Vous me direz qu’avec l’hiver qui sévit, vous avez plus ou moins envie d’entendre parler de glace, et qu’elle est arrivée bien assez tôt sur nos routes. Je vous répondrai cependant qu’on est aussi bien d’en profiter pendant qu’il y en a encore…
Le film de Philippe Baylaucq raconte « l’histoire » de la glace, depuis le début des temps jusqu’à aujourd’hui et des confins de l’univers jusqu’au fond des mers. Le réalisateur a l’habitude du format 360°, ayant déjà conçu quatre films pour le dôme du Planétarium Rio Tinto Alcan, et ça paraît; il manie le genre avec aisance et fluidité. L’immersif a la cote par les temps qui courent, mais rendons à César ce qui est à César : avant la Satosphère, et même avant celui qui se trouve à l’Espace pour la vie, dans l’est de la ville, il y a eu le Planétarium Dow, dès… 1966 ! C’est dire qu’il y a ici de l’expérience dans la présentation de ce type de production, assez pour qu’on se sente littéralement transporté ailleurs, entièrement absorbé par les images projetées sur le dôme et la bande sonore qui les colore.
La musique de Robert Marcel Lepage, interprétée par la violoncelliste Sheila Hannigan et les multi-instrumentistes Pierre-Yves Martel et Jean Derome, colle parfaitement au propos du film et appuie efficacement le discours de la narratrice, Beatrice Deer – sa langue maternelle est l’inuktitut, mais elle prête sa voix aux versions anglaise et française du film, et nous offre aussi quelques chants de gorge. Le travail du concepteur sonore Benoît Dame et les bruitages de Stéphane Cadotte, complètent un habillage sonore tout aussi luxuriant que sa contrepartie visuelle. On flotte entre les planètes, au côté du télescope James-Webb, au milieu des anneaux gelés de Saturne ou entre les geysers de sa lune Encelade, on plonge sous les glaces de l’Arctique et on escalade des glaciers. Ça fait un sacré voyage en 34 petites minutes !
Le tour de force artistique qui se déploie devant nous arrive presque à nous faire oublier les faits (le scénario s’appuie sur les conseils d’une bonne douzaine de « scientifiques de la glace ») qui décrivent ni plus ni moins l’apocalypse dont nous sommes les artisans, un destin auquel les négociateurs de la COP15 n’ont pas l’air d’être partis pour changer grand-chose.
Mondes de glace
Conception, scénarisation, réalisation : Philippe Baylaucq
Production : ONF et le Planétarium Rio Tinto Alcan
Un film 360° | 2022 | 34 min 10 sec
Au Planétarium Rio Tinto Alcan
4801 Av. Pierre-De Coubertin, Montréal
Quelques suggestions pour poursuivre le voyage…
Matthew Burtner: Ecoacoustics of glaciers
Ravello Records/Naxos, 2019
Plusieurs peintres ont immortalisé le glacier Muir, en Alaska, à la fin du 19e siècle (voir, par exemple, Muir Glacier de Thomas Hill, 1887). En 2009, le glacier avait disparu. La musique électroacoustique et instrumentale de Burtner, très méditative, est inspirée de cette disparition.
Christine Ott & Torsten Böttcher: Nanook of the North
Gizeh Records / Kompakt.FM, 2019
Une musique créée pour accompagner le film éponyme de Robert Flaherty. Piano et percussion en mode contemplatif, pour évoquer les immensités enneigées du Nord.
Alexina Louie: Take The Dog Sled
Centredisques, 2020
Une pièce d’une vingtaine de minutes commandée en 2008 par l’OSM à la compositrice canadienne Alexina Louie, « pour chanteuses de gorge inuites et ensemble ». Elle est interprétée par le Esprit Orchestra sous la direction d’Alex Pauk, avec le concours de deux chanteuses originaires du Nunavik, Akinisie Sivuarapik et Evie Mark. La pièce imagine une rencontre entre les cultures inuite et occidentale.
Christos Hatzis: Going Home Star
Centredisques
Une très grande œuvre du compositeur canadien Christos Hatzis qui convoque Stravinsky, Steve Reich, des éléments d’électroacoustique et même la chanteuse bionique Tanya Tagaq pour construire quelque chose comme une superproduction sur le thème « vérité et réconciliation ». Livrée par l’Orchestre symphonique de Winnipeg sous la direction de Tadeusz Biernacki, la musique était celle d’un ballet présenté par le Royal Winnipeg Ballet. On aurait bien aimé voir ça.
Jana Winderen: Energy Field, 2010
La compositrice norvégienne Jana Winderen photographie les écosystèmes marins avec des micros. Avec les sons qu’elle recueille, elle peint des paysages sonores plus vrais que nature. Un peu à la manière du Luc Ferrari de « Presque rien », elle créé de nouveaux espaces qui ont un fort potentiel nostalgique.
Ralph Records, 1979
Pour relâcher la pression avec un côté un peu plus déjanté de l’imaginaire du Nord. Le vent souffle sans arrêt sur les grandes étendues blanches et les quatre célèbres inconnus chantent en langue inventée les récits de mythes dont ils ne comprennent rien.