Sarah Aristidou est une chanteuse grecque ultra polyvalente mais surtout associée à la musique contemporaine ou aux explorations en marge de la musique classique ‘’traditionnelle’’. En ce sens, elle me fait penser un brin (pas mal) à la Canadienne Barbara Hannigan, que j’adore. J’aime aussi profondément Aristidou. J’avais donc très hâte d’entendre Enigma, album relativement concept où le ‘’mystère de la vie’’ (l’énigme) est exploré à travers toutes sortes de pièces liées thématiquement, voire philosophiquement. Musicalement, le Romantisme, le Modernisme et la musique contemporaine sont sollicités.
Mélanger Messiaen, Rachmaninov, Wölf, Schubert, Ravel et des pièces avant-gardistes dans un même continuum cohérent est une gageure, et il faut avoir toute une personnalité, additionnée d’un sens très précis de l’unité expressive de son répertoire, pour arriver à créer un ensemble qui soit satisfaisant et convaincant. Aristidou y arrive, presque (mais ce n’est pas par manque de personnalité!).
Elle lance cette énigme discographique avec un plat de résistance pas mal exigeant : le Lamento turco d’Andreas Tsiartas (né en 1986). Huit minutes de vocalises aux allures de lamentations, subjugantes et envoûtantes, qui se terminent sur un cri atroce qui pourrait servir de contrepoint aux Litanies de Satan de Diamanda Galas.
Des vocalises aussitôt suivies d’une autre, très célèbre : celle de Rachmaninov. La transition n’est pas convaincante. J’aime les contrastes mais celui-ci semble forcé, plus idéique que musical. D’autant plus que l’on ne sent pas Aristidou investie dans cette pièce. C’est beaucoup trop bonbon pour elle. Sa lecture n’apporte rien de véritablement nouveau et, horreur, elle y fait du pelletage à profusion (pelletage : glisser vers la note plutôt que l’atteindre directement). C’est le seul véritable ratage de l’album.
Pour le reste, on passe de Schubert à Messiaen (magnifique) pour revenir plus loin à Wölf puis Ravel, Messiaen encore et terminer avec Jörg Widmann (monumental Sphinxensprüche und Rätselkanons de 14 minutes, fait de voyelles A et O qui prennent lentement forme, comme l’Alpha et l’Omega). Les Romantiques que sont Schubert et Wölf ne sont peut-être pas aussi transcendants que les plus modernes et les contemporains, mais ils ont du caractère.
En fin de compte, un album appuyé sur une bonne idée initiale, imparfaitement réalisé dans sa finalité, mais contenant assez de moments de grâce pour solliciter votre écoute attentive et la satisfaire en large partie.