L’éclectisme savant du compositeur Gyorgi Ligeti lui a longtemps valu la stature d’iconoclaste, d’original ou de franc-tireur de la musique contemporaine. Il n’aimait pas ismes en musique, c’est-à-dire les écoles stylistiques, vecteurs de dogmes rigides. Il préférait utiliser tout ce qui pouvait nourrir son discours de manière expressive et satisfaisante, que ce soit des techniques d’avant-garde strictes ou provenant du folklore comme des musiques populaires et savantes non-européennes. Il serait peut-être irrité de la chose, mais sa vision est devenue la norme aujourd’hui en ces temps de post-modernisme triomphant (un autre isme, vous voyez…).
Cet album magistralement interprété et enregistré témoigne de la richesse et de la complexité de la ‘’langue’’ ligetienne, dès les débuts de son existence. Comme cette redécouverte qu’est le Concerto Românesc, une œuvre de jeunesse en forme d’hommage aux styles populaires de sa Hongrie natale. Un cousin éloigné de la Suite in Old Style de Schnittke ou des explorations folkloristes de Bartok.
Mais les véritables chefs-d’œuvre ici sont les Concerto pour violon et pour piano. Celui pour violon est en cinq mouvements et est une remarquable synthèse de l’histoire de la musique. Des symboles forts servent de points d’ancrage pour illustrer les périodes musicales évoquées (par exemple, la flûte-à-bec et des ocarinas pour le Baroque, les rythmes hachurés pour le hoquetus médiéval, etc.). Mais Ligeti les utilise avec une férocité créative exaltante. Le contraste déstabilisant des accords microtonaux aux ocarinas/flûte-à-bec se superposant aux accents agités des cordes est inoubliable. Faust est impériale dans sa maîtrise du discours, des écueils techniques et de l’expressivité nécessaire au rayonnement de ce monument génial de la musique moderne. Et que dire de l’orchestre de François-Xavier Roth. Une merveille de construction sonore et d’infinitésimales nuances de couleurs et de dynamiques.
Dans le Concerto pour piano, les inflexions rustiques prennent agréablement vie sous les doigts de Jean-Frédéric Neuburger. Roth ajoute sa dose d’épices sonores, très bien exécutés par Les Siècles, dans une prise de son limpide. Une petite merveille de scintillements et de frémissements texturaux dans toutes les sections.
Un excellent album d’introduction à l’Univers de Ligeti, avec des interprètes de tout premier plan.