Je n’avais pas pu aller au récital de Marc-André Hamelin chez Pro Musica en mars 2023, alors qu’il donnait la monumentale Sonate ‘’Hammerklavier’’ de Beethoven. Je le regrette car d’éminents collègues en ont dit le plus grand bien, certains étaient même dithyrambiques. Cette sortie Hyperion est-elle une fidèle captation de l’esprit du concert susmentionné? Difficile à dire, bien entendu, surtout que l’album a été enregistré quelques mois plus tard, et à Londres. Mais bon, la ‘’vision’’ de l’œuvre ne doit pas avoir profondément changé, du moins on peut le présumer. Puis, en ce qui concerne la qualité technique de l’interprétation, aucun souci sur la cohérence et la constance de Hamelin, bien sûr.
Bref, peut-on être dithyrambique face à cette sortie discographique? On peut certainement parler d’excellence. On peut parler de clarté absolue dans le propos pianistique, dans la caractérisation des voix, des thèmes et de l’architecture complexe de ce monumental édifice musical. On peut parler d’une lecture remarquable à bien des égards. Mais on peut aussi dire qu’elle ne sera pas au goût de tout le monde, surtout des plus connaisseurs, ceux et celles qui recherchent la transcendance, l’indescriptible expérience spirituelle supposée immanente à toute musique sublimée par un regard incarné.
Je me suis permis de faire la comparaison avec une version reconnue comme indispensable, celle de Sviatoslav Richter. Si vous écoutez mouvement contre mouvement chacune des versions, vous ressentirez probablement la plénitude de la version Richter, son ampleur émotionnelle qui ne souffre jamais d’épanchement, cela dit. L’adagio géant en est la preuve absolue. Chez Hamelin, on remarque plutôt une focalisation (superbe) sur la luminosité projetée vers ce corps musical grandiose, comme passé aux rayons X. C’est d’une concentration affective parfaite qui révèle des tonnes de détails fascinants. Puis, du coup, de nouvelles émotions. C’est tout à fait exceptionnel, mais c’est tellement différent de l’autre que là, il faudra choisir entre l’une et l’autre, si vous êtes idéaliste, ou encore accepter les deux, si vous êtes plutôt hédoniste, comme moi.
Comme une gâterie, Hamelin ajoute la Sonate en do majeur op.2 no 3 qu’il fait passer au même scanner réfléchi. Cette sonate qui trahit encore les accointances haydniennes initiales de Beethoven, profite très bien du regard perçant de Hamelin, pas du tout dénué de bienveillance et même de tendresse ici et là.
Un album qui fera date, pour toutes sortes de raisons, sans pour autant faire l’unanimité.