Pour conclure sa première saison comme directeur artistique du Nouvel Ensemble Moderne, Jean-Michaël Lavoie a présenté un programme axé sur deux figures incontournables de la scène internationale en musique contemporaine, Kaija Saariaho (1952-2023) et Pierre Boulez (1925-2016) ainsi que sur la musique d’ici avec une création de Nicolas Gilbert.
Contextualiser des œuvres de musique contemporaine peut parfois s’avérer périlleux hormis pour les aficionados et les habitués de ces ensembles et de ces concerts. Pour rendre plus accessible et préparer l’auditeur à ce qui allait être présenté dans la salle Pierre-Mercure, une activité de médiation était offerte avant le concert, pendant l’entracte et à la fin. Le public était invité respectivement à écouter des extraits des trois œuvres aux programmes tout en touchant à l’aveugle différents objets aux textures diverses et à l’associer à l’œuvre de leur choix, s’interroger sur ce qu’est l’appel intérieur et à la fin de la soirée, comparé leur première impression et revenir sur celles-ci s’il en sentait le besoin.
L’appréciation des œuvres ne passe donc plus uniquement par une écoute stricte, mais par une mise en relation, une question ou une interrogation sur la perception. Un moyen ludique et sans prétention qui ne demande pas une compréhension approfondie des formes, du langage ou des techniques, mais qui fait appel au ressenti et au sens des personnes. À voir le certain engouement et la participation honorable du public, ce type d’activité, qui marque depuis déjà quelques années les débuts de concert, est à conserver.
Le concert démarre donc dans l’intime avec Cendres de la compositrice finnoise Kaija Saariaho. On y retrouve Francis Perron au piano, Julie Trudeau au violoncelle et Jeffrey Stonehouse à la flûte. La pièce tresse un dialogue entre les trois instruments, chacun essayant à différents moments de coexister. Saariaho travaille avec les textures des différents instruments, notamment par l’emploi de techniques de jeu étendues (sul tasto, flatterzunge, etc.) L’œuvre s’ouvre sur un grondement sourd de violoncelle qui se fond dans le timbre des cordes du piano qui ont été grattées. Les trois instruments se rejoignent par moment dans des points d’ancrage texturaux, pour ensuite reprendre leur dialogue exprimé sous différentes formes idiomatiques.
Commande initiée par la prédécesseur de Jean-Michaël Lavoie et fondatrice du NEM Lorraine Vaillancourt, L’appel intérieur de Nicolas Gilbert se présente comme un concerto pour cor solo et ensemble. Ici encore, on assiste à un jeu de texture et de timbre avec des échanges entre le cor et l’orchestre et un développement musical dynamique et engageant où le soliste Jocelyn Veilleux rivalise de virtuosité technique avec son instrument.
Comme œuvre maîtresse occupant toute la deuxième partie du concert Dérive 2 de Boulez est une des œuvres les plus connues du compositeur, dont l’année 2025 marque son centenaire. C’est aussi une des plus exigeantes, tant pour le chef que pour les musicien·ne·s. S’en est une aussi qui est symbolique pour Jean-Michaël Lavoie, lui qui a été chef assistant de l’Ensemble intercontemporain de 2008 à 2010, et qu’il souhaitait faire avec l’ensemble montréalais. Programmé du Boulez dans un concert relève toujours d’un pari relativement audacieux, tant le langage structurel de Boulez est dense et les formes complexes. Mais, c’est un pari qui a été relevé avec brio, dynamisme et élégance. Jean-Michaël Lavoie a la très grande qualité de rendre par sa gestique le matériel musical signifiant et digeste pour le public et clair pour les instrumentistes.
Le cadre dans lequel il bat ses mesures demeure rigide et calculé; les multiples rythmes irréguliers et les dynamiques changeantes l’exigent. Mais, alors qu’il pourrait se contenter d’une battue pratique et ergonomique – qu’on associe à d’emblée à Boulez -, celle de Lavoie est musicale, pleine d’élan, de portée et d’énergie. L’œuvre est clairement découpée en différents blocs texturaux, où dès qu’une séquence mélodico-rythmique est entamée, celle-ci devient cyclique et se répète. Cette régularité identifiable crée un point d’ancrage auditif et un repère familier auquel on s’accroche naturellement pendant le déroulement de la pièce. Combiné au spectacle visuel qu’est la performance des musiciens et de la direction signifiante de Jean-Michaël Lavoie, un œuvre que l’on pourrait qualifier d’aride, devient soudainement accessible.
En concluant la première saison de sa nouvelle direction artistique d’une telle manière, on peut sans aucun doute dire que le NEM est entre de bonnes mains.
crédit photo : Dominic Blewett pour Tam Photography