Zachary Richard : l’air et l’harmonie

Entrevue réalisée par Luc Marchessault
Genres et styles : americana / cajun / chanson / folk / folk de chambre

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Il y a cinquante ans, à l’université Tulane de La Nouvelle-Orléans, un jeune Cadien décrocha un diplôme en histoire avec très grande distinction. Il décida ensuite d’enseigner cette matière mais à sa manière, avec pour outils ses mots, sa voix, son accordéon et sa guitare. Tout le monde connaît la suite, c’est-à-dire le parcours d’exception de Zachary Richard, de son Bayou des mystères en 1976 à aujourd’hui. Après avoir pris part à un concert de l’Acadiana Symphony Orchestra & Conservatory of Music à Lafayette, en décembre 2016, l’auteur-compositeur-interprète, activiste culturel, environnementaliste et poète s’est mis en tête d’orchestraliser ses chansons. Cinq ans et quelques mois plus tard, c’est chose accomplie. Pan M 360 a eu la chance d’en jaser avec lui.


Pan M 360 : Tout d’abord, bravo pour votre œuvre et pour Danser le ciel, ce nouvel album très réussi. Vous aimez observer les oiseaux migrateurs, comme vous l’écriviez dans votre Presqu’Haiku des outardes (NDLR : du recueil Faire récolte, Éditions Perce-Neige, 1997). Vous nous revenez au printemps, un peu comme eux!

Zachary Richard : J’avais pris un peu d’avance; j’avais le printemps dans ma valise, mais il été confisqué à la douane.

Pan M 360 : Vous aviez encore un peu de travail à faire sur l’album?

Zachary Richard : On avait fini le mixage et le matriçage l’an dernier, à distance. Donc tout va bien.

Pan M 360 : Vous avez cité Debussy, Satie, Ravel et Stravinski comme inspirateurs pour l’orchestration de vos pièces. Ils tentaient, tous les quatre, de représenter la nature dans leurs compositions. C’est beaucoup ce que vous faites, non?

Zachary Richard : Je ne suis pas un grand connaisseur de musique classique, mais j’aime ça. Surtout le début du XXe siècle, avec les compositeurs que vous venez de citer. C’est évident qu’il y a quelque chose dans cette recherche harmonique qui m’interpelle. C’est la référence que j’avais donnée à l’arrangeur, Boris Petrowski. On est allés là-dedans avec brio. Je ne voulais pas juste ajouter un peu de sucre à mon café; je voulais vraiment faire une aventure musicale, dans des terrains qui sont pour moi un peu inconnus, mais qui m’intéressent tout à fait. Je suis séduit par ces compositeurs et leur musique très soyeuse. C’est le carré de sable dans lequel on est allés jouer.

Pan M 360 : Sur Danser le ciel, on entend donc des versions orchestrales de chansons bien connues ici, mais d’autres moins, notamment Sunset on Louisianne et Côte Blanche Bay. On espère que ça fera redécouvrir au public le formidable album dont ces deux pièces proviennent, Snake Bite Love, paru en 1992. Ces chansons, vous les avez quand même faites en concert au Québec, au fil des ans?

Zachary Richard : Oui, mais ma carrière est un peu schizophrénique : j’ai un public américain qui est essentiellement louisianais. Pour lui, je chante surtout en anglais. Pour le public québécois, c’est le contraire. En faisant Danser le ciel, il fallait quand même que j’y intègre des chansons de langue anglaise, puisqu’elles représentent presque la moitié de mon répertoire. J’ai choisi ces deux pièces parce que ce sont celles qui ont résonné le plus auprès du public louisianais. L’une fait l’éloge de la nature et évoque sa perte, puis l’autre est un hymne de corsaires, de pirates, c’est une histoire très très romantique de la Louisiane.

Pan M 360 : My Louisanne est une chanson inédite, composée et écrite par vos amis Tommy Delhomme et Steve Camos, de Scott en Louisiane. On sait que Tommy est musicien, ainsi que maître charpentier. Ça pourrait devenir la chanson officielle de la Louisiane, comme Georgia on my Mind pour la Géorgie!

Zachary Richard : On verra bien, je n’ai pas cette prétention-là mais who knows! Quand Tommy et Steve m’ont présenté cette chanson, j’ai été vraiment touché, c’est une super belle chanson. J’espère tout simplement leur faire honneur.

Pan M 360 : Dès le début de votre carrière, vous vous êtes entourés de collaborateurs très doués, comme Michael Doucet et Sonny Landreth. Et c’est plus vrai que jamais pour Danser le ciel, qui a été créé avec les frères Boris et Nicolas Petrowski, Sheila Hannigan, Florent Vollant, votre pianiste et directeur musical David Torkanowsky, Francis Covan, Rick Haworth, Pedro Segundo, Michel Rivard, Lina Boudreau et j’en oublie. Vous vous sentez choyé?

Zachary Richard : J’ai toujours eu la chance de me faire accompagner par des musiciens comme Freddy Koella, Nicolas Fiszman, Sonny Landreth évidemment, Éric Sauviat, Denis Benaroch, Joe Hammer, Basile Leroux et j’en passe, la liste est très longue. Je suis toujours un peu étonné que ces gens-là aient envie de jouer avec moi et y prennent du plaisir. J’ai été chanceux, j’ai pu être accompagné par de très grands musiciens. Et ça continue. Peut-être qu’il y a une bonne étoile qui veille sur moi. Et ce sont non seulement des gens de grand talent, mais aussi des amis. Dans ce métier, il se trouve que les gens les plus talentueux sont souvent les plus sympathiques.

C’est Sheila Hannigan qui était responsable de l’orchestre de chambre; elle avait les contacts et a engagé tout ce beau monde-là. Encore une fois des gens très talentueux. Fallait que je me pince parfois pour savoir si je rêvais. L’orchestre a joué selon des harmonies très aventureuses, pas simplement une approche standard.

Pan M 360 : Le talent attire le talent, comme on dit. Si on prend Pleine lune en décembre, par exemple, on constate que vous la chantez différemment. Elle nous touche autant, mais d’une autre façon.

Zachary Richard : Dans Pleine lune c’est évident. Si on prend Pagayez, là encore on est très très loin de la version originale, mais ce n’était pas juste pour surprendre ou déranger, ce n’était pas gratuit, c’était pour faire quelque chose qui avait du sens. On s’est donné une liberté d’expression qui était, pour moi, le cœur du projet. Ce sont des reprises, pour la plupart, et bien que les mélodies demeurent les mêmes, les chansons deviennent nouvelles.

Pan M 360 : On peut ajouter Danser le ciel aux plus belles chansons-hommages à une mère. C’est en même temps un modèle de chanson réconfortante et inspirante. Merci.

Zachary Richard : Je ne l’ai pas faite dans cet esprit-là, mais je suis assez fier d’imaginer qu’elle peut apporter un certain réconfort. Ça fait partie de la vie, la roue qui tourne. On perd tous des proches. Ce que je dois souligner, dans mon cas, c’est que le vide laissé par les disparitions – celle de ma mère, mais aussi de mes grands-parents et de mon père – est rempli de bons souvenirs. J’ai été privilégié d’avoir une maman pleine d’amour et de vie. Je l’ai accompagnée chez elle jusqu’à la fin.  Je suis très reconnaissant de ça.

Pan M 360 : Vous êtes notre passerelle avec la Louisiane depuis longtemps. Les Acadiens des Maritimes peuvent dire la même chose. On sait qu’il y a beaucoup de musiciens cadiens dans le coin de Lafayette, des gens comme Christine Balfa et Lisa Trahan. Il y a Renée Reed, la fille de Lisa, qui a appris le français et fait paraître un très bel album l’an dernier (NDLR : on en avait parlé ici). Sinon, voyez-vous apparaître une sorte de relève?

Zachary Richard : Absolument. Comme on dit, chaque fois qu’on s’apprête à fermer son cercueil, le cadavre de la culture cadienne se lève et demande une bière. C’est assez extraordinaire, cette histoire. La mienne, d’abord, où je me suis fait kidnapper par la culture française d’Amérique. C’était imprévu. Et le reste, ça tient du miracle, cette volonté et cette culture de résistance. On est toujours menacés par la disparation, mais chaque fois quelque chose nous ramène, nous inspire. Quand moi j’ai commencé à jouer de l’accordéon, j’étais le seul de ma génération à le faire, alors qu’aujourd’hui une multitude de gens en jouent.

La question linguistique, c’est plus épineux, mais deux choses nous permettent d’espérer. D’une part, la culture française de Louisiane est valorisée, maintenant. À l’époque de mes grands-parents, elle était ridiculisée, voire méprisée. D’autre part, nous avons maintenant en Louisiane des francophones qui sont lettrés. Le problème, dans l’assimilation de mes parents et de mes grands-parents et des autres générations, c’est qu’une grande partie des Acadiens de la Louisiane étaient illettrés. C’est difficile de défendre une langue quand on ne peut pas l’écrire. Aujourd’hui, c’est tout le contraire, il y a toute une nouvelle génération de francophones lettrés.

Donc, on ne peut pas nous dire que nous sommes ignorants, de deuxième zone et inférieurs à la culture anglo-américaine. Ça ne passe plus. Comme le dit mon ami Vigneault, on a touché le creux de la vague, puis on remonte. Ce n’est pas évident, pas facile, mais il y a de quoi espérer. Même si selon le recensement de 1900, à l’époque de mes grands-parents, 85 % des habitants du sud de la Louisiane parlaient français (on disait « une langue étrangère »), et que ce pourcentage était passé à 50 % à l’époque de mes parents, puis sous la barre des 10 % aujourd’hui. Il reste une minorité, mais qui est très visible et de plus en plus confiante. On ne sait pas où ça nous mènera, mais je suis persuadé qu’il y aura toujours une présence francophone en Louisiane, si petite soit-elle. Comme le dit Antonine Maillet, on doit toujours garder de la place pour la surprise.

Pan M 360 : Et vous avez joué un bon rôle là-dedans. Vous entamerez une tournée en mai, au Québec puis en Acadie. Est-ce que vous serez accompagné d’une section de cordes sur scène?

Zachary Richard : Vingt-huit personnes, ce serait trop de monde dans le van! Je serai avec Rick Haworth, Mario Légaré, Francis Covan et Paul Picard. Comme le dit mon voisin, on va aller les embêter!

Pan M 360 : Merci énormément Zachary Richard pour vos généreuses réponses et bonne continuation!

Photo : Julien Faugère

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