses succès mérités en tant que comédien.

Les textes d’Émile Proulx-Cloutier sont la mise en rimes de ses observations récentes d’un monde global et de ses conséquences sur un monde intime, mis a mal par moult menaces, le tout exprimé à travers le le prisme d’une langue toujours fragilisée sur ce continent. En prime, on est témoin d’un regard bienveillant sur les langues autochtones encore plus vandalisées par la colonisation, ceci incluant la nôtre avant que la conquête anglaise ne nous la fasse oublier – d’où une version anishinaabe-française de Mommy, jadis la sombre projection franco-futuriste de notre assimilation, popularisé par Pauline Julien et reprise notamment par Stephen Faulkner.

Grosso modo, ces observations lucides et progressistes de l’auteur s’inscrivent dans un sillon de l’engagement chanssonnier creusé par Pierre Flynn à l’époque d’Octobre ou à Richard Séguin ou encore Paul Piché, soit à l’époque où la chanson québécoise francophone était un puissant vecteur de changement… ce qui n’est plus exactement le cas de nos jours, sauf exceptions. Cet homme de 41 ans en est une et peut être considérée comme la suite logique au succès de masse des Cowboys Fringants, qui ont aussi labouré le même champ.

Qui plus est, les arrangements de François Vallières et Guido Del Fabbro, pour orchestre symphonique (en version relativement réduitte) choeur et fanfare, magnifient ces chansons conçues pour piano et voix. Le néoclassicisme des mélodies et harmonies mises de l’avant par son concepteur est assez riche pour qu’on en imagine d’ambitieuses orchestrations, bien exécutées par l’Orchstre de L’Agora et les deux autres ensembles sous la direction de Nicolas Ellis … et même celle du chanteur durant une sympathique parenthèse instrumentale.

Quelques apartés slam/rap en actualisent un tantinet la facture mais, de manière générale, triomphent les enveloppes consonantes de ces chansons dont les fondements sont parfaitement intégrés dans l’imaginaire collectif.

Crédit photo: Emilie Chamberland La Tribu

acadie / country-folk / punk rock

Marathon | P’tit Belliveau au MTELUS, baptême du feu

par Sami Rixhon

Premier MTELUS dans le viseur pour Jonah Guimond, alias P’tit Belliveau. Après quatre Club Soda en un an, c’était le temps de passer aux choses sérieuses. The real deal. Et comme le défi a été soulevé haut la main par la joyeuse troupe acadienne, oh ça oui.

P’tit Belliveau entre désormais dans la cour des grands, il foule enfin les planches de ce temple montréalais. Loin semble le jeune et fougueux Jonah Guimond accompagné des Grosses Coques, s’enfermant uniquement dans ce sympathique country-pop parfois un brin limité. Le natif de Baie Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse, s’est d’autant plus réaffirmé en cet artiste particulièrement audacieux, se foutant des codes de l’industrie et diablement divertissant.

P’tit Belliveau amorce son spectacle avec Depuis que la neige a fondu et Moosehorn Lake, tirés de ses deux premiers projets. Alternant tout au long du concert entre le banjo et la guitare électrique, il présente une majorité de pièces de son nouvel album, l’homonyme P’tit Belliveau, explorant autant des recoins pop-punk à la Blink-182 que des avenues métal ou rap. Audacieux, je vous dis.

« Si y’a une personne dans la salle qui chante pas, je retire ma musique de Spotify et j’arrête le show », avertit-il avant d’interpréter la grinçante Mon drapeau acadjonne viens d’Taïwan. Il y a tout ce que vous voulez dans un concert de P’tit Belliveau. Vous désirez rire? Regardez les projections derrière le groupe, qui présentent notamment des grenouilles qui font de l’exercice ou des tracteurs John Deere. Vous voulez être déconcerté? Laissez-vous surprendre par un interlude extramusical déroutant où un lutteur, sorti de nulle part, vient se battre avec le groupe sur scène pour finir terrassé par un P’tit Belliveau torse nu – « Never fuck with P’tit Belliveau. Ever », ajoutera-t-il dans la foulée -. Vous préférez bouger? Allez au-devant du parterre, au milieu de ses fidèles disciples lançant des mosh pits sur absolument n’importe quoi. Il y a de tout, vraiment.

Chapeau aux musiciens accompagnateurs, particulièrement doués et divertissants avec leurs chorégraphies farfelues et leurs solos de mandoline et de violon à gogo. Deux membres du délirant quatuor punk Peanut Butter Sunday (Normand Pothier et Jacques Blinn) jouent d’ailleurs depuis quelque temps avec P’tit Belliveau sur scène, ce qui peut expliquer le penchant rock qu’exploite de plus en plus Guimond dans ses compositions.

L’artiste acadien clôture la partie régulière de son spectacle avec RRSP/Grosse pièce, de son deuxième album, puis revient sur scène pour un excellent rappel mêlant chanson à répondre pour enfants (L’arbre est dans ses feuilles), nouveau matériel (L’​é​glise de St. Bernard) et anciens succès (J’aimerais d’avoir un John Deere et, bien sûr, Income Tax). Le public en veut encore et encore, ce qui force le groupe à revenir jammer quelques minutes pour un deuxième rappel apparemment impromptu.

P’tit Belliveau répétait plusieurs fois dans le spectacle à quel point il est reconnaissant de compter sur le soutien indéfectible de son public, ses chums, depuis tant d’années (chose qu’il disait déjà dans Demain). Merci à toi, P’tit Belliveau, de proposer une offre si singulière dans une industrie locale souvent trop standardisée. L’un des meilleurs artistes franco-canadiens actuels, tout simplement.

Crédits photo : Camille Gladu-Drouin

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