classique occidental

Que Daniil Trifonov peut-il dire ?

par Alain Brunet

Sauf les vedettes ouvertement pro-Poutine, on pense ici au maestro Valery Gergiev, au pianiste Denis Matsuev ou à la soprano Anna Netrebko, les artistes russes de grand talent se trouvent dans une position très délicate, qu’ils évoluent dans leur pays ou hors de leur pays. Le régime Poutine a retrouvé ses marques staliniennes au fil des deux dernières décennies : révisionnisme historique, ultranationalisme, pouvoir oligarchique, mensonge institutionnalisé, désinformation, pressions autoritaires auprès des opposants et leurs proches, délation, répression, violence… Enfin bref, si vous êtes une personnalité publique russe, il est dangereux de vous exprimer sur la situation. Jusqu’à quand ? Tant et aussi longtemps que Poutine sera en place, ce qui ne garantit en rien un avenir radieux après son départ.

Daniil Trifonov, qui se produit à Montréal cette semaine avec l’Orchestre symphonique de Montréal sous la direction de Rafael Payare, ne donne évidemment pas d’interview aux médias…Bien évidemment, la plupart lui demanderaient de préciser sa position sur le conflit armé, le mieux qu’il pourrait répondre à cela consisterait à souhaiter le retour de la paix ou exprimer son inconfort sans donner de détails supplémentaires. Comme les sportifs russes, d’ailleurs. Sinon… souvenez-vous du cas d’Artemi Panarine, un des meilleurs attaquants des Rangers de New York. Lorsque, l’an dernier, ce dernier s’était positionné clairement contre les pratiques répréhensibles du régime Poutine, la ferme de trolls russes eut tôt fait de lui bricoler une fausse histoire de violence physique à l’endroit d’une adolescente… le joueur de hockey avait dû s’absenter du jeu pour faire la lumière sur ce vicieux canulard.

On comprendra que la presque totalité des personnalités publiques de Russie risquent leur propre sécurité et celle de leurs proches s’ils se prononcent ouvertement contre ce régime qui calomnie, salit, emprisonne ou assassine carrément ses opposants.

Voilà pourquoi l’OSM gère différemment cette crise le pianiste russe Alexander Malofeev annulé sous la pression pro-ukrainienne au début de l’invasion. On avait peur que le jeune prodige de 21 ans fasse les frais montréalais de la colère anti-Poutine, on avait voulu le protéger. Quelques semaines plus tard, la réflexion est différente. Il y aura une manifestation à l’initiative de militants pro-ukrainiens pour dénoncer la tenue des concerts du pianiste Daniil Trifonov, mercredi et jeudi à la Maison symphonique. Les opposants ne réprouvent pas la culture russe mais estiment que la présence publique des artistes russes n’est pas acceptable dans le contexte actuel. Rappelons également que le Conseil des Arts du Canada annonçait le 4 mars qu’il cessait de financer « toute activité impliquant la participation d’artistes ou d’organisations artistiques russes ou biélorusses », précisant néanmoins que ces mesures étaient temporaires. Alors on en déduit que Trifonov échappe à cette catégorie puisqu’il n’est pas soutenu ici par une organisation artistique russe ou biélorusse.

Voilà un cas intéressant de zone grise : publiquement, Trifonov s’est montré désolé de la situation mais n’en a pas dit davantage, à l’instar d’autres personnalités publiques tels l’attaquant vedette des Capitals de Washington Alex Ovechkin (un chouchou notoire de Poutine) et le joueur de tennis Daniil Medvedev, no 2 mondial. Grosso modo, ces personnalités publiques restent très floues sur leur position face au régime et souhaitent candidement le retour à la paix, ce qui apparaît nettement insuffisant d’entrée de jeu. Effectivement, ça l’est mais… il faut aussi comprendre que ces Russes célèbres et leurs entourages sont surveillés de près par les autorités de leur pays d’origine, et donc muselés dans leurs propos s’ils franchissent cette ligne de la candeur.

Voilà qui justifie l’invitation de Daniil Trifonov, une décision délicate de l’OSM où son immense talent pianistique l’emporte largement sur les arguments l’excluant des scènes du monde. On devine que le pianiste ne puisse exprimer vraiment sa pensée sur le conflit et qu’il souhaite poursuivre sa carrière à l’étranger. Si le conflit s’enlise toutefois, Trifonov et ses collègues pourraient faire face à plus d’adversité dans leur parcours artistique… Nous n’en sommes pas là et nous comprenons que la gent classique marche sur des œufs, ceci incluant les mélomanes que nous sommes.

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