Les légumes ont-ils une vie sexuelle? D’après l’autrice Lorna Crozier, qui a rédigé une quinzaine de textes pour autant de représentants de la gent potagère, oui, certainement. Mais préparez-vous à être étonnés par les descriptions truculentes, aussi drôles qu’allégoriques, et parfois assez crues (jeu de mots intentionnel…) de la chose chez les carottes, radis, patates, artichauts, tomates, etc, et même quelques intrus comme les melons. À preuve, quelques morceaux choisis :
Carottes :
Carrots are fucking
the earth. a permanent
erection, they push deeper
into the damp and dark
Artichauts :
Artichokes never
take off their clothes.
They want seduction,
melted butter….
Melons :
It is waiting for you
to rap on its door
waiting to give you
a juicy hello
smack!
right on the lips
a kiss so sweet
you’ll keep coming back
for more
Pour accompagner ces ébats, véritables fantasmes véganes, la compositrice de Vancouver Leslie Uyeda a revêtu sa plume de sonorités adaptées au caractère particulier de chaque légume, du moins selon l’interprétation de la poète. On passe de la sensualité épanchée à la bizarrerie rigolote à travers une écriture moderne tonale élargie, colorée, inventive et relevée. C’est accessible et ça ne manque jamais d’humour, reflétant ainsi la nature même des textes. On s’amuse ferme (jeu de mot involontaire) à découvrir les dessous affriolants de ce jardin maraîcher olé olé, et on apprécie pleinement cette prose simple et imagée. J’aurais aimé dire que l’interprétation vocale est à la hauteur du génie souriant de Crozier et communicatif de Uyeda, mais le vibrato très large (comme une citrouille?) de la soprano Heather Pawsy, finit par lasser. C’est dommage car une voix plus agile pourrait rendre ces petits bijoux encore plus délectables.
Également au programme, quatre autres textes de Crozier tirés de Apocrypha of Light, qui parlent de femmes qu’on a longtemps fait taire et auxquelles le monde moderne doit redonner la parole. The First Woman (pensez à Ève) ose faire chanter le viol via l’art lyrique, preuve que le monde à évolué au point de pouvoir affronter une telle mise en scène. La musique de Uyeda est plus sérieuse que pour les légumes, on le devine. Elle est toutefois construite d’une aussi belle façon, très sensible aux inflexions du texte. L’album est complété par I Cherish and Honor My Mother, une pièce pour piano de quelque huit minutes en hommage à la mère de la pianiste Rachel Kiyo Iwaasa.
C’est le premier album complet à présenter la musique de Leslie Uyeda, apparemment. On en veut d’autres.