Dans le métal et ses divers sous-genres, les emprunts à l’œuvre de Howard Phillips Lovecraft sont légion. À un point tel, en fait, qu’une liste des formations qui ne se sont pas inspirées de l’ermite de Providence tiendrait sur quelques lignes. On notera également que plusieurs créateurs non affiliés à la gent métallique ont puisé dans le fonds lovecraftien au fil des décennies, dont le très récemment disparu Vangelis, le prolifique et éclectique John Zorn, les vénérés post-punks The Fall, les bruyants Swans et les impayables Wampas. Fin mai 2022, voilà que les innovateurs black-métal du quatuor français Blut aus Nord nous proposent un recueil intitulé Disharmonium – Undreamable Abysses. Que les musicophiles québécois de 60 ans et plus se détrompent : il ne s’agit pas, tant s’en faut, d’un album de reprises en anglais des hymnes du célèbre ensemble de Serge Fiori. Il s’agit plutôt, comme le dit la deuxième portion du titre de l’album, d’une descente dans l’indicible.
Les sept pièces, qui durent en moyenne six minutes trente, correspondent toutes au qualificatif « cyclopéennes ». Le guitariste, chanteur et chef de cordée Vindsval, le bassiste GhÖst, le batteur Thorns et le claviériste et percussionniste W.D. Feld invoquent « Ceux des profondeurs » dans Chants of the Deep Ones, fixent Neptune (sans doute la planète, pas le dieu romain de pacotille) dans l’œil dans Neptune’s Eye, font une promenade en forêt qui n’a rien d’un pique-nique dans Into the Woods, nous font rencontrer une sorcière interdimensionnelle dans Keziah Mason… Cette escapade dans l’esprit de l’inventeur du Necronomicon réserve au musicophile encore d’autres découvertes.
De fait, l’imaginaire de H. P. L. n’est pas près de tomber en désuétude, bien au contraire : 85 ans après le décès de cet auteur singulier, sa théogonie et ses récits continuent de faire des adeptes lecturophiles et de se transvaser massivement au cinéma, dans les jeux vidéo et en musique. Les quatre musiciens de Blut aus Nord, êtres intelligents et de bon goût qui n’ont jamais succombé aux excès typiques du black-métal, mettent judicieusement à profit ce legs littéraire. Disharmonium – Undreamable Abysses fonctionne comme une trame sonore à l’innommable selon Lovecraft, à grands coups de boutoir sur les grosses caisses, puis au moyen d’effets de réverbération ou de flange, de chœurs gutturaux et indéfinissables, d’harmonies inextricables, de basse bouillonnante et de cors cauchemardesques. Depuis plus d’un quart de siècle que Blut aus Nord enrichit son black-métal de composantes industrielles, bruitistes, ambient ou psychédéliques. Après une quatorzaine d’albums, le groupe continue de pousser sa recherche jusqu’aux confins de l’Outre-Son.