Ben Shemie, guitariste et chanteur mieux connu comme partie prenante essentielle du clan art-rock montréalais Suuns, a des racines classiques assumées. Son influence sur Suuns laisse bien paraître cette sapience sérieuse. Desiderata est un album solo, du moins en tant que seul créateur sonore affiché, dans lequel Shemie pousse plus loin encore l’exploration des capacités texturales de manipulations digitales faites de fractures, d’étirages, de saturation et de découpage. Il ajoute en complément des pages écrites pour un quatuor à cordes, ici le plus qu’excellent Molinari. On aime particulièrement les passages où ce dernier se fait choeur grec d’un drame aux dimensions augmentées. Ailleurs, le Molinari sert de soutien matelassé aux aspérités exploratoires numériques de Shemie, ou encore, il commente et s’aventure sur le terrain d’un chaos discursif contrôlé. Shemie peint un panorama fait d’étrangeté et d’entropie, ces dernières retenues dans leur inflexible poussée désordonnée par la force structurante d’une vision narrative précise. On s’imagine un peu sur Dune ou dans Tron, mais vus à travers une série de miroirs fêlés et déformants où une trame sonore sur un lecteur cassette défaillant jouerait quelque hommage au No Wave ou à du Krautrock planant. Bien entendu, on est jamais très loin de Suuns non plus.
Cela dit, et malgré une présence notable du Molinari, j’aurais tout de même apprécié que Shemie ose encore plus avec eux. Ces musiciens sont parmi les meilleurs au monde. Il faut leur envoyer des défis, ils sauront les relever sans souci! Mais bon, je suis peut-être gourmand, et puis qui sait, Shemie aura peut-être envie de leur octroyer l’insigne honneur d’être les seuls dédicataires et interprètes d’une future composition? On le souhaite. En tout cas, voici une porte ouverte sur un monde potentiellement rafraîchissant de la musique dite contemporaine, un monde où on oubliera enfin qu’on a trop longtemps érigé des barrières aliénantes entre des genres appelés d’un côté ‘’savant’’ et de l’autre ‘’rock’’, ou ‘’électro’’.
À propos de Ben Shemie, ailleurs sur Pan M 360 :