Le New York Times nous offre en ce lundi 7 décembre le texte le mieux documenté à ce titre; on estimerait à 300 millions $ US la somme de la transaction entre His Bobness et Universal Music Group – et, fait à noter, pas Sony-BMG qui possède Columbia, là où loge Dylan depuis les débuts de sa carrière.
Que justifie ce choix? La somme de 300 M est-elle exacte ? Cette entente est privée, qu’importe… On imagine que ça s’est certainement négocié dans les neuf chiffres. Colossal ?
Voilà une tendance typique de notre époque : le contrôle de la propriété intellectuelle par les plus puissants acteurs de la musique enregistrée. Non seulement les trois majors (Universal Music Group, Sony-BMG et Warner Music) adoptent-ils de telles pratiques, de nouvelles sociétés d’édition jouissent de très gros investissements pour ainsi mettre la main sur les répertoires.
Ainsi, la société Hipgnosis Songs Fund vient de consentir 670 millions $ US pour un bouquet de répertoires – Blondie, Rick James, Chrissie Hynde & The Pretenders, etc. Ainsi, Primary Wave a investi 80 millions $ US sur les chansons de Stevie Nicks. Si la chanteuse de Fleetwood Mac vaut 80 M, on peut déduire aisément que le répertoire de Dylan en vaut minimalement 300 !
Rappelons au demeurant que cette transaction se limite à l’édition musicale du répertoire dylanesque. L’édition musicale gère les droits d’auteur pour la création de chansons – les paroles et les mélodies des chansons – ce qui distingue cette pratique de la gestion des enregistrements. Moyennant un pourcentage préalablement négocié avec leurs clients, les éditeurs perçoivent pour eux et avec eux des droits d’auteur et des droits de licence lorsqu’une œuvre est vendue, diffusée en continu sur les plateformes, à la radio et dans des lieux publics, ou encore lorsqu’une chanson est utilisée dans un film ou une publicité audio ou audiovisuelle.
Depuis l’arrivée des Spotify, Apple Music, Deezer et autres YouTube Music, la diffusion en continu a contribué à dynamiser l’ensemble du marché de la musique. Toujours selon le NY Times, les éditeurs états-uniens ont récolté 3,7 milliards de dollars en 2019, statistiques officielles de la National Music Publishers Association aux USA. On comprendra que les revenus réguliers et croissants générés par les droits musicaux attirent désormais de nouveaux investisseurs importants, car il y aura beaucoup de revenus à engranger avec les répertoires « classiques » du songwriting, à moyen comme à long terme. D’où ces transactions spectaculaires comme celle de Bob Dylan.
Cela étant posé, il faut souligner que ces répertoires archi-connus ne peuvent être commercialisés que par de très puissants acteurs qui en feront fructifier les utilisations subséquentes dans tous les recoins du web. Outre le rachat de la propriété intellectuelle, ces opérations de commercialisation des répertoires nécessitent de très gros investissements, et c’est probablement le calcul fait par l’entourage de Dylan.
Ces opérations de commercialisation des répertoires acquis s’inscrivent donc dans un processus monopolistique de l’argent de la culture, argent de plus en plus concentré aux mains des super méga riches de ce monde. Dans cette optique, force est d’observer que les plus puissants le sont encore plus que jamais et… la presque totalité des répertoires de la musique est au contraire vouée à la précarité économique et à l’appauvrissement progressif des créateurs et de leurs interprètes.
Cette dynamique était déjà injuste avant que l’environnement numérique ne prenne le dessus sur une économie fondée sur la vente et la diffusion de produits physiques des œuvres de l’esprit. Avec le web, l’écroulement des écosystèmes antérieurs a fait place à une monopolisation encore plus marquée, encore plus éhontée. Est-il besoin de souligner que cette restructuration des industries culturelles autour d’une tribu de milliardaires ne favorise qu’une infime minorité d’artistes dont fait partie Bob Dylan, monstre sacré issu d’une autre époque.
Car nous parlons bien d’un artiste issu d’une autre époque.
Impossible en 2020 d’imaginer l’émergence d’un artiste de la profondeur d’un Bob Dylan devenir un artiste aussi influent, de surcroît nobélisé en fin de carrière. Nommez un seul songwriter hyper talentueux d’aujourd’hui ayant le pouvoir d’influence de Robert Zimmerman lorsqu’il fut lui-même artiste émergent, six décennies plus tôt. Bonne chance dans vos recherches.
La structure actuelle de l’industrie de la musique et l’adaptation des médias (sociaux et traditionnels) à l’environnement numérique excluent d’emblée le succès de masse pour TOUS les Bob Dylan émergents de ce monde. La grande chanson d’auteur n’est devenue très rentable que pour les meilleurs… septuagénaires et octogénaires. Misère des niches…