Sunny Duval : Parcours singulier d’un créateur pluriel

Entrevue réalisée par Luc Marchessault
Genres et styles : afrobeat / cajun / dancehall / disco / kebamericana / new wave / rock / surf / zydeco

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Sunny Duval est une légende urbaine bien tangible et tout sauf macabre. Il fit ses armes comme paladin du rock garage chez les Breastfeeders. Il fut chroniqueur des grands comme des petits jours dans divers médias. Durant le dernier quart de siècle, il est devenu l’archétype de l’âme-orchestre que prisent ses pairs créateurs de musique. Et il demeure, avant tout, un troubadour au long cours doué d’une insatiable curiosité musicale. Son parcours solo est jalonné de six albums, d’Achigan en 2005 à Make my Lost Soul Sing aujourd’hui. Sa palette de genres est en perpétuelle expansion. Pan M 360 a pu en discuter avec lui.

Pan 360 : Tout d’abord, content de savoir que tu vas bien. Bravo pour Make my Lost Soul Sing, très goûteux album, comme toujours. Comment s’est déroulée la gestation de l’album, en situation de bordel pandémique?

Sunny Duval : La gestion a été longue. Je n’avais pas de plan d’album au départ et j’arrivais d’une tournée en Europe écourtée, avec le Cirque Alfonse. Je suis arrivé chez moi en quarantaine, j’ai commencé à enregistrer des petits bouts de musique en soirée, quand c’était tranquille dans mon bloc, avec mes écouteurs et ma guitare branchée dans mon ordinateur. Je jammais sur des petits motifs que j’avais, je les peaufinais, puis je rajoutais une guitare, une basse, puis d’autres instruments et des beats. Je me suis retrouvé avec plein de bouts de musique et des textes, au fur et à mesure que passaient l’été et l’automne. Je me suis dit « Je vais faire un disque », j’étais chez moi, j’avais tout mon temps, un nouveau local de musique et un nouvel appartement. J’ai invité des amis à venir chanter et jouer, après ce processus solitaire. Fallait ensuite sélectionner, parmi tout ce que j’avais, onze chansons qui allaient dans un sens commun et concordaient avec le titre de l’album, Make my Lost Soul Sing.

Pan M 360 : À ce sujet, tes chansons ne sont généralement pas porteuses de mélancolie, mais ce titre d’album l’est. On dirait un titre de chanson de Hank Williams ou de Nat King Cole. C’est beau et triste. D’où en vient l’idée?

Sunny Duval : Il vient du texte de la chanson Night Is Keeping Me Up. Souvent, quand vient le temps de choisir un titre d’album, je fouille dans les paroles de chansons, dans les thèmes. Donc, il y a cette ligne qui m’a accroché assez tôt dans le processus. Ça va avec la photo-couverture de l’album, où on me voit telle une figure de danse dans les jeux pour enfants d’un parc. Ça représente exactement l’année que je viens de passer, j’étais souvent dans des parcs avec des amis, à essayer de faire jaillir de la lumière des jours sombres que vivait tout le monde. Donc, Make my Lost Soul Sing, ce n’est pas que pour moi, c’est pour tout le monde.

Pan M 360 : Ça se tient parce que la pièce d’où vient le titre, Night Is Keeping Me Up, est plus sombre, plus élégiaque que les autres pièces de l’album, sauf Apéro infini. On dirait qu’en général, tu tentes de préserver l’essence ludique du rock’n’roll, dans ta musique.

Sunny Duval : Oui, je n’ai pas tendance à faire des chansons comme ça, mais j’ai suivi la façon dont je me sentais, ce que je pensais, mes états d’esprit, ce que j’ai écrit durant l’année. C’est aussi pour illustrer ce que d’autres personnes ont vécu. Apéro infini, c’est le gars qui a passé la journée au parc, qui arrive chez lui et qui ne veut pas se coucher parce que la nuit est belle. Make my Lost Soul Sing pourrait être un album concept, toutes ses chansons représentent ce qui se passe dans une seule journée de la vie d’un gars; le gars qui s’ennuie de faire des voyages, qui est seul chez lui et doit se redécouvrir. Il va au parc avec des amis, puis retourne chez lui et est encore seul. 

Pan M 360 : Toi qui aimes voyager et enregistrer dans divers studios, as-tu trouvé des méthodes de stimulation compensatoires?

Sunny Duval : J’étais très stimulé, surtout au printemps. J’ai passé beaucoup de temps à vélo ou dans des parcs, je n’ai jamais été aussi bronzé qu’à l’été 2020! Ça faisait quelques étés que je passais en tournée avec le Cirque Alfonse, j’ai profité de Montréal. Je suis aussi allé puiser dans tous mes voyages des années précédentes. Le processus a tout de même été très plaisant, j’ai voyagé en musique… et en vélo.

Pan M 360 : En écoutant ton nouveau disque, on constate que tu poursuis ton exploration des diverses déclinaisons de la musique populaire. Ton répertoire est une sorte de cours universitaire en musicologie, où tu guides les musicophiles-étudiants du psychobilly à la musique antillaise, en passant par le post-punk, la New Orleans Soul, la country, le dancehall, le garage rock, le doo-wop, le surf-rock, l’afrobeat, le zydeco, la new wave, le rap, le disco… As-tu déjà songé à enseigner? Me semble que tu serais un bon prof!

Sunny Duval : Je ne sais pas si je serais un bon prof, pour l’instant je continue d’enregistrer et de faire mes trucs. Mais un jour peut-être, c’est une idée! Sinon, j’aime toutes les musiques, sauf peut-être quelques-unes. Tout ça fait partie de moi, ça ressort ici et là. Des fois je me dis « J’aimerais ça faire un album dance-rock, mettons, ou un album plus garage, ou bluesy ». Mais, finalement, je produis toujours des albums hybrides. Peut-être qu’un jour je ferai un album plus uniforme. Make my Lost Soul Sing est vraiment un condensé de moi, de ma vie depuis l’avant-dernier album.

Pan M 360 : C’est très réussi. D’emblée sur Tonight I Disco Discover Myself, la première pièce, le riff évoque AC/DC, puis les claviers et les voix nous rappellent les B-52’s. Et ça marche, ça constitue un hybride pertinent. Et ta démarche est singulière, dans le paysage musical contemporain au Québec. Je ne peux songer, à vue de nez, à d’autres créateurs qui touchent à autant de styles. Ce n’est pas une démarche structurée, j’imagine, tu y vas selon ta curiosité et tes découvertes?

Sunny Duval : Tout à fait, je vais où je dois aller, il n’y a pas de plan! 

Pan M 360 : On le perçoit quand on écoute tes albums, il y a eu par exemple un déclic Nouvelle-Orléans à partir de ton album Amour, d’amour. Pour y être déjà allé, je sais que tout séjour dans cette ville est marquant.

Sunny Duval : Oui, surtout pour des musiciens ou musicophiles. Il y a le cajun et le zydeco dans le coin de Lafayette, puis à deux heures de là, c’est la Nouvelle-Orléans avec le jazz, le blues, le funk, les marching bands, le bounce.

Crédit photos: Cynthia Bergeron

Pan M 360 : Tes textes sont toujours savoureux, jamais trop lourds tout en véhiculant parfois des messages. Tu ne veux pas que les musicophiles se prennent la tête en t’écoutant.

Sunny Duval : En même temps, il y a un côté qui paraît moins et qui se comprend mieux quand je l’explique : je suis très très très engagé dans ce que je fais et dans mon environnement. Quand j’écris un texte ludique, en même temps ça vient du fait que je prône la simplicité volontaire et que je veux que les gens profitent de la vie. C’est un engagement politique et humain. Donc, un truc peut être super ludique, mais à 100 % engagé en même temps.

Pan M 360 : Si message il y a, celui-ci est bien amené, de façon subtile.

Sunny Duval : Je fais partie des gens qui croient dur comme fer qu’au lieu d’empiler de l’argent, vaut mieux profiter de la vie tandis qu’on est en forme. C’est peut-être un demi-manque de respect envers la personne que je serai dans vingt ans… Avec la pandémie on constate que, plus que jamais, c’est le temps de profiter de la vie. Ce n’est pas demain qu’il faut en profiter, c’est maintenant. Être ludique ou faire danser mes amis dans un parc, pour moi c’est un engagement politique.

Pan M 360 : C’est cohérent. Parallèlement à ça, on devra se rendre compte qu’en matière d’écologie, il n’y a aucune autre solution que la décroissance. Je reviens à l’album; tu as invité plusieurs collaborateurs : Anna Frances Meyer des Deuxluxes, sur Tonight I Disco Discover Myself; Vivianne Roy des Hay Babies, qui a coécrit les textes de Night Is Keeping Me Up et de Nola avec toi, puis chante sur cette dernière; Joseph Edgar sur Elle; Marie-Christine Depestre sur Night Is Keeping Me Up; ainsi qu’une certaine M.-A. Évincée sur J’te laisse ce que t’aimes de l’Est!

Sunny Duval : M.-A. Évincée, en fait, c’est Marie-Anne Arsenault (ndlr : membre du duo Propofol), une des personnes les plus fabuleuses que je connais, qui joue avec moi depuis l’album Sein Noir Sein Blanc, ou même Achigan en 2005. J’ai toujours été influencé par Marc Drouin et les Échalotes, un peu par Germain Gauthier aussi. Dans ma tête, en arrière il y a souvent une fille avec une petite voix nasillarde, ou deux filles en harmonie. Il y a le côté B-52’s, mais aussi le côté Marc Drouin. Marie-Anne cadre très bien dans cet imaginaire. Quand je suis arrivé avec la chanson J’te laisse ce que t’aimes de l’Est, j’avais des idées de rénovictions et autres problèmes de logement, elle vivait ça et moi aussi jusqu’à un certain point. Je voulais qu’elle chante « lead », elle a même improvisé la fin, qui est une sorte de rap. Quant à Vivianne Roy des Hay Babies, je suis tombé sur son album solo récent, je savais que je voulais faire quelque chose avec elle et que c’était une âme sœur. Elle a enregistré la voix de Nola dans un studio à Moncton. C’était un mélange d’imprévu et de prévu.

Pan M 360 : Il y a un lien direct entre l’Acadie et la Nouvelle-Orléans. Est-ce que Vivianne est allée là-bas?

Sunny Duval : Oui, c’est là-dessus qu’on se rejoignait. Elle aussi s’ennuie de cet endroit magique, de la « golden hour », vers quatre ou cinq heures, quand le soleil commence à se coucher sur le bayou Saint-Jean dans Mid-City. C’est pas mal les plus beaux apéros qu’on peut avoir!

Pan M 360 : Est-ce qu’un lancement virtuel est prévu?

Sunny Duval : Il y aura un lancement intime dans un parc, avec les dix personnes qui ont collaboré à l’album et qui n’habitent pas loin. C’est tout ce qu’il y aura pour l’instant. On va laisser aux gens le temps d’écouter et d’apprécier l’album.

Pan M 360 : On a appris hier que Spectra déplace les Francos en septembre, peut-être qu’il y aura des possibilités de ce côté? L’album sera encore frais.

Sunny Duval : Oui, je me mets une petite note, « Ne pas oublier d’écrire aux Francos »!Pan M 360 : Merci Sunny Duval, félicitations pour Make my Lost Soul Sing et au plaisir de te voir sur scène avec tes complices, en présentiel et le plus tôt possible!

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