Pour son premier concert de l’année 2025, Arion Orchestre Baroque recevait deux musiciens dont la venue était attendue depuis cinq ans, contexte pandémique oblige. Le programme de concert était donc porté par le violoniste Pablo Valetti et la claveciniste Céline Frisch, cofondateurs et directeurs artistiques de l’ensemble Café Zimmerman. La dernière présence de l’ensemble lui-même au Canada remonte à 2015, mais c’est la première fois que Céline Frisch et Pablo Valetti se joignent à l’effectif d’Arion pour en présider la destinée le temps d’un programme de concert.
Le nom de l’ensemble fait référence à l’établissement éponyme de Gottfried Zimmermann à Leipzig, un lieu où on ne fumait pas que la pipe et buvait du café – boisson exotique très en vogue à l’époque – mais aussi un endroit de rassemblement où les étudiants, les marchands et les membres de la bourgeoisie venaient discuter et débattre dans un environnement où « l’expérimentation musicale et l’échange intellectuel jouaient un […] rôle de premier plan ». C’est sur ces aspects que le programme de la soirée était clairement constitué, avec une première partie dédiée à la musique de J. S. Bach, Johann Friedrich Fasch et Georg Philipp Telemann, clairement campée dans l’univers sonore baroque, et une deuxième aux deux fils de Bach, Wilhelm et Carl Philipp Emmanuel, plus expérimentale et préfigurant l’esthétique de la période classique.
« L’Ouverture » tirée de la Suite en ré mineur de Fasch a offert une belle entrée en matière, avec un thème royal majestueux porté avec son affirmé, plein boisé par les musiciens d’Arion. Le jeu de Mathieu Lussier, directeur musical et artistique de l’ensemble, qui a tronqué ses habits de chef pour revêtir le temps d’un concert celui d’instrumentiste, s’est illustré dans le Concerto pour basson en do majeur de Fasch. C’est une œuvre aux dynamiques variées avec des lignes musicales actives dans lesquelles le basson est en constantes activités. Le deuxième mouvement offre un changement de caractère, passant d’un univers sonore sautillant et lumineux à un monde plus sombre et langoureux avec des lignes mélodiques plus lyriques.
Sous-titré « alla Francese », le Concerto en do majeur de Telemann adopte un style pastoral, notamment dans le premier mouvement avec douceur sous forme de rondeau. Les hautboïstes Matthew Jennejohn et Karim Nasr, accompagnés au basson par Mathieu Lussier, ont été au centre de cette œuvre vivante et animée. À la fois soliste et chef de file pour les musiciens, Pablo Valletti a été d’une grande justesse dans l’interprétation du fameux Concerto pour violon en la mineurde Johann Sebastian Bach. Dans le deuxième mouvement notamment, Valetti a mis en valeur des lignes musicales soutenues où il fait chanter son instrument sans entrer dans des épanchements virtuoses superflus. Son jeu est élégant et signifiant. Le mouvement perpétuel entre les violons et la basse continue vers la fin du dernier mouvement Allegro assaiinstaure un climat transcendantal à la fois énergique et méditatif.
Après avoir exposé une trame narrative musicale virtuose et conventionnelle dans la première partie, c’est véritablement dans la deuxième partie que les velléités exploratrices des deux fils de Bach ont été exposées. La Sinfonia en fa majeur de Wilhelm Friedemann Bach surprend avec son langage harmonique trituré et ses passages chromatiques qui sonnent étranges à nos oreilles. La soirée s’est conclue avec une interprétation aérienne par Céline Frisch du Concerto pour clavecin en la majeur de CPE Bach, dont les deuxième et troisième mouvements étaient particulièrement inventifs avec des effets respectivement planant et endiablé. En mettant comme trame programmatique les soirées musicales et intellectuellement effervescentes du XVIIIe siècle à Leipzig, Arion et ses invités du Café Zimmermann ont fait une part belle aux œuvres musicales de cette époque. Si nous avions une critique à faire sur cet aspect, c’est que la portion « expérimentale » aurait pu être plus garnie, ou à tout le moins semblable à la première portion du concert pour mettre encore plus en évidence les différences stylistiques et les arômes musicaux des différentes œuvres
crédit photo: Annie Éthier