Question de se mettre le concept en bouche, commençons par un autre exemple s’inscrivant dans cette même lignée de l’actualisation artistique des archives sonores. Inspiré par le legs de la culture Wolastoqey , le chanteur et compositeur Jeremy Dutcher avait bonifié des enregistrements sur le terrain de la nation autochtone dont il est issu – effectués par un ethnologue blanc au début du 20e siècle. Plus précisément, il avait sélectionné les mélodies vocales originelles pour en faire de nouvelles œuvres dans le plus grand respect – prolongements harmoniques, mélodiques et rythmiques, usage de fréquences de synthèse et d’instruments acoustiques ou électriques. Ce qui lui valut le Prix Polaris, rappelez-vous.
Ce qui nous mène au cas qui nous occupe, soit une autre excellente intégration créative à partir de matériaux d’archives. Contrebassiste de formation, multi-instrumentiste et réalisateur à l’évidence, Cédric Dind-Lavoie ne crée pas de nouvelles chansons, ne propose aucune voix moderne dans cette démarche. Il a plutôt sélectionné 13 enregistrements de musiques et chants traditionnels, réalisés au cours des années 40 et 50. Ces voix sont criantes de vérité, on est frappé par le grain, les inflexions, les accents d’autrefois. Tout ça est chargé de sagesse paysanne ou prolétarienne, à l’image du peuple canadien français d’avant la Révolution tranquille. Cela dit, l’intérêt de cette écoute tient davantage aux émotions ressenties à travers les textes et les airs de ces archives triées sur le volet.
Les solistes de cet album sont les ancêtres disparus que furent Benoît Benoît, Joseph Larade, la famille Brideau, Alphonse Morneau, Jeanne Savoie, Azade Benoît, Alfred Arsenault, Édouard Sanschagrin, Harry Poitras – enregistrements tirés de collections de folkloristes chevronnés, tels Simonne Voyer, Roger Matton, Luc Lacourcière.
Choix judicieux du réalisateur, ces enregistrements conservent leur friture, leurs aspérités et leur substantifique moelle. Sciemment, on ne les pas nettoyés pour qu’on en ressente le lointain passé. Autour de ces mélodies Cédric Dind-Lavoie construit de superbes compléments harmoniques inscrits dans une dynamique actuelle – classique moderne ou contemporaine, jazz. Ainsi, il parvient à faire revivre ces mélodies spectrales au moyen de fines techniques d’enregistrement, tout en conservant une lutherie acoustique– contrebasse, guitare, harmonium, piano droit, Marie-Pierre Lecault au violon et à la mandoline. Voilà une contribution marquante pour la planète trad en 2021.