Georges Bizet n’est pas que le compositeur de Carmen ou des Pêcheurs de perles. Pour la voix, il a aussi écrit 63 chansons (‘’mélodies’’ en langage de musique classique française) qui utilisent plusieurs sources littéraires, de Victor Hugo à Lamartine en passant par Théophile Gautier et Alfred de Musset. La facilité mélodique de Bizet, qu’on connaît déjà dans ses célèbres opéras, est tout aussi vivante dans ces petits bijoux de quatre ou cinq minutes, en moyenne. Je parie très fort que vous serez immédiatement séduits par les adorables Chants des Pyrénées, qui rappellent un peu les Chants d’Auvergne (écrits bien plus tard) de Canteloube. Les pièces de jeunesse qu’on y retrouve (sept au total) sont aussi irrésistibles de simplicité délicate et naïve, mais imprégnée d’un raffinement qui les maintient bien au-delà de la simple ritournelle populaire. Et puis les plus étoffées Feuilles d’album, Vingt mélodies op. 21, ou les Seize mélodies publiées 10 ans après la mort de Bizet, anticipent un peu plus manifestement le style à venir des grands mélodistes de la fin du 19e et début 20e. Deux pianos historiques s’échangent l’accompagnement : un Pleyel 1835 (pour les pièces de jeunesse) et un Erard 1898 pour les autres.
C’est un ensemble mémorable, qui plus est bonifié de huit pièces inédites et plusieurs autres qui, bien qu’éditées, n’avaient jamais jamais été enregistrées. Dans les inédites, notons une magnifique adaptation d’un air de l’Arlésienne, qu’on ne connaissait pas sous cette forme, et une étonnante pièce d’enfance, Ah ! Qu’elle est belle à voir.
Victorin Joncières (compositeur contemporain de Bizet) qualifiait ces exquises miniatures de ‘’merveilles de grâce et de goût’’, alors que Ernest Reyer (critique et compositeur) disait que ce sont de ‘’petits drames lyriques ciselés avec un art des plus délicats’’. L’homme de théâtre Bizet savait tracer la ligne très fine entre l’émotion sincère (et directement exprimée) et l’affectation maniérée, refusant de traverser vers la seconde. Le résultat est toujours convaincant, même si parfois un brin suranné.
Les solistes sont excellents, en particulier le ténor Cyrille Dubois (qui est, j’ose dire, parfait) et la mezzo Coline Dutilleul, dont la couleur et le timbre très fin apportent une belle légèreté à ses interventions. La qualité de la diction est remarquable. On ne perd aucun mot, ce qui renforce la saveur de la musique de Bizet, qui a choisi ses textes avec soin. Guilhem Worms est un baryton-basse efficace, qui guide les pièces les plus dramatiques avec force. La seule exception, pour ma part, est celle de Marianne Croux, dont le vibrato est parfois trop lourd, ce qui atténue la beauté toute simple des mélodies qu’elle a choisi d’interpréter.
Les deux pianistes, Luca Montebugnoli et Edoardo Torbianelli, apportent la couleur nécessaire à l’accompagnement, ainsi que le caractère salonnier idéal.
Le livret accompagnateur est un chef-d’œuvre d’érudition accessible et de mise en contexte historique. Bravo aux partenaires de ce projet : Les Amis de Georges Bizet, Harmonia Mundi et le Palazzetto Bru Zane
Cette intégrale, la première à vie pour les mélodies de Bizet, est une merveille de joliesse finement tissée et dès maintenant, une collection essentielle à tout mélomane et adepte de la mélodie française qui se respecte.
À découvrir également : les mélodies de Gabriel Dupont par Cyrille Dubois