Le musicophile bien disposé perçoit d’abord un vent vibrant d’Erevan : c’est l’Arménie en harmonies pour seize cordes, c’est La Bohème du grand Aznavourian transfigurée par quatre chambristes qui n’ont pas froid aux doigts. Après une séquence de cinq chansons de Charles chantées à délicats coups d’archets, le Quatuor Rhapsodie dissèque la science du cœur dans un pot-pourri où défilent des fleurons du romantisme populaire qu’interprétèrent jadis Marc Hamilton (unique Québécois au programme), Mike Brant, Trenet, Montand et Sardou.
La complicité de l’altiste Nayiri Piloyan, des violonistes Amélie Lamontagne et Ana Drobac ainsi que de la violoncelliste Sophie Coderre remonte à l’époque où elles gravissaient ensemble la pente menant à la faculté de musique de l’U de M. Un cinquième de siècle plus tard, leurs foisonnantes feuilles de route couvrent les quatre kilomètres et demi séparant la salle Claude-Champagne de la Maison symphonique. Le Quatuor Rhapsodie naît en 2007 d’un désir de tâter du répertoire populaire. Notre quatuor à tous crins a lancé trois albums et monté moult concerts, dont Pour un flirt, consacré au répertoire dont il est ici question. L’amour et la nostalgie de ces standards quadra-, quinqua- et même sexagénaires, partagés autant par l’auditoire que par les quatre musiciennes, auront incité ces dernières à créer un album.
Avec l’aide de Mark Corwin, qui dirige le programme de musique et enseigne l’électroacoustique à l’Université Concordia, Sophie, Ana, Amélie et Nayiri ont enregistré neuf blocs de versions instrumentales. Outre les deux susmentionnés, on a un Delpech-Dutronc-Hardy-Aznavour, un Piaf, un Legrand, un Fugain, un Bécaud, un Dassin et un Aznavour en rappel. Nous ne saurions estimer le potentiel harmonique qu’ont ces œuvres, mais force est de constater que le raffinement des arrangements pour quatuor à cordes de Nayiri Piloyan – et de ceux d’Amélie Lamontagne pour Fugain – infirment encore plus l’affirmation de Gainsbourg selon laquelle la chanson n’est qu’un art mineur. Un total de 77 minutes bien tassées de chansons de chambre s’offrent au musicophile.
Une rhapsodie en bleu, blanc et rouge donc, par un quatuor de pointe qui sait que pour faire lever le party, vaut mieux miser sur Delpech, Dutronc, Dassin et Piaf que sur Górecki, Glass, Reich ou Kurtág.