Jusqu’à l’arrivée de cet album Atma, la disponibilité discographique de la musique pour piano du Polonais Gorecki demeurait incomplète. Voici que le problème est réglé grâce à l’enregistrement ici des Cinq pièces pour deux pianos op.13. Le Canadien Jared Dunn est déjà une sommité de la musique de Gorecki (il sortira un livre sur le sujet, Górecki: The Piano Music, chez Lexington Press), mais l’autorité interprétative monte d’un cran ici avec la présence dela fille du compositeur, Anna Gorecka, au deuxième piano.
Ces cinq pièces de forme sérielle sont un rare exemple de l’exploration de cette technique par le compositeur polonais rendu célèbre par sa magnifique Symphonie no 3, des ‘’Chants mélancoliques’’. La rigueur conceptuelle de cette partition est magnifiée par un excellent sens de la couleur tracé par Dunn et Gorecka.
La Toccata op.2, également pour deux pianos, est un exemple du style percussif, motorique (inspiré de Mossolov) d’une certaine musique est-européenne du 20e siècle, et est rendue avec passablement de puissance par les deux pianistes. Une bonne pièce qui tapoche efficacement.
Le reste du programme est constitué de pièces pour piano seul, toutes jouées avec panache par Dunn. L’univers évoqué est en général assez proche de celui du Concerto pour clavecin, soit un tonalisme rugueux appuyé sur un sens rythmique volontaire, comme chez Chostakovitch. Parfois, on dévie vers plus d’atonalisme, mais voilà un champ d’investigation que Gorecki a rarement exploré dans sa carrière. C’est aussi l’une des raisons qui a valu au Polonais d’être un moment inclus dans la liste des compositeurs ‘’minimalistes’’ (avec Glass et Reich) ou encore ‘’spiritualistes’’ (comme Arvo Pärt). Si quelques pièces chorales et orchestrales peuvent y être vaguement rattachées, Gorecki demeure très à part de ces écoles. Cela est encore plus évident à l’écoute de cette intégrale pianistique dans laquelle très peu d’exemples sont associables aux genres susmentionnés (Lullaby op.9 et Intermezzo pourraient peut-être passer pour des cousines moroses du Für Alina de Pärt).
On découvre plutôt un artiste moderne, au discours immanquablement personnel, et dont la sensibilité de grisaille et de brouillard est splendidement vitalisée par Jared Dunn. Appréciez la densité des Quatre Préludes op.1, l’éclectisme stylistique de From a Bird’s Nest (où le post-webernisme côtoie Chostakovitch et le folklore), la sensualité abstraite des Pièces variées op.52 et la fureur de la Sonate no 1 op.6.
Gorecki’s World of the Piano est un album d’importance et de très haute stature artistique.