Oralité poétique et musique contemporaine… une présence autochtone

Entrevue réalisée par Alain Brunet

De l’oralité autochtone à la musique écrite de notre ère occidentale, deux mondes tentent une pratique interculturelle, un partage de pratiques et connaissances dans le monde des créations de l’esprit. Poésie autochtone et musique contemporaine sont ainsi réunies. Intitulé Quelque part et autres lieux ce programme est présenté dimanche, 19h, à l’Auditorium de la Grande Bibliothèque.

Ce programme est présenté par Terres en vues, Forestare et le Nouvel Ensemble Moderne (NEM), dans le contexte du  Festival international Présence autochtone, en partenariat avec Bibliothèque et Archives nationales du Québec, et avec la collaboration de la Virée classique de l’OSM.

On parle ici d’un plat de résistance pour ce programme, composée par le Montréalais Tim Brady (Bradyworks, Instruments of Happiness, etc.) :  la création de Uiesh (2019), pour voix et 14 instruments, d’après des poèmes en innu‐aimun de la poète Joséphine Bacon, tirés du recueil Uiesh – quelque part (Mémoire d’encrier, 2018). Avec la soprano inuite Deantha Edmunds, les musiciens et musiciennes du NEM.

PAN M 360  : Les poèmes innus de Joséphine Bacon ont été le point de départ. Que t’a inspiré cette lecture?

TIM BRADY : J’ai aimé le caractère direct du langage, mais aussi la sophistication et la résonance des images.  Les poèmes font aussi souvent référence à la musique – « je chante », « un air mélodique » – et il m’a semblé naturel de les mettre en musique.

PAN M 360  :« De l’oralité à la musique écrite; du geste à la sonorité; du mouvement à la ligne musicale; il est ici question de découvrir l’autre, de s’ouvrir aux sensibilités de chacun et de partager ses richesses. » Que penses-tu de cette présentation officielle?

TIM BRADY : Oui – comme Zappa ou Monk sont réputés avoir dit : « Parler de musique, c’est comme danser sur l’architecture » !  Il est difficile d’articuler précisément ce qu’est la musique et comment elle fonctionne (à part le jargon technique que nous, musiciens, utilisons… mais cela ne va pas plus loin).  Au départ, ce projet consistait simplement à travailler avec le poème de Joséphine. D’artiste à artiste.  Mais il est évident qu’il touche à des questions sociales plus larges, je pense que c’est ce qu’ils essayaient d’obtenir dans la présentation officielle.

PAN M 360  : Qu’y a-t-il à ajouter? Quelle est ici l’idée préliminaire d’un dialogue entre l’expression poétique autochtone et ta musique?

TIM BRADY : J’aime écrire pour la voix, et les poèmes de Joséphine se prêtent vraiment bien à la musique, du moins pour moi. Travailler dans une langue non-européenne était aussi un défi intriguant, cela m’a vraiment forcé à écouter le son de la langue, puisque je n’ai pas accès au sens direct.   En outre, comme beaucoup de Canadiens, je suis de plus en plus conscient de la nécessité de jeter des ponts avec les peuples indigènes du pays et si cette collaboration peut faire partie de ce processus, tant mieux.

PAN M 360  : Quelles ont été les étapes conscientes ou inconscientes du processus créatif?

TIM BRADY : Au fond, l’écriture musicale est très instinctive.  Je m’assois simplement dans mon studio de musique et j’écoute la musique qui apparaît dans ma tête. Je fais cela depuis 42 ans, j’ai donc beaucoup d’expérience et de nombreuses stratégies pour faire avancer les choses, pour aider le processus inconscient.  Mais essentiellement – il faut juste entendre la musique d’une manière ou d’une autre, quelque part. Dans le meilleur des cas, cela ressemble presque à la transcription d’une musique qui existe déjà.

PAN M 360  : Quelle forme générale voulais-tu donner à cette œuvre au départ?

TIM BRADY : Je savais que je voulais faire plusieurs poèmes, mais que la pièce serait jouée en continu. Je voulais que la pièce soit perçue comme un geste unifié et non comme sept courtes chansons. Il y a une certaine intensité dans l’exécution et l’écoute qui vient avec les formes continues que j’aime.  Mais bon, cela dit, j’ai aussi écrit beaucoup de cycles de chansons.  J’essaie de laisser le matériau me dire quoi faire et les poèmes de Joséphine me semblaient mieux adaptés à cette approche plus continue.

PAN M 360  : Comment cela s’est-il développé?

TIM BRADY : La composition du morceau s’est déroulée à peu près comme prévu. Parfois, cela arrive, on ne peut jamais savoir.

PAN M 360  : Comment le choix du NEM et Lorraine Vaillancourt des musiciens de Forestare et de Deantha Edmunds s’est-il fait?

TIM BRADY : Ce projet s’est naturellement mis en place et (pour une fois !), je n’ai pratiquement rien eu à faire avec la programmation ou la production.  J’ai déjà travaillé avec NEM et je connais Forestare (le monde des orchestres à guitares multiples est très petit ! – ie : Instruments of Happiness), c’est donc un accord naturel. Ma pièce n’implique que NEM, la collaboration avec Forestare porte donc sur un programme plus vaste. Lorraine dirige ma pièce avec NEM et Deantha.

PAN M 360  :Comment l’imaginaire musical autochtone rejaillit-il dans la pièce? Quel est en ce sens le rôle de la soliste autochtone (inuite) Deantha Edmunds qui interprétera des mots en innu, qui n’est pas sa langue inuktitut?

TIM BRADY : Je ne fais aucune référence à la musique indigène dans ce travail. J’écris à partir de mon expérience personnelle et j’entends ce que j’entends.  C’est ainsi que j’entends les mots de Joséphine, mis en musique.  C’est aussi simple que cela. Le rôle de Deantha est de chanter les notes et de donner vie aux mots . Le fait qu’elle soit elle-même une artiste indigène ajoute un autre élément à la collaboration, et contribue également à un dialogue culturel sain.

PAN M 360  : Cette pièce est-elle enregistrée ?

TIM BRADY : Ce serait formidable de pouvoir diffuser un enregistrement de la pièce au public, mais faisons d’abord la première avant de planifier la tournée mondiale…. !!!

Quelque part et autres lieux présente également l’ensemble de guitares et contrebasse Forestare

Le directeur musical et fondateur de Forestare, Alexandre Éthier, nous cause en outre des deux pièces au programme exécutées par son ensemble:

Xavier Farías (Chili, 1978), extraits de Arauco; por fuerte, principal y poderosa… (2006), pour guitare flamenco, guitare classique, ensemble de guitares classiques, contrebasse et narration, d’après La Araucana (1569, 1578 et 1589), poème épique espagnol de Alonso de Ercilla y Zuniga, traduit en français moderne interprétés par Forestare. Narration par Andrée Lévesque-Sioui Alexandre Éthier (Canada, 1978).

Garder le feu (2022) pour ensemble de guitares classiques, accompagnant des poèmes de Andrée Levesque-Sioui, tirés du recueil Chant(s) (Éditions Hannenorak, 2021), lus par l’autrice.

PAN M 360 Comment l’exécution de Garder le jeu est-elle construite?

ALEXANDRE ÉTHIER : Francis Brunet-Turcotte, Olivier Labossière et moi-même avons créé l’environnement musical de cette lecture. d’Andrée Levesque Sioui qui a écrit le poème. Elle renoue avec sa langue Wendat qui est une langue perdue que nous pouvons entendre lors de la narration. Notre musique pas une œuvre mais plutôt un accompagnement au texte poétique, y a aucune prétention compositionelle là-dedans.

PAN M 360 : La première oeuvre du collègue chilien Xavier Farias a été déjà jouée plusieurs fois par votre ensemble. Comment l’inteprétation a-t-elle évolué ?

ALEXANDRE ÉTHIER : Notre excution d’Arauco est tellement supérieure aujourd’hui à tous niveaux : le chef, l’ensemble, le texte que l’ai complètement remanié pour qu’il soit compréhensible.

PAN M 360 : Forestare, il faut le rappeler, a toujours été soucieux de diffuser les œuvres de cutures autochtones des Amérique, et ça continue, n’est-ce-par?

ALEXANDRE ÉTHIER : Oui depuis le début on est avec les Premières Nations et peuples autochtones.

PAN M 360 : Il y a donc une partie Forestare au programme, et une autre assumée par le NEM. Aucune interaction entre les 2 ensembles?

ALEXANDRE ÉTHIER : L’année dernière on avait un magnifique projet avec le NEM son ancien directeur artistique Normand Forget … il n’est plus là et le NEM a annulé la suite que le compositeur Andrew McDonald avait initiée avec 3 artistes autochtones, l’an dernier – Quentin Condo, Laura Niquay et Anachnid. C’était une œuvre avec ensemble réduit de Forestare et le NEM, puis on devait poursuivre avec les deux ensembles complets mais… la directrice Lorraine Vaillancourt n’a pas voulu de Forestare et indiqué que le NEM jouerait plutôt l’œuvre de Tim Brady.

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