Samedi 9 novembre avait lieu la création de l’opéra Sainte Marine de Katia Makdissi-Warren (de l’ensemble OktoEcho), avec le concours de la compagnie Chants Libres dirigée par Marie-Annick Béliveau (également interprète du rôle principal).
Écoutez l’entrevue que j’ai réalisée avec Marie-Annick Béliveau au sujet du personnage de Sainte Marine, et de l’opéra lui-même:
L’opéra est qualifié d’immersif, ce qui est juste compte tenu que le public et les artistes sont dispersés dans un même espace commun sphérique : le dôme de la SAT (Société des Arts Technologiques). Mieux encore, les artistes se déplacent à travers les spectateurs, et ceux-ci ont le loisir (ou sont parfois obligés) de changer de place, de s’asseoir ou de rester debout, selon leur bon plaisir ou leur intérêt pour un musicien plutôt qu’un autre. Le dôme lui-même sert d’écran pour diverses projections au cours du spectacle. Quelques-unes sont jolies (dessins de fleurs, plantes, arbres), d’autres touchantes (bougies accompagnant un passage musical introspectif vers la fin de l’oeuvre), mais trop souvent se limitent à des jaillissements de traits colorés ou de formes esquissées qui semblent sévèrement sous utiliser le potentiel moderne de l’art visuel numérique.
La musique évoque les chants traditionnels maronites du Liban (pensez soeur Marie Keyrouz), car Sainte Marine a vécu dans ce qui est aujourd’hui le Liban vers le 5e siècle. La partition vocale évolue avec des lignes simples, avec forts échos de gammes modales, transportées par les voix amplifiées de Marie-Annick Béliveau, mezzo-soprano à qui on demande des écarts parfois importants en plus d’enchaîner le chant et la narration, et un trio de voix basses masculines, les ‘’frères’’ de Sainte Marine dans le monastère où elle a vécu déguisée en moine masculin toute sa vie ou presque. Ce qu’on entend ressemble surtout à du chant rituel, ou incantatoire, et pratiquement dénué de toute harmonisation. L’effet est certes suggestif de la transe, mais surtout chenu en émotion. J’ai pensé quelques fois que j’aurais aimé un drame plus caractère.
La partition instrumentale est celle qui s’écarquille le plus entre les styles et les effets. J’ai particulièrement aimé le jeu des flûtes proposé par la compositrice : traversière classique et alto jouées par Marie-Hélène Breault et surtout le nay traditionnel superbement déployé par Aymen Trabulsi. Elles sont le point d’ancrage dans ce monde du Levant lointain, aussi bien culturellement que temporellement. Puis, les percussions (trés bon Bertil Schulrabe) et le piano (Pamela Reimer) travestissent l’authenticité culturelle initialement dessinée avec des interventions parfois contemporaines, ailleurs jazz ou légèrement pop. Toutes les personnalités stylistiques jusqu’ici décrites se superposent occasionnellement, mais plus souvent qu’autrement se côtoient dans un regroupement pour lequel j’hésite entre les qualificatifs de curieux ou heureux. Un peu comme si je goûtais un plat que j’aime, mais pour lequel je me demande ce qu’il y manque pour le rendre vraiment savoureux.
La qualité des interprètes est indéniable, même si j’ai senti la voix de Marie-Annick un brin fragile, voire hésitante, dans quelques passages. Peut-être était-ce voulu, pour mieux incarner le personnage? Encore une fois, j’hésite.
Sainte Marine est une proposition très intéressante, qui mérite un peaufinage esthétique et un resserrement de l’écriture dramatique (tant musicale que scénique), et puis un je-ne-sais-quoi qui reste à identifier pour lui permettre d’atteindre son potentiel.
Distribution:
Marie-Annick Béliveau, mezzo-soprano; Marie-Hélène Breault, flûtes; Aymen Trabulsi, nay; Pamela Reimer piano; Bertil Schulrabe percussions; Michel Duval, David Cronkite et Clayton Kennedy, basses
Katia Makdissi-Warren, conception et composition
Marie-Annick Beliveau, conception, livret et direction artistique
Charlie Poirier-Bouthillette, conception vidéo
Normal Studio, réalisation immersive
Flavie Lemée, éclairages
Marianne Lonergan, scénographie et costumes
Angélique Wilkie, dramaturgie