Il y a quelque chose de la comédie musicale ou de l’opéra jazz dans ce Poetry Project, qui est le premier album studio du Canadien D.D. Jackson depuis 2007! Un long hiatus pendant lequel le pianiste et compositeur n’a pas chômé : il a composé des partitions pour l’écran, tenu une chronique régulière dans DownBeat, enseigné, écrit des œuvres ‘’sérieuses’’, etc. Poetry Project est donc un retour à la chose discographique et quel retour est-ce! L’ensemble des 13 pièces du programme sont étroitement liées par le recours à autant de textes de poètes canadiens contemporains. Si les pièces qui en résultent ne sont pas toutes égales en intérêt et en force dramatique, il y a plusieurs moments de grande beauté et de puissance émotive, appuyés par une écriture raffinée qui fusionne élégamment jazz, classique et chanson populaire.
Dans les morceaux les plus prenants, Jackson dessine des lignes mélodiques fortement lyriques qui semblent puisées dans quelques airs anciens de nature folklorique et habillés par un grand compositeur romantique du 19e siècle. Je pense ici à Mavety Street, I Call et Deadalus Lament qui sont superbes. Mais attention, selon le propos illustré, Jackson plonge également dans le blues (Fuller Terrace, On Silence, Coda the Blues), dans le rock (Daylight Shooting in Little Italy), la musique atonale (Alternating Current) et le free jazz (So, Say I, impressionnante avec le scat électrique de Yoon Sun Choi!). Des élans dignes de Broadway et de la pop habillée de Rufus Wainwright sont aussi perceptibles dans Because You Squeezed Back et The Father’s Dream. Tout n’est pas égal, je l’ai dit. Par exemple, si le chorus de Daylight Shooting in Little Italy est accrocheur, le reste du développement n’attire pas le même intérêt. Puis, même si les chansons type ‘’Broadway’’ sont bien tournées, le traitement et le style vocal utilisés font un peu Disney musical. Rien de mal à cela par principe, mais plusieurs trouveront le résultat cheezy.
Heureusement cela n’enlève que peu de valeur à la qualité générale de l’ensemble, assurée par l’écriture resserrée de Jackson. Finalement, les incartades moins convaincantes finissent par être subordonnées à l’aspect dramatique et théâtral des affects exposés et qui demeurent au centre de l’expression. En vérité, Poetry Project ressemble à un opéra/comédie musicale jazz qui ne dit pas son nom. Jackson n’est d’ailleurs pas étranger à l’exercice, lui qui a déjà composé deux ouvrages du genre, Québécité, et Trudeau: Long March/Shining Path.
Le compositeur s’est entouré d’un large aréopage d’interprètes aguerris et affinés, tels Larnell Lewis (Snarky Puppy) à la batterie, George Koller à la contrebasse, Jane Bunnett au sax soprano, Laila Biali à la voix, et un paquet d’autres.
Un retour très classe pour un grand artiste canadien que l’on avait un peu perdu de vue.