Si vous appréciez la musique archi dépouillée de Morton Feldman, vous aimerez probablement celle de la Canadienne Emilie Cecilia LeBel. La compositrice basée en Alberta utilise le piano un peu de la même façon que l’États-unien : des phrases très courtes, composées de trois ou quatre accords successifs, répétés inlassablement en subissant d’infimes transformations au cours de plages très étendues (ici, deux pièces, chacune faisant plus de trente minutes). Cela dit, il y a quelques différences : LeBel utilise des harmonies chromatiques mais sensiblement plus euphoniques que Feldman. L’effet est moins celui d’un microcosme étrange, grouillant doucement sous l’œil d’un passant (Feldman), qu’un paysage placide, quasi immobile, invitant l’introspection et la contemplation passive. L’autre différence, du moins dans ces deux pièces (intitulées respectivement Ghost Geography et Pale Forms in Uncommon Light) est que LeBel ajoute au piano un EBow drone, un appareil utilisé habituellement par les guitaristes électriques. Le EBow émet un champ électromagnétique qui entretient la vibration des cordes, créant un son continu, un drone, évoquant le frottement d’un archet.
Mon impression entièrement subjective est que le résultat est très différent dans les deux pièces. Dans Ghost Geography, le drone est de relativement basse fréquence, et sert de coussin subtil à la musique. Au contraire et pour une raison qui m’échappe, dans Pale Forms in Uncommon Light, la fréquence est plus aiguë et franchement irritante. J’imagine que quelqu’un d’autre pensera différemment. Wesley Chen (Ghost Geography) et Luciane Cardassi (Pale Forms in Uncommon Light) sont les pianistes qui s’acquittent bien de leur tâche, dans des partitions qui ne sont pas techniquement difficiles, mais qui réclament une concentration soutenue.
Un album de musique évanescente dans la veine du Minimalisme feldmanien.