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Formé à Perth, en Australie, en 1978, les Scientists se sont d’abord affirmés comme un groupe punk aux tendances pop avant un remaniement de personnel (le premier de nombreux) au début des années 80, qui a vu la formation plonger dans un swamp rock inquiétant, teinté de blues Beefheart déjanté, de fuzz-rock 60’s dissonant à la Cramps, d’hystérie Suicidaire, de proto-punk Stoogien et de post-punk apocalyptique étampé Birthday Party. Son lo-fi et cru, rythmique primale et hypnotique, riffs dangereusement simples, c’est particulièrement cette deuxième incarnation des Scientists qui a laissé sa marque et influencé plusieurs groupes, notamment le Jon Spencer Blues Explosion et Mudhoney. L’incendiaire morceau We Had Love, que plusieurs ont pu entendre récemment dans le film Rock n Rolla, pourrait être considéré comme le pinacle du son Scientists.
On les a couronné parrains du grunge mais les Scientists étaient bien plus tordus, malsains et sinistres que quoi que ce soit étant sorti de Seattle ou de la besace de Sub Pop. Après une relocalisation à Sydney, puis à Londres, et six albums marquants entre 1982 et 87, les Scientists se sont effacés… pour mieux revenir, animé du même esprit détraqué. D’abord sporadiquement, puis beaucoup plus sérieusement depuis le début des années 2000.
La formation actuelle, toujours centrée autour du chanteur et guitariste Kim Salmon, regroupe tous les musiciens de la deuxième mouture. On y retrouve donc le guitariste Tony Thewlis, le bassiste Boris Sujdovic et la batteuse Leanne Cowie, qui a rejoint la bande en décembre 1985. Si les Scientists ont beaucoup tourné depuis cette reformation, ils n’ont par contre fait paraître que très peu de nouveau matériel, Salmon préférant se concentrer sur les concerts. Après un 45 tours paru en 2017, puis un autre pour In The Red l’année suivant et un EP pour la même étiquette en 2019, le groupe s’est laissé convaincre de faire un nouvel album par le label de Los Angeles. Negativity, paru le 11 juin dernier, ramène la formation australienne pratiquement là où elle s’était arrêtée en 1987. Si la bande s’est quelque peu assagie, on la croirait toujours nourrie aux mauvais acides et bières cheap, piochant dans le même registre malaisant qui lui va si bien. Pour souligner la chose, nous avons rejoint Kim Salmon chez lui à Melbourne, où c’est bientôt l’hiver. Le très sympathique leader de la formation nous a accordé une longue entrevue dans laquelle il nous parle de la reformation du groupe, de la création de Negativity et de sa passion pour le dessin et la peinture.
PAN M 360 : Quand les Scientists se sont séparés en 1987, vous êtes-vous quittés sur une mauvaise note ? Comment vous êtes-vous retrouvés ?
Kim Salmon : C’était une sorte de processus naturel quand on a arrêté les Scientists en 1987, il n’y avait aucun intérêt à poursuivre l’aventure, ça semblait normal, on ne voyait aucune raison de ne pas le faire…
PAN M 360 : Tu as souvent pensé à repartir le groupe avant de réellement le faire?
Kim Salmon : Pas vraiment. C’était dans l’ordre des choses que le groupe revienne ensemble. Tony était un peu réticent à cause de certains trucs qui se sont produits dans le passé. Il était un peu énervé par certaines choses qui n’avaient rien à voir avec le groupe, mais plutôt par le fait que le groupe n’avait pas obtenu le succès qu’il souhaitait. Nous étions sur le point de percer auprès du grand public dans les années 80, mais cela n’est jamais arrivé pour diverses raisons et il était peut-être plus déçu que nous à ce sujet. Quoi qu’il en soit, nous avons réussi à le persuader de rejoindre le groupe à nouveau.
PAN M 360 : Tenais-tu mordicus à ce que ce soit cet ancien line-up qui soit à nouveau réuni ?
Kim Salmon : Le groupe a eu plusieurs incarnations. Nous avons réuni un des premiers line-up avec James Baker, Ian Sharples et Ben Juniper pour faire un concert assez payant sur un toit d’immeuble quelque part à Perth en 1995, mais ce n’était que pour ce concert. Et il y a eu le line-up que nous avons eu pour Human Jukebox en 1987 avec moi-même, Tony et un type nommé Nick Combe, donc c’était une autre formation aussi. Je l’aimais bien, mais je ne pense pas que c’était vraiment les Scientists. C’est juste que les gens s’intéressent plus à cette formation actuelle, qui est celle que nous avions du début jusqu’au milieu des années 80. Leanne nous a rejoint à la fin de 1985. C’est elle qui correspondait le mieux à ce line-up après le départ de Brett Rixon en 85. Les gens pensent que nous nous sommes retrouvés en 2006, mais c’est en fait en 2002, lorsqu’on nous a proposé de faire une tournée en Australie. Durant cette période, nous avions essayé deux batteurs différents. Puis, lors d’un concert à Sydney, nous avons demandé à Leanne si elle voulait nous rejoindre sur scène pour une chanson au rappel. Ce fut un moment décisif parce que c’est là que nous avons réalisé que nous avions vraiment besoin d’elle dans le groupe, ce n’était tout simplement pas la même chose avec Leanne à la batterie.
PAN M 360 : Comment ce nouvel album a-t-il vu le jour ?
Kim Salmon : En 2017, nous avons eu l’occasion de faire une tournée en Australie et nous avions à ce moment-là réédité tout notre catalogue sur le label Numero. Nous avons eu de nombreuses rééditions au fil des ans, mais Numero a vraiment fait du beau boulot et a en quelque sorte ramené le groupe à la vie, donc nous avons fait cette tournée. À cette époque, Tony m’a fait participer à un enregistrement qu’il faisait pour l’anniversaire de quelqu’un; il voulait que je chante dessus. Il a fait un assez bon travail avec ma voix et nous avons pensé que nous devrions peut-être faire d’autres morceaux avec le reste du groupe, donc nous avons fait un single, qui était une reprise de Mini Mini Mini de Jacques Dutronc et Perpetual Motion, une obscure chanson des Scientists des années 80 que nous n’avons jamais officiellement enregistrée. Nous n’étions pas trop portés sur l’enregistrement de tout un nouvel album comme le font les vieux groupes qui se réunissent, car c’est souvent synonyme de désastre. Donc pour nous, un single était bien. Mais nous nous sommes retrouvés en tournée en Europe un an plus tard, puis aux États-Unis, alors nous avons fait un autre single, avec In The Red cette fois, puis In The Red nous a persuadés de faire un EP et une autre tournée aux États-Unis. Ensuite, on nous a proposé une troisième tournée aux USA, mais le label avait besoin de nouveaux enregistrements, alors nous avons finalement accepté de faire un album, et c’est ainsi que Negativity est né ! Nous avons donc sorti l’album, mais nous n’avons jamais pu faire de tournée… Nous avons encore un visa ouvert jusqu’en juin 2022, donc nous verrons comment les choses se passent… Negativity a été réalisé essentiellement via Internet; je trouvais un rythme à la batterie, je l’envoyais à Tony à Londres, il trouvait un riff et me l’envoyait. Si le riff me plaisait, j’arrivais à trouver un truc à chanter dessus. Ensuite, on ajoutais la basse et on envoyait à Leanne pour qu’elle ajoute la batterie. Mais comme j’avais déjà trouvé un beat, c’était pas évident pour elle de jouer par dessus. Donc on a grosso modo enregistré ça au studio Sumo à Perth. On a ajouté des trucs ici et là, du violon, du trombone, ma fille a chanté un peu et joué quelques notes de piano…
PAN M 360 : Dirais-tu que Negativity est la suite logique de Human Jukebox, le dernier album que vous avez enregistré ensemble en 1987 ?
Kim Salmon : D’une certaine manière, oui. Je pense qu’il est plus abouti que Human Jukebox qui est beaucoup plus brut. À mes oreilles, ce nouveau disque est mieux réalisé. Et il n’y a pas beaucoup de disques des Scientists qui sont bien réalisés, à part Weird Love (1986) et peut-être You Get What You Deserve (1985); en général nos disques sonnent plutôt garage. Nous enregistrions généralement avec un petit budget. Je pense que notre historique d’enregistrements est bizarre parce que notre premier album est très différent, avec un son pop-punky; Blood Red River est quant à lui un disque au son assez extrême et You Get What Deserve est également différent… Il y a une sorte d’esthétique d’une certaine manière, je pense que nos albums partagent tous certaines choses. Nous recherchons toujours cette sorte de structure minimaliste dans nos chansons, c’est ce que nous avons toujours fait. Les structures sont très simples en termes de notes, de clés et de mélodies… Ceci dit, je crois que l’artiste est la dernière personne à pouvoir parler de son travail… Mais si je peux établir un parallèle entre ces deux albums, c’est surtout à propos de l’implication de Tony. Habituellement, j’écrivais la plupart des chansons, mais pour Human Jukebox, Tony a contribué à une grande partie de la musique, ainsi que sur Negativity.
PAN M 360 : Pourquoi avoir choisi le titre Negativity?
Kim Salmon : On a toujours été un groupe avec un côté un peu sombre, on n’a jamais fait dans le très positif et hop la vie, sans pour autant être goth, ça je tiens à le préciser (rires). Donc ce mot m’est venu dans une des chansons de l’album, sur Dissonance je crois, et j’ai trouvé que ça ferait un bon titre. J’ai fait un truc de positif avec Negativity (rires)
PAN M 360 : En dehors du groupe, tu enseignes la musique et tu peins et dessines également…
Kim Salmon : Quand j’avais 19 ans, j’ai étudié les beaux-arts pendant un an, la peinture était mon principal intérêt. Puis j’ai pris ce qu’on appelle une année sabbatique… et cette année sabbatique a duré jusqu’à maintenant (rires). Mais pendant tout ce temps, j’ai continué à m’intéresser au dessin et à l’art, mais à part quelques dessins et caricatures ici et là et quelques couvertures de disques que j’ai illustrées, je ne me suis jamais vraiment concentré sur cela. C’est après mon dernier album solo en 2015 que je m’y suis mis davantage. Pour faire cet album, j’ai démarré un Go FundMe mais au lieu de faire un show privé ou un truc du genre pour les gens qui m’ont aidé, j’ai décidé de leur envoyer une carte avec quelques dessins que j’ai fait. Puis quelqu’un m’a approché pour me proposer de faire une exposition de mes œuvres. J’ai donc fait ma première expo en 2018 dans laquelle on retrouvait un peu de tout ce que j’ai réalisé depuis que j’ai 16 ans. J’ai vendu pas mal d’oeuvres et l’année suivante j’ai fait une autre expo, majoritairement des dessins et des aquarelles. Là encore, j’en ai vendu plusieurs. Puis j’ai exposé à la galerie de Mick Harvey et de sa femme. Encore une fois, un gros succès puisque j’ai vendu 14 de mes œuvres. À l’ouverture, j’ai vendu 5 œuvres que j’avais réalisé en une semaine pendant que je faisais une quarantaine à Perth ! C’est surtout depuis le confinement que je me suis réellement plongé dans la peinture et le dessin. J’ai été assez productif et j’ai beaucoup progressé. J’aime vraiment peindre et dessiner, je suis très enthousiaste et je vais certainement m’y consacrer de plus en plus.
(crédit photo: Andrew Watson)