C’est avec beaucoup de joie, je dois l’avouer, que je porte ici à votre attention un album mettant en vedette l’Orchestre symphonique de Terre-Neuve. Les enregistrements de cet ensemble, et de n’importe quoi ou presque provenant de cette province, sont plutôt rares. Raison de plus de parler de celui-ci car on y trouve quelques plages de belle qualité.
Quatre des cinq œuvres au programme sont canadiennes. Angmalukissa est un mot qui signifie ‘’rond’’ ou ‘’cercle’’ en inuktitut. Il s’agit d’un cycle de quatre chansons qui évoquent différentes itérations de cercles : ondulations dans l’eau, cercles concentriques à l’intérieur d’un arbre, ondes circulaires sonores, structure en spirale d’un igloo. La compositrice Deantha Edmunds, également soprano (et première chanteuse classique inuk), crée des atmosphères placides et méditatives dans une écriture tonale où les cordes servent de coussin généreux pour la voix (elle-même). Son vibrato plutôt épanché en rebutera peut-être quelques-uns, mais elle sait transmettre la tendresse et la poésie inhérentes aux textes. Edmunds a remporté plusieurs prix à Terre-Neuve et Labrador et a chanté, entre autres, devant le Pape François en 2022 lors de la cérémonie où ce dernier a officiellement demandé pardon au nom de l’Église pour les torts faits aux Inuits par les pensionnats.
Le Québécois Serge Arcuri, décédé le 27 juin dernier, est bellement représenté par Épisodes pour violon et petit orchestre, une partition envoûtante qui reprend la structure du concerto grosso baroque tout en lui insufflant une tension dramatique moderne. Belle lecture de Mark Fewer au violon, qui dirige aussi l’orchestre.
Robert Carli est plutôt connu pour son travail à la télévision et au cinéma, mais il s’adonne également à la chose musicale contemporaine, genre concert. Il a écrit B-A-C-H une suite en quatre mouvements, dont chacun, de toute évidence, est basé tonalement sur la lettre correspondante du nom du célèbre compositeur. Seul le 3e mouvement (C) est joué ici. En plus de la référence tonale (mais traitée de façon élargie), Carli malaxe des éléments thématiques tirés des Concertos brandebourgeois de Bach. Fewer est encore le soliste pour une partition tout en douceur, sorte d’élégie introspective où le violon plane délicatement au-dessus d’un orchestre presque immobile, impassible. Très joli.
Matt Brubeck est Étasunien, plus jeune fils de Dave. Le jazzy The Simple Life est joué dans un arrangement d’Andrew Downing par Fewer, qui swingue doucement sur les cordes de l’orchestre. Un agréable et raffiné changement d’atmosphère par rapport au reste du programme.
Jaroslaw Kapuściński est un Polonais qui a vécu et travaillé un temps à Montréal et composé la pièce-titre de l’album, Alikeness, en 2015 pour le St Lawrence Quartet et la percussionniste Aiyun Huang. Celle-ci reprend du service dans cet arrangement étoffé, signé Yoshiaki Onishi, pour orchestre à cordes. Alikeness est inspiré de la série de papiers dècoupés intitulée Jazz d’ Henri Matisse. Bien que le titre le laisse penser, très peu d’inflexions véritablement jazz ne transparaissent dans la musique. Il s’agit plutôt d’un jeu de contrastes très délicat entre les percussions de Huang et les cordes. Évocatrice de décors tour à tour mystérieux, inquiétants, amusants ou méditatifs, la partition mérite l’attention des mélomanes. Encore une fois, le jeu des cordes du Newfoundland Symphony Orchestra Sinfonia est de très bonne tenue, dans un répertoire généralement peu exigeant question technique. Qu’à cela ne tienne, un enregistrement bienvenu dans le panorama de la musique canadienne d’aujourd’hui.
Bravo au label Leaf pour oser ce genre de projet.