D’origine pakistanaise et transplantée à Brooklyn, la douée compositrice et chanteuse Arooj Aftab a développé un art hybride, actualisé et très personnel, certes inspiré du qawwalî soufisme chanté à l’indienne et surtout du ghazal, un stytle oriental évoquant l’amour, la perte, la mélancolie mais aussi une quête mystique d’élévation. Depuis près de 10 ans, elle a enregistré les albums Bird Under Water (2014) Siren Islands (2018) et Vulture Prince (2021), la voici au centre d’un trio avec le brillantissime claviériste, improvisateur et compositeur Vijay Iyer (d’origine indienne mais né aux USA) et le multi-instrumentiste Shahzad Ismaily (d’origine pakistanaise), en résulte cet excellent Love in Exile qui vient de paraître.
On devine qu’Arooj Aftab, à l’instar de ses éminents collègues, a écouté les enregistrements historiques de la fusion du jazz et de la musique indienne côté Miles Davis et tout ce qui s’en est suivi au domaine de cette fusion entre jazz et musiques classiques indiennes – écoutez d’abord Get Up With It (équipe de 1972) , la compilation Miles From India (2008), côté Shakti à la fin des années 70 (John McLaughlin, L. Shankar, Zakir Hussain, Vikku Vinayakram). Un demi-siècle plus tard, ces formes n’ont cessé d’évoluer dans le sud du continent asiatique mais encore des musiciens indiens et pakistanais transplantés en Occident ont-ils poursuivi la démarche. Interprétées par Arooj Aftab en ourdou (la langue des Indiens et Pakistanais musulmans) ces musiques d’un calme contagieux sont interprétées sur des tempos très lents.
Le bourdon (drone) typique des musiques indiennes est ici actualisé par le remplacement de l’harmonium traditionnel par des synthétiseurs et le Fender Rhodes, ce qui permet de facto des improvisations circonspectes de Vijay Iyer et Shahzad Ismaily, aucunement axées sur la performance dans le cas qui nous occupe. Ces nappes de claviers et de fréquences synthétiques enrichissent ainsi ce vocabulaire minimaliste et classique de l’Asie méridionale auquel on juxtapose des harmonies jazz et classiques occidentales. Qui plus est, cette approche ambient offre un équilibre remarquable entre musiques électroniques, instrumentales et vocales, ce qui reste toujours très difficile à atteindre. Pour se calmer, respirer par le nez et réajuster son équilibre intérieur, voilà une musique on ne peut plus appropriée.